- Père Georges : N’était-ce pas repoussant
d’y aller [id est en Russie]? La Russie soviétique était alors représentée en Amérique
comme l’empire du mal!
- Mère Cornélia : Cela produisait
l’effet inverse. Nous avons été élevés durant les années de la « guerre
froide », et comme cela se produit souvent chez les jeunes gens, lorsqu’on
leur dit : « C’est mal, n’allez là en aucun cas », surgit le
souhait insurmontable d’y aller. Probablement, cela a aussi excité mon intérêt,
lorsque je lisais beaucoup sur la Russie. Or, le premier livre que j’ai lu sur
la Russie, était « Nicolas et Alexandra », sur la dernière famille
impériale russe. Il avait été écrit par Robert Massie, qui est très connu
pour ses romans sur la Russie prérévolutionnaire. Il y avait là, naturellement,
pas mal de « sensationnel », sur Raspoutine et autres. Mais aussi
autre chose : il y avait une façon de vivre étonnante pour moi : tout
en étant des monarques, c'étaient des gens pour lesquels la foi chrétienne
constituait une partie essentielle de la vie. C’étaient des gens profondément
croyants, et tout, dans leur vie, était construit autour de la foi. Aussi,
lorsque s’est présentée la possibilité pour moi d’étudier à Leningrad, j’ai récolté
des fonds et je suis partie.
-
Père Georges : Et quelles ont été vos impressions ?
- Moniale Cornélia : De toutes sortes.
C’était déjà, on peut le dire, le crépuscule du communisme. Bien sûr, les gens
étaient intéressants. On nous emmenait faire diverses excursions. Je me
rappelle particulièrement une excursion à Novgorod. Le monastère Saint-Georges
était alors un musée. On nous y a amenés. Dans le narthex de l’église se
trouvait une exposition d’athéisme avec différents placards primitifs de
propagande antireligieuse. Ensuite, nous sommes entrés dans la nef, et là nous
avons vu les fresques russes anciennes. Je regarde : l’image du Christ,
les thèmes évangéliques ! J’étais tout-à-fait abasourdie. C’était une
prédication si éloquente du christianisme, particulièrement de l’Orthodoxie, et
ce au moment où, à l’entrée on voit ce primitivisme, puis, dans l’église même
on voit de telles choses… On voit ce que les gens peuvent faire lorsqu’ils sont
animés par des sentiments religieux, et ce qu’ils font, quel art ils
fabriquent, lorsque ces sentiments sont absents. Ce contraste m’a ébranlé
profondément. Bien que je ne comprenais encore rien de l’Orthodoxie, parce
qu’elle me restait inconnue. Je me suis rappelée encore d’un moment intéressant.
Lorsqu’une fois, je sortаis d’une église à Leningrad, je vis un vieil homme
assis sur un banc. Je ne sais qui il était, et je ne le saurai jamais. Il était
assis et regardait les jeunes gens sortir de l’église. Et il souriait tant en
nous regardant, quelle bonté jaillissait de lui ! C’était si inhabituel,
que je m’en suis toujours rappelée. Peut-être, qu'il priait pour nous.
- Père Georges : Alors que vous êtes
rentrée en Amérique, avez-vous rencontré l’Orthodoxie ?
- Moniale Cornélia : Oui, bien qu’alors
je ne pensais pas devenir orthodoxe. À mon retour, j’ai fini mes études à
l’université et je suis partie à San Francisco. J’ai vu les églises orthodoxes,
il y a là une grande diaspora russe. Et il y avait déjà l’immense cathédrale,
bâtie par l’archevêque Jean de Changhaï. Il n’était plus de ce monde. Il y
avait aussi un couvent féminin. Je me rappelle que, lorsque j’ai vu cette
église pour la première fois, je voulus y entrer, poussée par mon amour pour la
Russie. Mais une vieille femme, devant la porte, à laquelle j’avais demandé si
je pouvais entrer, me répondit : « Non ! L’église est fermée, va-t'en ! ».
Cette réponse m’avait à ce point repoussée que je n’avais pas osé lui demander
quand on pouvait venir. Ensuite, j’ai vu une petite église dans une autre rue.
C’était simplement une maison que l’on avait transformée en église. On avait
bâti une coupole, avec une croix orthodoxe. J’ai pensé : « Que c’est
intéressant ! Je vais regarder ». J’y suis allé. Une jeune moniale
est sortie. Je lui dis que je m’intéressais à la culture russe, que j’avais
étudié à Leningrad. Elle a répondu : « Je suis aussi de
Leningrad ». Derrière elle se tenait une femme âgée, habillée tout en
noir. Je ne comprenais pas pourquoi elle portait ce vêtement noir. Et la femme
âgée dit : « Avec qui parles-tu ? Va-t'en ! ». Après
cela, je cessai d’entreprendre des tentatives pour entrer dans une église russe.
Je n’accuse pas ces gens, je comprends que mon temps n’était pas encore venu,
je n’étais pas encore prête. Et si j’étais entrée, peut-être, je n’aurais rien
ressenti d’autre que de la curiosité.
- Père Georges : Comment alors avez-vous
fait connaissance de l’Orthodoxie après tant de tentatives ratées ?
- Moniale Cornélia : Il est arrivé que mes connaissances appartenant à la secte « New Age », que je
fréquentais à un certain moment à l’université, s’étaient aussi retrouvées à San
Francisco. Depuis le temps où nous avions fait connaissance, de nombreuses
années s’étaient écoulées et il s’est avéré qu’elles s’étaient converties à
l’Orthodoxie entre-temps. Tout le groupe s’était converti, principalement après
avoir lu les œuvres du père Séraphim (Rose). Lorsque je les ai rencontrés, ils
m’ont dit : « Il te faut absolument venir avec nous quelque part. On
y lira des conférences. Laisse tout et viens avec nous ! »
Ce lieu
était un monastère en Californie du Nord, dans un endroit perdu, dans la forêt,
dans les montagnes. C’était étrange, d’autant plus que c’était pendant les
congés, et je pensais que l’on aurait pu sortir ailleurs. Nous nous sommes
assis dans la voiture, nous avons roulé pendant cinq heures. Nous sommes
arrivés. Il y avait un tel paysage, indescriptible, près du monastère ! Et
bien sûr, c’était très exotique pour moi. J’ai dû trouver une jupe, on m’a dit
qu’autrement, on n’était pas à l’aise… On m’a donné un fichu. Je suis restée.
Les conférences étaient très intéressantes. Mais lorsqu’elles se terminèrent,
il s’avéra que des vigiles nocturnes auraient lieu, c’était la fête patronale.
Elles commenceraient à 18h et dureraient sept heures. J’ai pensé « Que
faire ? Comment partir d’ici ? ». Je suis restée. J’ai persévéré.
Les vigiles nocturnes ont duré toute la nuit. Et j’ai compris : c’était là
ce à quoi aspirait mon âme. Tout pour ainsi dire coïncidait. Je compris que
l’amour envers la Russie provenait de ma recherche de la véritable foi, de la
véritable image du Christ. Cette véritable image du Christ, je la voyais dans
les icônes dans les monastères qui avaient été transformés en musées. Et ici,
on m’expliqua tout clairement en anglais. J’étais très enthousiaste et j’ai
dit : « Dans une semaine ou deux, je reviendrai et recevrai le
baptême ». C’est ce que j’ai fait. Bien sûr, le Seigneur appelle chacun
individuellement. Probablement qu'il m’aurait fallu un peu plus de catéchisation.
Parce que après le baptême, tout change fondamentalement dans l’âme. Et le
besoin a surgi en moi de changer ma vie. Ce fut très brutal. Il fallait tout
changer. Des amis m’ont quittée, et ce fut difficile au travail.
Version française Bernard Le Caro
d'après
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