"Dans la confusion de notre époque quand une centaine de voix contradictoires prétend parler au nom de l'Orthodoxie, il est essentiel de savoir à qui l'on peut faire confiance. Il ne suffit pas de prétendre parler au nom de l'Orthodoxie patristique, il faut être dans la pure tradition des saints Pères ... "
Père Seraphim (Rose) de bienheureuse mémoire

jeudi 8 avril 2010

L'icône de la Mère de Dieu de Felixtowe


Introduction

Il fut un temps où l'Angleterre était connue comme «la dot de Marie» et «L'île de Marie». En effet, au 11ème siècle, l'Angleterre était le seul territoire d'Europe occidentale où la dévotion à la Mère de Dieu était si répandue et c'est là que la fête de la Dormition a d'abord été introduite à partir de Constantinople (1).

Au onzième siècle, il semblait y avoir partout des sanctuaires de la Mère de Dieu (2). Ainsi, nous avons connaissance de sanctuaires dédiés à elle à Glastonbury en 540, Evesham en 702 (3), Tewkesbury en 715, Cantorbéry en 866, Willesden en 939 (4), Abingdon, avant 955, Ely en 1020, Coventry en 1043, York en 1050 , Walsingham en 1061. Il y avait sans doute beaucoup d'autres sanctuaires et images saintes. De certaines d’entre elles, nous ne savons rien, d'autres nous savons qu'elles doivent avoir existé, mais nous n’entendons parler d’elles que plus tard aux 12ème et 13ème siècles. Car, après le Grand Schisme du 11ème siècle, quand la plus grande partie de l'Europe occidentale a chuté sous la domination du pape, la dévotion à la Mère de Dieu a continué.

Certes, cette dévotion a commencé à prendre les formes piétistes du Moyen Age et les images ont été remplacées par des statues, du jamais vu dans le monde orthodoxe, d'Orient et d'Occident. Certaines de ces statues ont reçu des noms, soit de lieux ou encore de vertus particulières, par exemple: Notre-Dame de Garden Gate (Somers Town, Londres), Notre-Dame du Crag (Rocher) (Knaresborough), Notre-Dame, Mère de Miséricorde (York), Notre-Dame de Grâce (Ipswich). Cette pratique a toujours reflété la pratique des Églises orthodoxes, en particulier de l'Église russe, où plus de 600 icônes différentes de la Mère de Dieu étaient vénérées avant la Révolution et la Russie était connue comme «La Maison de la Mère de Dieu». Notre intérêt, cependant, est centré sur Notre-Dame de Grâce, la Mère de Dieu d’Ipswich.

Le lien avec le Suffolk

Le Suffolk dans le haut Moyen Âge était réputé pour sa piété. En effet, lorsque les Danois l’envahirent au neuvième siècle, martyrisant saint Edmond, ils ont trouvé tant d'églises et de chapelles qu'ils l'ont appelé "Selig Suffolk", ce qui signifie "béni" ou "saint Suffolk", qui par corruption est devenu aujourd'hui "Silly Suffolk".

En effet nous ne connaissons pas moins de seize sanctuaires de la Mère de Dieu dans le Suffolk. Ce sont: Beccles, Chevington, Eye, Ipswich, Ixworth, Melford, Mildenhall, Mutford, Norton, Stoke-by-Clare, Stowmarket, Sudbury, Thetford, Weston, Woodbridge et Woolpit. Il pouvait y en avoir encore plus, mais nous n'en avons aucune trace. Toutefois, vers la fin du 12ème siècle, bien que le grand sanctuaire national fût à Walsingham dans le Norfolk, en second lieu seulement cela était le sanctuaire de «Notre-Dame de Grâce à Ipswich».

Les archéologues de la dernière génération ont confirmé quIpswich est la plus ancienne de toutes les villes anglaises, fondée au 6ème siècle, lorsque nos ancêtres sont arrivés de la mer du Nord en provenance de l'Allemagne du nord et du sud du Danemark. Il y avait en effet avant Ipswich des établissements secondaires et de petits hameaux sur les côtes sud et est, mais Ipswich a sans doute été la première ville anglaise. Avec son port et son marché, ses industries et ses artisanats, elle est devenue célèbre surtout pour ses poteries, connus des historiens comme "Ipswich-ware".

Plus tard entourée de remparts de terre construit contre les Danois, elle est devenue au début du Moyen Âge une ville fortifiée avec quatre portes avec les trente-neuf églises et monastères d’avant la Réforme. La porte principale dans les murs, était la Porte de l'Ouest et y menant aujourd'hui encore, on peut trouver «Lady Lane, où se dressait autrefois la Chapelle de Notre Dame d’Ipswich démolie, il y a longtemps". C'est là que la population locale vénérait depuis au moins 1152, sinon plus tôt, une statue de la Mère de Dieu.

En 1297, cette chapelle était certainement enregistrée comme «maison religieuse de renom au début d'une période de notre histoire». Tous les documents qui restent témoignent de la renommée de l'image de la Mère de Dieu et ses nombreux miracles des guérisons de la grâce effectués par elle: «L'image de la Sainte Vierge, connue sous le nom de "Notre-Dame d'Ipswich a été tenue en haute estime, et de nombreux pèlerinages avaient l'habitude de se faire en ce lieu ». L'image de la Vierge a rendu le nom d'Ipswich célèbre dans l'Antiquité en raison des pouvoirs miraculeux de guérison des maladies que cette image vénérée avait la réputation de posséder. Des archives survivent décrivant l'image, donnant même les détails de ses couleurs («bleu et rose foncé) et les plis de la robe de la Vierge.

Il y eut plusieurs pèlerins royaux. La fille du roi Edouard Ier, Elizabeth, a effectivement été mariée dans la chapelle sanctuaire, Blanche, fille d’Henri IV, y vint en pèlerinage et il y a des détails sur le pèlerinage de Catherine d'Aragon et d’Henri VIII. Il a également été suggéré que Les Contes de Cantorbéry de Chaucer, ont été inspirés par des pèlerinages au sanctuaire, car «le Père de la poésie anglaise», dit-on, était le fils d'un vigneron d’Ipswich. Nous savons aussi que le célèbre cardinal machiavélique Wolsey, homme d'Ipswich, a établi une procession au sanctuaire le Septembre 7, la veille de la fête de la Nativité de la Mère de Dieu. Et ces derniers temps, la guilde locale de Notre Dame d’Ipswich a institué un pèlerinage annuel à pied, relançant cette procession le dimanche le plus proche du 7 Septembre.

Tout cela peut sembler au lecteur être d’intérêt seulement passager et d'historique et rien de plus. Toutefois, la Mère de Dieu d’Ipswich a un intérêt particulier pour les chrétiens anglais d'aujourd'hui. Contrairement à tous les autres sanctuaires de l'Angleterre, il est largement admis que Notre-Dame de Grâce a survécu à la Réforme et existe toujours.

Lors de la Réforme, en Juillet 1538, la statue a été retirée de sa chapelle d’Ipswich et envoyée par bateau à partir du port d'Ipswich pour être brûlée avec d'autres statues et reliques à Londres. Là, en Septembre 1538, Thomas Cromwell, chargé par Henri VIII de la destruction des «idoles papistes», alluma un grand feu dans lequel de nombreux objets de piété ont été brûlés, dont les statues de Notre-Dame de Walsingham et de Willesden. Il existe une masse de tradition et de preuves documentaire qui suggèrent cependant que, malgré les mauvaises intentions des iconoclastes, Notre-Dame d’Ipswich ne figurait pas parmi les statues consumées par le feu.

Le lien Italien

Sur la côte ouest de l'Italie, à mi-chemin entre Rome et Naples, attenant à la ville d'Anzio, où, onze mille Anglais et soldats alliés ont perdu la vie entre 1943 et 1944, se trouve la petite station balnéaire de Nettuno. Dans son église principale, une majestueuse basilique, se trouve à une place d'honneur une statue de Notre-Dame de Grâce. Elle a été transportée là, comme les habitants le maintiennent fermement, en 1550 par des marins de la ville d'Ipswich, en Angleterre, qui l'avaient sauvée du feu. Localement, elle est connue sous le nom de "Dame anglaise".

Ce n'est pas du folklore, les traditions remontent à des centaines d'années et ont été consignées par écrit. A partir de ce que nous savons, par exemple, qu'il n'y avait pas de sanctuaire à la Mère de Dieu à Nettuno au début du 16ème siècle. Et un document de 1718, basé lui-même sur des dossiers antérieurs, indique très clairement l'origine de la statue comme étant la ville d'Ipswich par ailleurs inconnue. Selon cette étude, le navire, en direction de Naples, est arrivé à Nettuno où il a trouvé refuge, en 1550, suite à une terrible tempête. Les marins ont donné la statue à la ville en action de grâces et là l'image a été gardée dans une église en bord de mer près de l'autel dédié à l'Annonciation.

Cette description du manuscrit est confirmée par la tradition orale. Celle-ci insiste sur l'origine de la statue d’Ipswich en Angleterre et aussi sur le nom de la statue "Nostra Signora delle Grazie", "Notre-Dame des Grâces" (titre apparemment unique dans l'histoire de la dévotion anglaise à la Mère de Dieu). En outre, il existe d'autres documents et une analyse scientifique d'un éclat de bois de la base de la statue qui s’est révélé avoir une teneur élevée en sel, preuve qu'elle avait à un moment été en contact avec l'eau de mer ou les embruns. En outre, le style de la statue (en bois de chêne, comme cela était courant en Angleterre), même après les "restaurations catholicisantes", suggère une origine anglaise. Le fait que le Christ enfant est tenu sur le genou droit de la Vierge est extrêmement rare en Europe occidentale en dehors de l'Angleterre à l'époque. (Les images continentales montrent l'enfant Jésus sur le genou gauche).

En dehors des peintures de la "catholicisation" et de "restaurations" (5) de la statue, apparemment en 1594, 1650 et 1959, la statue est par ailleurs reconnue par les experts pour être en plein accord avec l'iconographie des Anglais vers le treizième siècle. Cela a été confirmé lorsqu’une inscription apparemment anglaise du Moyen Âge a été découverte sur la statue en 1959, portant la mention "Thou Art Gracious" (Tu es [pleine de] grâce).

Une conclusion orthodoxe anglaise

Un spécialiste des statues médiévales de la Vierge, regardant les photos avant les restaurations récentes et consultant les archives, a suggéré que la "Madonna" originale ressemblait à ce qui existait avant les restaurations de la période catholicisante. Car les restaurations, entre autres depuis 1550, ont placé l'enfant Jésus dans une position couchée et un trône a été ajoutée pour la Mère de Dieu et son voile enlevé et les visages sculptés à nouveau, conformément au goût catholique romain italien.

C'est à partir de ces suggestions, qu’en 1998, Père Théodore Jurewicz, le remarquable iconographe orthodoxe, a été invité à peindre une nouvelle icône de la Mère de Dieu, la Mère de Dieu de Felixstowe, sur le modèle de la reconstruction de l'image originale révérée en ce lieu. Cette icône n'est pas seulement une icône orthodoxe canonique, mais elle est aussi fidèle aux traits de l'iconographie orthodoxe anglaise très conservatrice qui ont survécu dans la Mère de Dieu d’Ipswich.

Nous croyons que cette icône est la re-création fidèle, d’une manière orthodoxe, de "Notre-Dame de Grâce", l'image sainte vénérée depuis des siècles dans le grand sanctuaire de l'Angleterre à Ipswich dans le "Saint Suffolk". C'est cette image qui est aujourd'hui honorée par le peuple chrétien orthodoxe du Suffolk à l’Eglise orthodoxe de saint Félix et de saint Edmund à Felixstowe.

Ainsi, la bénédiction mystérieuse de Notre Dame revient en Angleterre à partir d'une station balnéaire de l'Italie dans une ville balnéaire d'Angleterre: l'histoire fait un tour complet et un tort historique est corrigé. Puisse cette partie du Suffolk redevenir un lieu de pèlerinage en l'honneur de la Mère de Dieu, puisque son sanctuaire est reconstitué.

Très Sainte Mère de Dieu, sauve-nous!


Notes:

(1) Voir l'excellent «The Cult of the Virgin Mary in Anglo-Saxon England (Le Culte de la Vierge Marie en Angleterre anglo-saxonne)», Mary Clayton, Cambridge Studies in Anglo-Saxon England, n ° 2
(2) Je suis très redevable à Stanley Smith La Madone d'Ipswich, Ipswich 1980.
(3) La ville d’Evesham tient son nom de la gardienne de vaches Eoves qui eut en 702 une grande vision de la Mère de Dieu en ce lieu. Le monastère d'Evesham, fondée par saint Egwin, évêque de Worcester, a grandi sur le site de cette vision.
(4) Ceci est très proche de l'endroit où se trouve aujourd'hui le couvent orthodoxe de l'Annonciation à Brondesbury Park.
(5) Plusieurs icônes orthodoxes de la Mère de Dieu, et plus particulièrement celle de Czestochowa en Pologne, ont été soumis à cette restauration catholique », c’est-à-dire repeintes. Sous les couches de peinture, ces icônes sont tout à fait orthodoxes.

Version française Claude Lopez-Ginisty
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