"Dans la confusion de notre époque quand une centaine de voix contradictoires prétend parler au nom de l'Orthodoxie, il est essentiel de savoir à qui l'on peut faire confiance. Il ne suffit pas de prétendre parler au nom de l'Orthodoxie patristique, il faut être dans la pure tradition des saints Pères ... "
Père Seraphim (Rose) de bienheureuse mémoire

jeudi 3 janvier 2019

Jean-Claude LARCHET/Recension : Saint Grégoire Palamas, « Les Cent cinquante chapitres »



Saint Grégoire Palamas, Les Cent cinquante chapitres. Introduction et traduction d’Yvan Koenig. Collection « Patrimoines », Cerf, Paris, 2018, 202 p.

Cet ouvrage du grand théologien byzantin Grégoire Palamas (1296-1359) a l’intérêt de présenter une synthèse de sa pensée et d’être considéré pour cela comme l’une de ses œuvres majeures. 

Il a été rédigé dans les années 1349-1350, alors que la controverse de Palamas avec Barlaam et Akindynos était achevée et que sa théologie avait été officiellement approuvée par le concile de 1347. Avant que ne débute sa controverse avec Nicéphore Grégoras et alors qu’il allait commencer son ministère d’archevêque de Thessalonique, Palamas a profité d’une période de relative accalmie pour présenter un résumé de ses conceptions relativement à celles de ses adversaires. Il l’a fait sous la forme littéraire – qu’avait inaugurée Évagre près de dix siècles plus tôt, mais qui restait en vogue – des kephalaia, c’est-à-dire de courts chapitres laissant beaucoup de liberté à l’auteur dans l’organisation de son exposé, bien qu’en l’occurrence le titre complet du recueil – Cent cinquante chapitres relatifs aux sciences naturelles et théologiques, à la vie morale et ascétique, et qui nous purifie de la souillure barlaamite – indique assez bien son plan général.

La partie la plus caractéristique de l’ouvrage – et la plus attendue s’agissant de Palamas – et celle qui s’étend des chapitres 64 à 150 et qui traite de la Lumière du Tabor et des énergies divines. La partie qui précède (chapitres 1 à 63) est moins attendue, puisqu’elle traite de la structure du cosmos, de son origine et de sa fin (chap. 1-14), puis des facultés de l’homme (ch. 15-20), de la connaissance spirituelle (ch. 21-29), de la nature rationnelle (chap. 30-33), de l’image de Dieu dans l’homme – ce qui amène l’auteur, par analogie, à quelques considérations de théologie trinitaire (chap. 34-40) –, de la chute originelle de l’homme et des modalités de sa guérison (chap. 41-63), cette dernière section se terminant par trois chapitres montrant la supériorité de l’homme sur les anges du fait qu’il a un corps (chap. 60-63).

Contrairement à ce qu’indique la fin de son titre, l’œuvre n’est pas polémique dans sa forme et dans son apparence (les adversaires de Palamas ne sont que peu nommés), mais elle l’est dans son fond, car il s’agit d’un bout à l’autre de présenter la position orthodoxe par rapport aux positions erronées qui venaient d’être développées par Barlaam et Akindynos, sur la question des énergies et de la Lumière divines, mais aussi sur la question connexe de la connaissance humaine et ainsi que sur celle de la nature et du devenir du cosmos, où les deux adversaires de Palamas se montraient influencés par l’humanisme byzantin qui faisait un retour à l’hellénisme antique, et donc aux cosmologies païennes.

Les Cent cinquante chapitres avaient déjà été traduits en français par Jacques Touraille dans le cadre de la publication complète de la Philocalie des Pères neptiques (vol. 10, Bellefontaine, 1990). La nouvelle traduction proposée ici par Yvan Koenig, outre qu’elle est plus juste que celle de Touraille, se fonde sur l’édition critique la plus récente.

Dans une introduction de 60 pages, Yvan Koenig présente les circonstances de la composition de l’œuvre et son genre littéraire, avant d’en proposer un découpage et un résumé. Il ajoute à cela une section sur « La traduction du De Trinitate de saint Augustin et son influence », en relation avec le fait que certains commentateurs ont affirmé, à propos de la section contenant les chapitres trinitaires (chap. 34-40) et d’une autre section contenant des catégories aristotéliciennes (chap. 125-135), une influence sur le docteur hésychaste de l’évêque d’Hippone dont le De Trinitate venait d’être traduit en grec. En accord avec R. Floghaus, Y. Koenig considère que saint Grégoire Palamas a très probablement lu le De Trinitate, mais l’a utilisé à sa manière. Il se réfère à la thèse de Mgr Amphiloque Radovic, Le mystère de la Sainte Trinité selon saint Grégoire Palamas, Cerf, Paris, 2012 (dont il est également le traducteur) pour montrer que la phrase célèbre que l’on trouve dans le chapitre 36 – « cet Esprit du Verbe suprême est tel un ineffable amour de l’Engendreur pour le Verbe lui-même ineffablement engendré » – qui semble presque littéralement empruntée à Augustin, est en fait à comprendre dans le contexte de la théologie palamite des énergies divines.

Yvan Koenig s’en est tenu dans son introduction à une présentation générale, car il entend s’adresser à un public plus large que celui des spécialistes. Comme l’ont fait saint Nicodème l’Hagiorite et saint Macaire de Corinthe qui ont fait figurer ce texte dans leur Philocalie des Pères neptiques, il considère surtout le profit que, pour leur formation, les fidèles peuvent tirer de la lecture de cet ouvrage sur des questions touchant à la cosmologie, à l’anthropologie et à la spiritualité. 

Jean-Claude Larchet

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