"Dans la confusion de notre époque quand une centaine de voix contradictoires prétend parler au nom de l'Orthodoxie, il est essentiel de savoir à qui l'on peut faire confiance. Il ne suffit pas de prétendre parler au nom de l'Orthodoxie patristique, il faut être dans la pure tradition des saints Pères ... "
Père Seraphim (Rose) de bienheureuse mémoire

vendredi 9 mai 2025

Un étudiant Allemand qui défia Hitler et fut glorifié par l'Eglise Orthodoxe

Saint Martyr Alexandre

Pour beaucoup, la Seconde Guerre mondiale concerne la victoire sur l'Allemagne nazie, les prouesses militaires, les batailles et les héros. Mais les aspects spirituels de cette guerre sont souvent négligés. Nous devons rendre pleinement justice aux personnes qui n'ont pas eu peur de se tenir du côté de la vérité contre le mal, et de prendre leur force dans leur foi profonde et authentique. Alexandre Shmorell, étudiant allemand, se considérait comme Russe en esprit. En 1942, il créa le mouvement de la Rose Blanche à Munich, groupe de résistance des jeunes contre Hitler. Il prit sur lui la croix d'éveiller la conscience malade de ses compatriotes et la porta jusqu'à la fin.

 


La vie avant la guerre et l'amour pour la mère patrie

Alexander Schmorel naquit à Orenburg, en Russie, juste avant la révolution d'octobre 1917. Son père, médecin de profession, était un Allemand d'origine ethnique et sa mère venait de la famille d'un prêtre russe. Il perdit sa mère tôt - elle mourut du typhus alors qu'Alexandre n'avait que deux ans. Le garçon grandit sous la garde de son père et de sa nourrice. Deux ans plus tard, son père épousa une Allemande et la famille déménagea à Munich.




Il fut baptisé orthodoxe et élevé dans la foi selon les souhaits de sa mère, même si son père était protestant et sa belle-mère catholique. Pour le garçon, la pratique de la foi n'était pas une formalité. Il devint  paroissien actif de l'Église orthodoxe de Munich. Il grandit dans un amour et un respect profonds pour la Russie et sa culture, et le russe était parlé chez lui. Sa famille était parmi les lecteurs passionnés de Gogol, de Tchekov et de Dostoïevski et elle avait des amis parmi les immigrants russes. Alex partageait souvent avec ses amis son amour pour la culture russe, sa profondeur, sa chaleur et son mystère.

Avant d'entrer à l'école de médecine en 1937, Alexandre effectua son service militaire obligatoire. Alors qu'il était dans l'armée, il refusa de prêter serment d'allégeance à Hitler, et seul un miracle le sauva d'une punition cruelle. Il prêta serment plus tard pour protéger sa famille des représailles. Servant en Autriche, il suivit des cours de médecine, souhaitant sauver la vie des gens, et non la détruire. Pendant l'invasion de la France en 1940, il servit dans la compagnie médicale.



Après son retour à Munich, Alex Schmorell entra à l'école de médecine. Là, il se lia d'amitié avec ses camarades de classe partageant les mêmes idées. Avec ses trois amis les plus proches - Hans Scholl, Christoph et Angelika Probst - il fonda un mouvement de résistance de jeunes gens. Il inspira également à ses amis un amour profond pour la Russie et un intérêt pour sa culture et sa langue.

Il souhaitait la libération de sa patrie de la domination bolchevique, mais apprit la nouvelle de l'invasion de l'Union soviétique par l'Allemagne avec tristesse et consternation. Cela lui donna beaucoup de peine d'observer la chute morale et spirituelle de l'Allemagne sous la domination nazie. Il aimait la Russie, mais il n'aimait pas moins l'Allemagne.


Le mouvement de la Rose Blanche

Au début de 1942, Alex Schmorell et Hans Scholl rencontrèrent  Manfred Eickemeier, un artiste. Il les sensibilisa aux meurtres de masse de Juifs dans les ghettos allemands commis sous l'écran de fumée des célébrations nationales des victoires militaires allemandes. La réunion donna aux étudiants la dernière impulsion afin d'agir pour ouvrir les yeux de leurs compatriotes allemands sur le mal fait en leur nom. Bientôt, ils distribuèrent leur premier tract de résistance. Voici un extrait littéraire : « Si tout le monde attend que quelqu'un d'autre commence, les messagers de la Nemesis vengeresse se rapprocheront sans cesse. Et puis le dernier sacrifice aura été jeté insensément dans les mâchoires du démon insatiable. »

Pour faire des copies des tracts, Hans et Alex obtinrent un gelligraphe. Ils se procurèrent également des enveloppes et des timbres pour envoyer les copies aux adresses des carnets d'adresses. Ils distribuèrent 100 exemplaires à Munich. Leur dépliant suivant fut imprimé à 1000 exemplaires et diffusé à Munich et dans d'autres villes d'Allemagne et d'Autriche. Les tracts ultérieurs ne furent pas envoyés par la poste. Au lieu de cela, les militants laissèrent les tracts dans les cabines téléphoniques, les magasins, les voitures et les boîtes aux lettres.




Le texte montrait aux autres Allemands qu'Hitler menait leur patrie dans un abysse "avec une certitude mathématique". Il était plein de ferveur romantique juvénile, mais transmettait aussi un esprit chrétien. Le dépliant déclarait : « Chaque mot qui sort de la bouche d'Hitler est un mensonge. Sa bouche est la gueule malodorante de l'Enfer, et sa puissance est au fond maudite. » Les membres appartenaient à différentes confessions chrétiennes : Hans et Sophie Stoll étaient luthériens, Christoph Probst et Willy Graf étaient catholiques, Alex Schmorel était orthodoxe. En tant que croyants au Christ et à Son amour parfait, ils dénonçaient Hitler comme son contraire exact, associé du mal et défenseur d'une idéologie inhumaine. Ils rappelaient aux gens la nécessité de s'éloigner du mal en se tournant vers le vrai Dieu. « La religion seule peut faire revivre l'Europe et assurer les droits des nations et installer le christianisme dans son office de paix visiblement sur cette terre avec une nouvelle gloire », peut-on lire dans le 4eme tract. Dans la même lettre, pour la première fois, le slogan de l'association apparut : « Nous ne resterons pas silencieux. Nous sommes votre mauvaise conscience. La Rose Blanche ne vous laissera pas seuls ! » Les étudiants ne disaient pas ce que signifiait le nom de leur association ; plus tard, lors des interrogatoires, il s'avéra que pour tout le monde, cela signifiait quelque chose de différent.


Retour en Russie

À l'été 1942, Alex et deux de ses amis de la Rose Blanche furent envoyés sur le front de l'Est. Ils servirent principalement à Gzhatsk, petite ville à l'extérieur de Smolensk. Ils ne se battirent pas en première ligne, mais soignèrent les blessés à l'hôpital. Grâce à leur travail, ils pouvaient entrer en contact avec les médecins russes et les Russes ordinaires avec lesquels ils se lièrent d'amitié. Ils passèrent  leurs soirées à lire les romans de Dostoïevski. Alexander, étudiant en médecine, aidait les blessés allemands et russes. Alexander se souciait des soldats allemands, mais aussi des soldats russes.




Dans sa lettre à sa famille, il admirait la bonté, la générosité et la foi du peuple russe. Il envisaga même  de rester en Russie, mais il changea d'avis à la nouvelle de l'arrestation de Hans Stoller pour une remarque critique sur Hitler. Il retourna en Allemagne pour continuer la cause de la résistance avec ses amis.

 

Un appel à tous les Allemands

Le mouvement de la rose blanche reprit son activité avec vigueur. Au début de 1943, il distribua sa cinquième brochure "Un appel à tous les Allemands". Les étudiants le montrèrent à leur professeur Kurt Huber, qui corrigea ses passages les plus radicaux et laissa l'impression aller de l'avant. Six mille exemplaires du tract atteignirent les résidents de Salzbourg, Linz, Vienne et Francfort. La réaction fut mitigée - beaucoup ignorèrent le texte, certains étaient indifférents et d'autres remirent les copies à la police étant indignés. La police secrète allemande trouva le texte plus mature qu'au début. Impressionné par l'ampleur de la distribution, il prit l'affaire au sérieux et commença une enquête.




À cette époque, la position de l'Allemagne sur le front de l'Est se détériora. L'armée soviétique remporta la bataille de Stalingrad en février 1943 et força l'armée allemande à se retirer. Pendant les jours de deuil national en Allemagne, des membres de la résistance étudiante peignirent les murs des rues centrales de Munich avec des graffitis anti-nazis. Les inscriptions en noir disaient: « Hitler est un meurtrier ! », « Débarrassez-vous d'Hitler ! », « Liberté ! ». La police secrète offrit de grosses récompenses pour l'aide à l'arrestation des suspects. Cela n'intimida pas la Rose Blanche.

Le sixième tract à tous les étudiants, fut préparé par le professeur Kurt Huber. Aux couleurs vives, il décrivait l'image dégoûtante de l'Allemagne à cette époque, la personnalité despotique d'Hitler et l'indifférence du peuple allemand. Huber en appelait ainsi aux étudiants : « Le nom allemand sera à jamais diffamé si la jeunesse allemande n'apparaît pas enfin... si elle ne brise pas son bourreau et n'élève pas une nouvelle Europe intellectuelle. Etudiants ! La nation allemande se tourne vers nous ! En 1943, elle attend de nous la rupture de la terreur nationale-socialiste par la puissance de l'esprit, tout comme en 1813 la [terreur] napoléonienne fut brisée. »

Image du film sur la Rose Blanche

 

Les militants distribuèrent les tracts dans leur université. La police suivait déjà Hans et Sophie Scholl, mais ils ne se cachaient pas. Au lieu de cela, ils vinrent à l'université avec une valise de tracts et les déposèrent devant les portes de la salle de classe et dans la cour intérieure. La police les arrêta la même nuit. Christoph Probst fut placé en garde à vue le matin, et tous trois furent exécutés trois jours plus tard. Peu de temps après, la police secrète est vint chercher pAlex Schmorell et le professeur Kurt Huber.

Partir avec un sentiment d'accomplissement

Sous interrogatoire, Alexander ne cacha pas son amour pour la Russie. « J'ai un grand amour pour la Russie, et je l'admets sans réserve. Ma mère était russe, j'y suis né - comment pourrais-je ne pas y être sensible ? Je n'ai jamais tiré sur un Russe, et je ne tirerais jamais sur un Allemand. » Il subit également une torture cruelle, et cela ne fut pas enregistré. Ses compagnons de cellule se sont souvenus qu'il avait vécu une horreur. Le tribunal le condamna à mort par guillotine. Il était prêt pour cet épilogue et n'en attendait pas d'autre. Dans une lettre à sa famille, Alexandre écrivit : « Mon cœur est plein de lumière et de joie. Soyez pas surpris. J'ai accompli le but de ma vie. Si on m'offrait un sursis, je n'accepterais pas. Je ne serais pas d'accord si quelqu'un d'autre y allait à ma place. Je suis jeune, mais je pars avec le sentiment que la mission de ma vie est terminée. »

À l'approche de l'heure de son exécution, il fut prêt à faire face à son destin avec amour et gratitude pour Dieu, et soumission à Sa volonté. « Gloire au Seigneur en toutes choses ! Nous n'avons dénoncé personne. Je Le remercie pour Son don de force en résistant à Satan. Nous partons, mais nous avons ouvert les yeux de nombreux Allemands à la vérité », écrivit Alexandre onze jours avant sa mort. Sa dernière lettre - écrite quelques heures avant sa mort - disait : « Plusieurs heures plus tard, je rejoindrai ma mère bien-aimée dans une autre vie. Mais je me souviendrai de vous et je prierai le Seigneur pour qu'Il vous donne la paix et le réconfort. Et j'attendrai notre réunion. Que la pensée de Dieu soit toujours avec vous dans votre cœur et votre esprit. »

Son avocat s'arrangea pour qu'un prêtre lui rende visite avant l'exécution. Alexandre se confessa et reçut la Sainte Communion. Lorsque l'avocat le vit pour la dernière fois, son visage brillait de joie et de paix. Alex Schmorel et Kurt Huber sont morts le 13 juillet 1943.




Aujourd'hui, les membres de la Rose Blanche sont honorés comme des héros en Allemagne et au-delà. Le mémorial à l'entrée principale de l'Université de Munich comporte des piles de tracts coulés en bronze, en hommage à leur courage.

Le 5 février 2012, l'Église orthodoxe russe hors frontières glorifia Alexandre en tant que saint vénéré localement. 

Pour le Seigneur, rien n'est sans signification. Les jeunes cœurs courageux se sont soulevés pour la vérité contre le mal. Cela ressemblait à une bataille perdue, mais à la fin, ils gagnèrent. Nous devrions donc, en tant que chrétiens, suivre l'exemple de saint Alexandre dans notre défense de l'amour, de la vérité et de la justice.




Version française Claude Lopez-Ginisty
d'après


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