"Dans la confusion de notre époque quand une centaine de voix contradictoires prétend parler au nom de l'Orthodoxie, il est essentiel de savoir à qui l'on peut faire confiance. Il ne suffit pas de prétendre parler au nom de l'Orthodoxie patristique, il faut être dans la pure tradition des saints Pères ... "
Père Seraphim (Rose) de bienheureuse mémoire

lundi 31 octobre 2011

Un chemin vers saint Silouane (VII)






Voilà des siècles que les générations battent le sentier du Christ, lequel passe aussi par la Croix et la mort de la Croix. Comment se peut-il donc qu’à toi seul les afflictions rencontrées en chemin semblent étrangères au sentier ? Ne souhaites-tu pas mettre tes pas dans les pas des saints ? Ou aurais-tu quelque idée d’inventer un chemin à toi, pour y faire route sans souffrir ?
Saint Ephrem le Syrien

Ayant pris conscience de l’inéluctabilité annoncée, non de la mort, mais de notre mort , nous nous engagerons sur la Voie du Salut en demandant l’intercession du staretz. Notre parcours spirituel sera semé d’embûches et d’entraves. Il n’en serait pas ainsi si le but n’en valait la peine. Nous devrons être particulièrement attentifs à toujours garder à l’esprit que ce n’est pas l’exaltation intellectuelle que nous recherchons : Platon et Spinoza peuvent nous la donner à moindre prix, mais sans nous gratifier cependant de cette Vie Eternelle vers laquelle nous voulons aller.
L’écueil immense que nous permet d’éviter le saint staretz est celui de l’intellectualisme. Ce danger guette plus particulièrement ceux qui, en Occident, sont venus à l’Orthodoxie. Il n’est pas question de juger de la démarche qui a conduit à embrasser la foi orthodoxe. Dieu, dit le proverbe portugais, écrit droit avec des lignes courbes. L’histoire de toute conversion est une merveilleuse harmonie de faits hétéroclites et de rencontres inattendues, avant d’accéder à la pure grâce de la découverte du Christ dans l’Eglise, et à l’envie vivante de devenir membre de Son Corps. 
Très souvent après la conversion, on se constitue une bibliothèque et, fréquemment, la lecture prend très vite le pas sur la prière et le temps consacrés à Dieu. En situation de diaspora, donc de minorité, le converti se sent obligé de s’éduquer, sans guidance spirituelle aucune, de connaître plus intellectuellement la foi qu’il vient d’embrasser. Cette attitude devient paradoxale, lorsqu’il agit comme s’il voulait étayer la pure grâce accordée par le Verbe incarné, par le troupeau des mots de l’homme, aussi subtils et intéressants soient-ils. Est-il vraiment nécessaire de donner une légitimité à cette certitude heureuse que Dieu atteste en Lui saintement, sans support intellectuel ?
Il est, certes, tout à fait légitime de s’instruire dans la foi et de lire, mais si la connaissance intellectuelle tient lieu d’oraison, et qu’elle la remplace, elle est inutile. Il n’est nul meilleur écrin au pur joyau de l’adhésion à la Vie, que la Vie elle-même, c’est-à-dire la prière au Créateur. Si notre lecture ne nourrit pas notre prière, à quoi peut-elle servir ? Combien de fois avons-nous pris l’exaltation intellectuelle devant une belle pensée, un beau raisonnement, un système théologique, pour la Connaissance de Dieu, et la joie de l’intelligence — pourquoi ne pas parler de l’exaltation et exultation orgueilleuse de notre moi flatté d’accéder à cette compréhension — pour une manifestation de la grâce divine ? Ceux qui agissent ainsi, non seulement "inclinent à se contenter de la joie intellectuelle qu’ils y puisent" (A. Sophrony, op. cit., p. 140), mais ne pensent pas plus loin et croient avoir réellement vécu une rencontre avec l’Etre.
Par un autre effet pervers, induit par la situation de minorité de la diaspora orthodoxe, il est de bon ton d’avoir lu tout ce qui se publie et d’en parler, de comparer, de soupeser les spirituelles marchandises en se donnant l’impression de faire œuvre pie. Ce qui ne nous aide pas à mieux prier, à mieux aimer les autres et à avancer vers le Royaume, est de peu d’intérêt pour nous.
L’exaltation, l’exultation spirituelle, quand bien même elles viendraient de savants ouvrages théologiques, ne sauraient tenir lieu de lien spirituel avec le Christ. La seule prière peut conduire, non à l’exaltation — qui serait de l’ordre de l’illusion spirituelle — mais à la douce componction dont témoigna le staretz Silouane tout au long de sa vie. 
Ni les Pères, ni les plus estimables théologiens, ni le staretz lui-même ne doivent à travers leurs écrits devenir de simples objets de "méditation" sans prise sur la réalité du monde spirituel et sur l’amour du prochain. Dire que l’on aime le saint staretz ne peut être vrai que si l’on tente de suivre son exemple. On ne peut que tenter de le faire — sa stature est très haute et nous ne sommes pas à sa mesure — mais la grâce de Dieu venant en aide à notre peu de foi, notre chemin vers le Christ deviendra plus clair.
Combien écrivent, citant Saint Silouane, qu’il faut "donner son sang pour son frère et recevoir l’Esprit", et démentent aussitôt cette parole en gaspillant de l’encre pour exclure de la fraternité humaine ceux qui n’ont pas dans l’Eglise, ou bien ailleurs, l’heur de leur plaire ou de partager certaines de leurs opinions parfois contestables ? "Bien des gens sont capables de parler avec aisance de l’amour du Christ, mais leurs œuvres sont un scandale pour le monde, et c’est pourquoi leurs paroles sont privées de force vivifiante" (A. Sophrony, op. cit., p. 120).


© Claude Lopez-Ginisty
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Une première version de ce texte 
a été publiée
aux 
Editions du Désert 
en 2003 
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