Aux XVIe-XVIIIe siècles, l'Église grecque, bien que
limitée dans ses contacts avec le monde extérieur jusqu'aux frontières de
l'Empire ottoman, subit une grande influence du christianisme occidental - plus
grande que l'Église russe. Ici, la propagande catholique travailla plus
efficacement, surtout avec la fondation en 1622 de la Sacrée Congrégation de la
Propagande de la Foi, car tant les érudits grecs que les théologiens avaient
des contacts croissants avec l'Occident et la plupart d'entre eux y étudiaient.
Ces facteurs et d'autres conduisirent l'Église grecque en grande partie à subir
une métamorphose occidentale, selon l'expression du Père George Florovsky.
Une des manifestations d'une telle métamorphose fut
l'introduction de la vente des indulgences chrétiennes dans la pratique de
l'Église grecque[1]. Il s'agissait de véritables indulgences : des certificats
qui absolvaient les péchés, que n'importe qui pouvait obtenir, souvent pour une
certaine somme d'argent. L'absolution accordée par ces documents, selon
Christos Yannaras, n'avait aucun rapport avec la participation des fidèles au
Mystère de la Pénitence, ni au Mystère de l'Eucharistie[2].
Il est difficile de déterminer quand les Grecs
vivant sous le joug turc commencèrent à utiliser des indulgences. Elles étaient
assez répandues au XVIe siècle. Au début du XVIIIe siècle, le Patriarche de
Jérusalem, Dosithée Notaras, écrit des indulgences selon une tradition ancienne
et bien connue. "Nous avons la coutume et l'ancienne tradition, qui est
connue de tous, que les très saints Patriarches donnent aux gens de l'Église un
certificat pour l'absolution de leurs péchés (Sinhorohartion)"[3].
La pratique des indulgences, qui existait au début
officieusement, fut officiellement confirmée par le Concile de Constantinople
en 1727. Ce Concile fut appelé en réponse à la propagande latine croissante,
qui se répandait principalement en Syrie, en Mésopotamie, en Palestine et en
Égypte, et c’était également la suite du Concile de Constantinople de 1722.4]
Ce Concile publia "La Confession de Foi"[5], dont le texte fut
compilé par le Patriarche de Jérusalem Chrysanthe (+ 1731), et signé par ces
patriarches : Païssi II de Constantinople, Sylvestre d'Antioche, et Chrysanthe
de Jérusalem, ainsi que les hiérarques situés à cette époque à Constantinople
et participant au Concile
Ainsi, dans la 13e clause du document, il est dit :
"La puissance du pardon des péchés, que l'Église orientale du Christ
appelle "certificats d'absolution" lorsqu'ils sont donnés par écrit,
mais par les Latins [id est par les catholiques] "indulgences", est
donnée à la Sainte Église par le Christ. Ces certificats d'absolution sont
délivrés dans toute l'Église catholique par les quatre très saints Patriarches:
Constantinople, Alexandrie, Antioche et Jérusalem"[6].
Comme on le voit dans les deux sélections, du
Patriarche Dosithée et du Concile Constantinopolitain, la délivrance des
indulgences était liée au pouvoir des Patriarches orthodoxes. L'attribution aux
Patriarches (et seulement à eux, comme on peut le voir dans le texte de la
"Confession") du pouvoir de pardonner les péchés et de délivrer des
certificats spéciaux était une déformation des rudiments de l'ancienne
institution de la Pentarchie, qui fut formulée après le IVe Concile œcuménique
et subit une crise indubitable à l'époque du gouvernement turc et de la
diffusion de l'influence latine. Dans la conscience des Grecs de l'époque, qui
s'étaient alors habitués aux stéréotypes occidentaux, le pouvoir des
patriarches orthodoxes était en grande partie associé au pouvoir du Pape
romain.
Dans leur polémique avec la latinité, les Grecs
n'ont pas tant mis en doute le phénomène des indulgences, mais plutôt le fait
que les Papes romains s'attribuaient exclusivement à eux-mêmes ce droit de
pardonner les péchés. Ainsi, dans
la 13e clause de la confession du Concile, il est dit, "dire que le
pouvoir de délivrer (les indulgences) est possédé uniquement par le Pape de
Rome, est un pur mensonge"[7].
Il est remarquable que même un théologien et expert
de la tradition canonique de l'Église comme le Vénérable Nicodème de la Sainte
Montagne ne se soit pas seulement opposé à la pratique des indulgences, mais y
ait participé. Ainsi, dans sa lettre à Païssi, évêque de Stagonas, qui vivait
alors à Constantinople, datée d'avril 1806, il lui demande d'obtenir un
certificat d'absolution au Patriarcat pour un moine "vivant",
également appelé Nicodème, et de le lui envoyer. Il lui promet qu'il lui
enverra l'argent nécessaire pour acheter le certificat dès qu'il saura combien il
en coûtera[8].
Les indulgences comme moyen d'enrichissement ont été
condamnées au Concile de Constantinople en 1838. Ce Concile, comme le Concile
de l'année 1727, était consacré à l'extermination des dogmes et usages latins.
Son thème principal était l'Uniatisme. Une encyclique, publiée par le Concile, fut
signée par le Patriarche de Constantinople, Grégoire VI et le Patriarche de
Jérusalem, Athanase, ainsi que par onze responsables du Synode
Constantinopolitain. Le texte fut également envoyé aux Patriarches absents,
Hiérothée d'Alexandrie et Méthode d'Antioche[9].
Dans la neuvième clause de l'encyclique, on condamne
"l'usage horrible et inouï d'un usage maléfique, provenant de l'arrogance,
par lequel les évêques de Rome utilisent les articles les plus sacrés et les
plus impressionnants de la sainte foi chrétienne comme moyen de recueillir des
fonds"[10] La seule chose à laquelle cette condamnation s'attaque est la
prise d'argent pour la réparation des péchés, même seulement dans les années
Jubilaires.
L'existence d'indulgences en soi, une fois de plus,
ne fait pas l'objet d'une évaluation théologique nécessaire par un Concile. De
même, dans cette encyclique, la pratique de l'Église grecque, analogue à celle
condamnée par le Concile, n'est ni mentionnée ni condamnée. En outre, il était
difficile, même pour les décisions du Concile, d'éliminer une pratique aussi
enracinée dans la population. L'enracinement populaire de cette pratique est
attesté par le fait que les "certificats d'absolution" ont duré en Grèce
jusqu'au milieu du XXe siècle[11].
Version française Claude
Lopez-Ginisty
d’après
NOTES :
1] Il existe une étude spéciale à ce sujet de Philip
Ilios : Sygkhorokhartia : The History, Athènes, vol. 1 (1983) pp. 35-84, vol. 3
(1985), pp. 3-44. Voir également Chr. Yannaras, Orthodoxia kai Dysi sti Neoteri
Ellada (L'orthodoxie et l'Occident dans la Grèce des temps les plus récents).
2] Christos Yannaras. Op. cit. 31996, p. 150
3] A. Papadopoulos-Kerameus, Symvolai eis tin
istorian tis arkhiepiskopis tou orous Sina (Towards a History of the
Archbishopric of Sinan). Saint-Pétersbourg, 1908. p. 133.
4] Pour le texte de l'encyclique publiée par le
Concile de 1722, voir I. Karmiris : Ta Dogmatika kai Symvolika mnimeia tis
Orthodoxou Katholikis Ekklisias (Les monuments dogmatiques et symboliques de
l'Église catholique orthodoxe) Graz, Autriche, 21968, pages 822-859
5]I. Karmiris. Op. cit. 21968, pp. 861-870
6] I. Karmiris. Op.cit, 21968, pp.867-868.
7] I. Karmiris. Op.cit. 21968, p. 868
8] Philip Ilios : Sygchorochartia // Ta istorika,
Athènes. Vol. 3 (1985), 22-23.
9] Son texte a été publié dans : I. Karmiris, op.
cit. p. 894 à 902.
10] I. Karmiris. Op. cit. p. 898.
Ainsi, par exemple, Philip Ilios produit une
indulgence datée de 1955 !
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