Récemment, Son Éminence le Métropolite Hiérothéos de Nafpaktos a fait le commentaire que "tous les autres Patriarcats ne portent le titre que par l'économie et le bon plaisir de Constantinople. En un sens, ce ne sont pas des Églises autocéphales pleines et complètes, car elles existent à la discrétion du Patriarcat de Constantinople et leur existence n'ont jamais été ratifiées par aucun Concile œcuménique".
Cela ne reflète pas exactement la structure d'autorité de l'Église, ni le contexte des conciles œcuméniques. La déclaration du Métropolite suppose que les décisions des conciles œcuméniques sont la plus haute autorité dans l'Église. Le Patriarche de Serbie, cependant, a plus raison d'affirmer dans sa lettre au Patriarche Bartholomée (13 août 2018) que les autocéphalies des Églises sont fondées sur des circonstances historiques et sur l'accord pan-orthodoxe de toutes les Églises, les reconnaissant comme l'autorité principale.
Le Métropolite Hiérothéos ne reconnaît pas qu'un Concile œcuménique n'a pas d'autorité propre. IL reçoit son autorité comme "œcuménique" en vertu du fait que toute l'Église l'accepte comme faisant autorité. Si toute l'Église accepte les autocéphalies actuelles comme authentiques, alors aucun Concile œcuménique n'est nécessaire. Si Constantinople veut changer ou abolir l'ordre actuel, il va à l'encontre d'un accord qui existe déjà. Ainsi, son nouvel ordre sera celui qui ne sera pas substantiel et qui n'existera pas comme "plein" sans l'approbation de toutes les autres Églises. Le Métropolite Hiérothéos inverse les choses et place le "bon plaisir" de Constantinople au-dessus du "bon plaisir" de l'ensemble. Historiquement et ecclésiologiquement, aucune partie de l'Église n'a l'autorité absolue ou le dernier mot, seulement avec l'accord de l'ensemble. Souvent le premier mot d'autorité vient d'un endroit inattendu, quelqu'un qui n'est pas immédiatement responsable (un diacre d'Alexandrie, un évêque d'Ephèse, un moine dans le désert) et puis le final est élaboré avec le temps comme quelque chose de conciliaire. La vie, l'ordre et la vérité de l'Église ne sont pas du ressort d'un seul Patriarcat ni d'un seul Concile. Constantinople a peut-être émis les différents Tomoi, mais ce sont les circonstances historiques et la reconnaissance des autres Églises qui ont pris la décision finale.
J'aimerais souligner qu'il y a deux ecclésiologies différentes qui flottent en ce moment, et que tout le monde n'a pas vraiment examiné les implications ou les sources des points de vue qu'elles défendent, alors il est bon de les mettre davantage en lumière. Le premier point de vue est ce que l'on pourrait appeler la vision institutionnelle politique de l'autorité dans l'Église. La source de ce point de vue est l'exemple du fonctionnement des organisations politiques dans le monde. Par exemple, dans le monde, l'autorité finale appartient à un président et à un congrès, ou à une cour suprême dans le domaine judiciaire, ou encore à un autocrate de quelque sorte. Ce qui est commun à tout cela, c'est que l'autorité finale repose sur un homme ou un groupe d'hommes au sommet d'une sorte de structure d'autorité artificielle.
Le point de vue politique et institutionnel de l'Église postule une telle structure d'autorité. L'autorité repose sur une structure hiérarchique-synodale panorthodoxe particulière, telle qu'un concile œcuménique ou panorthodoxe, ou dans le domaine judiciaire, elle repose sur le Patriarcat de Constantinople, ou dans l'Église catholique, elle repose sur le Pape comme autocrate. Alors que dans une nation, cela reflète la compréhension de soi-même du système juridique d'une nation, l'Église a une compréhension différente d'elle-même.
L'autre ecclésiologie comprend l'Église comme une structure spirituellement centrée sur la Christologie. L'autorité finale n'incombe pas à un évêque suprême, mais à l'esprit de l'Église dans son ensemble, qui est l'esprit du Christ. Cet esprit devient évident au fil du temps au fur et à mesure qu'une lutte se déroule pour se soumettre à la vérité de Qui le Christ est, et de Ses buts, moyens et opérations.
Qu'est-ce que cela signifie dans la vie réelle ? Eh bien, dans l'ordre des choses du monde, la décision d'un organe suprême donné est l'ordre des choses le plus élevé. Si la Cour suprême se réunit et décide de ce que la loi signifie, c'est la fin de l'histoire. Le seul recours est la soumission ou la révolution.
Cependant, l'Église n'a jamais eu de "loi suprême" - pas même les conciles panorthodoxes. Parmi les conciles panorthodoxes convoqués par les empereurs à des occasions spéciales, certains ont été rejetés comme des conciles de brigandage, et d'autres ont été acceptés comme "œcuméniques", c'est-à-dire comme exprimant la vérité universelle de l'Église. Quelle autorité a pris la décision de savoir quel concile accepter et lequel rejeter ? Qui décide quelle est la vérité universelle de l'Église ? Pas le concile lui-même. Pas d'Église locale en particulier. Au contraire, un concile n'a reçu l'autorité comme oecuménique qu'après avoir obtenu l'accord de l'Église dans son ensemble. Cet accord est le fruit d'une démarche organique et non institutionnelle. Comme le note saint Justin Popovitch, l'Église est un organisme divino-humain, et non une institution humaine.
Il convient également de noter que les décisions d'un Concile œcuménique ne sont pas rendues définitives par les conciles ultérieurs, mais que les conciles ultérieurs ne font que confirmer ce qui est déjà reconnu et accepté.
Le terme "Theotokos" est-il devenu un terme faisant autorité pour la Vierge seulement après avoir été confirmé au concile ? Ou bien était-ce d'abord l'autorité par l'usage traditionnel et l'accord général, et le concile l'a simplement reconnu au milieu de la confusion créée par Nestorius? De même avec les canons. La vie disciplinaire de l'Église n'est pas propagée par les conciles comme une sorte de précédent juridique. La vie disciplinaire de l'Église fait plutôt partie de sa vie pastorale et pratique fondatrice, et les canons disciplinaires sont présentés comme des réponses à des situations historiques particulières afin d'aider à maintenir cette vie droite et en ordre. Contrairement à une cour suprême ou à une décision du Congrès, les Conciles ne sont pas une source de législation, mais plutôt un centre de vérité autour duquel des éclaircissements peuvent être apportés en pleine confusion.
Dans l'Église, il y a de la place pour que le Christ agisse. Il n'y a pas une seule source politique suprême d'autorité pour créer l'ordre, mais plutôt l'ordre du Christ en tant que Logos est la base de la vie de l'Église Son ordre construit dans la création et qui trouve sa plus parfaite expression dans les saints, et qui est une présence active et vivante dans la vie de l'Église. Dans l'Église, cet ordre n'est pas promulgué comme une loi faite par un homme, mais il est reconnu et soumis comme venant du Christ et par le Christ. Il y a une reconnaissance mutuelle du Christ en chacun et en tous - des personnes qui reconnaissent le Christ dans les évêques et qui leur obéissent, et des évêques qui reconnaissent le Christ les uns dans les autres, et de tous qui reconnaissent l'exemple et l'enseignement que le Christ et les saints nous ont laissé sur ce que nous sommes comme Ecclesia.
Les circonstances historiques font aussi partie de l'autorité providentielle de Dieu qui intervient dans l'ordre administratif de l'Église. Constantinople a été élevé au second rang contre la volonté de Rome, mais cet ordre a finalement été accepté comme faisant partie des circonstances historiques. Les différents changements de frontières, la perte et la réinstitution des autocéphalies ont été, dans une large mesure, motivés par les circonstances politiques. L'Église fait ce qu'elle peut pour assurer à la fois la stabilité et la flexibilité afin qu'elle puisse mieux vivre son dessein de sanctifier les peuples parmi lesquels elle demeure. Mais cette compréhension pastorale et spirituelle de l'organisation de l'Église est très différente d'une compréhension politique de son organisation.
L'objectif d'une organisation politique est l'auto-préservation et l'augmentation de son propre pouvoir. Elle s'organise pour promouvoir cet objectif, et cette auto-conservation est comprise en termes de certains pouvoirs matériels, de structures et de ressources. Le but de l'Église est de réaliser la déification de l'humanité et, en fin de compte, de toute la création. Elle s'organise de manière à atteindre cet objectif. Ainsi, une partie de ce qui détermine l'organisation de l'Église est l'économie divine.
L'économie n'est pas simplement une sorte de condescendance de la part d'une autorité à l'égard de ceux qui sont inférieurs. L'économie est plutôt la bonne gestion domestique de Dieu pour réaliser le salut de l'humanité. Elle opère dans le cadre et en dépit de l'évolution de la situation politique. La flexibilité de cette économie est démontrée par la façon dont l'Église russe s'est épanouie spirituellement, même lorsque les tsars ont aboli le Patriarcat en faisant une Église synodale, et elle a continué à produire des saints lorsque les communistes ont aboli toute la structure hiérarchique du pouvoir. Cette économie a fonctionné même sous les manières contre nature des Ottomans de mettre en place et de se débarrasser de divers patriarches. La sainteté y vivait encore et s'y épanouissait. Aucune structure administrative n'est absolue dans la vie de l'Église. Au contraire, il y a toujours un ajustement aux circonstances, bonnes ou mauvaises, dans lesquelles l'Église se trouve. Ce qui est cohérent, ce n'est pas une structure institutionnelle-administrative ou une source d'autorité, mais plutôt un certain mode de vie dans le Christ. C'est le manque de connaissance de cette Voie qui peut causer tant de confusion.
En résumé, nous pouvons dire que les Églises autocéphales actuelles existent à la discrétion et au bon plaisir du Christ. Leur existence a été réalisée sous la providence de Dieu en raison de circonstances historiques. Elles existent selon l'économie de Dieu - selon Sa décision qui est la meilleure façon de témoigner et d'apporter le salut pour ceux qui sont sous Sa garde.
L'action du Patriarcat de Constantinople a joué un rôle de premier plan dans ce soin. Cependant, les nouvelles Églises autocéphales n'existent pas seulement selon le bon plaisir et la reconnaissance de Constantinople, mais aussi selon le bon plaisir et la reconnaissance mutuelle les unes envers les autres. Ces trois éléments : les circonstances historiques, la reconnaissance mutuelle et le leadership de Constantinople sont à l'origine de la situation actuelle. Si Constantinople retire son approbation, cela n'invalide pas l'existence d'une Église autocéphale, mais met simplement les choses dans une situation confuse comme un tabouret à trois jambes avec une jambe cassée qui n'est plus stable. Un concile n'est pas nécessaire pour approuver ce qui existe déjà et qui fait l'objet d'un accord, et il n'y a aucune contestation à ce sujet. Un concile n'est nécessaire que lorsqu'il y a confusion, et alors le travail du concile est d'identifier et de retenir la source de la confusion, en protégeant le bon ordre et la vérité de l'Église.
Je peux sympathiser avec le Métropolite. Il ne fait aucun doute que Constantinople pourrait faire beaucoup de ravages dans l'Église grecque et c'est peut-être ce que le Métropolite Hiérothéos essaie de dire. Il craint que si son Eglise ne coopère pas, le Patriarcat de Constantinople puisse même décider de révoquer son Tomos.
Gardons nos frères et sœurs grecs dans la prière, car trop de pression s'exerce sur eux, et espérons aussi que Dieu les guidera. Je suis le premier à admettre que je ne comprends pas les tenants et aboutissants des luttes internes qui s'y déroulent. Mais en fin de compte, le Christ soutiendra ceux qui luttent vers Lui, et il gardera tous ceux qui sont à Lui.
Version française Claude Lopez-Ginisty
d'après
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