Au Monastère de saint Germain d'Alaska
- Père Georges : Vos intérêts ont
changé ?
- Moniale Cornélia : Mes intérêts ont
entièrement changé. Ma conduite a changé, d’elle-même et même sans effort
particulier. Pourquoi était-ce devenu particulièrement difficile au
travail ? Parce qu’à San Francisco, il y a un milieu tout-à-fait impie,
malgré le fait que l’Église orthodoxe russe y soit très forte et que les
reliques de saint Jean de Changhaï y reposent. Mais les gens se comportent parfois
de façon simplement blasphématoire.
Et j’ai compris que je ne pouvais plus
supporter cela à mon travail. Une fois, je me suis tout simplement levée de
table alors que nous buvions du thé avec les collègues et je suis sortie. Pour
eux, c’était l’habitude quotidienne de blasphémer, et c’était déjà devenu pour
moi inacceptable. Aussi, j’ai commencé à penser comment sortir de ce milieu,
qui était pour moi comme une sorte de prison. Et je voulais la liberté.
C’était
le début de la « perestroïka » en Russie. Et beaucoup de Russes
venaient en Amérique, dont beaucoup d’affairistes. Et une personne m’aida à
obtenir illégalement un visa pour l’Union soviétique. Étant déjà orthodoxe, je
décidai d’y aller. J’ai obtenu un congé pour un certain temps au travail, et je
suis venue en Russie, sans savoir ce qui se passerait. Mais avant le départ, une
paroissienne de la cathédrale m'a chargée de transmettre des bottes à un prêtre, elle me
donna le numéro de téléphone de sa sœur. Et il s’avéra que ces bottes étaient
destinées au staretz Adrien du monastère de Pskovo-Petchersky. La sœur de cette
paroissienne m’a amené à Petchory. Je n’avais jamais vu quelque chose d’aussi
beau de ma vie. Je séjournai là, fis connaissance des gens, j'allai tout le
temps à l’église et je demandai la bénédiction pour revenir afin d’y vivre plus
longtemps. On me donna la bénédiction. Et au bout d’un certain temps je revins
à Petchory et j'y restai six mois.
- Père Georges : Vous y viviez en
travaillant au monastère ?
- Moniale Cornélia : Oui. Je vivais dans
la ville et je travaillais au monastère. Bien sûr, Petchory, particulièrement à
cette époque, alors qu’il y avait peu de monastères, était un lieu de haute
importance pour la Russie. Je ne pourrai jamais oublier cette année qui a tout
changé dans ma vie. Et c’est là que j’en suis arrivé à décider de devenir
moniale.
- Père Georges : Et qu’est-ce qui a le
plus influencé cette décision ? Pour une personne issue d’un milieu
protestant, l’idée de monachisme, habituellement, n’est pas très proche.
- Moniale Cornélia : Lorsque l’on est
entouré de moines, le monachisme est perçu comme quelque chose de naturel. Mais
en Amérique, le monachisme est quelque chose d’exotique, surtout à cette époque-là.
Un tel ascétisme diffère tant de la vie qui nous est habituelle, qu’il est
difficile seulement d’y penser. Mais lorsque l’on vit parmi des gens qui le
considèrent comme un phénomène naturel, on commence aussi à avoir la même
attitude.
Je ne voulais pas revenir dans le monde. Aussi, j’ai décidé d’aller
au monastère. Mais j’ai fait ma profession monastique en Amérique. Revenue en
Amérique, j’ai vécu, la première année, en Alaska.
En Russie, j’avais vécu au
moment de la crise, je voyais les étagères vides dans les magasins. Et si je
n’étais pas allée au réfectoire du monastère, je n’aurais rien mangé. La vie
monastique ascétique en Alaska me semblait comme un luxe, parce que je m’étais
habituée en Russie à vivre d’une façon plus ascétique que dans un monastère en
Amérique. C’était le temps où, en Russie, tous les Russes étaient
involontairement des ascètes.
Version française Bernard Le Caro
d'après
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire