"Dans la confusion de notre époque quand une centaine de voix contradictoires prétend parler au nom de l'Orthodoxie, il est essentiel de savoir à qui l'on peut faire confiance. Il ne suffit pas de prétendre parler au nom de l'Orthodoxie patristique, il faut être dans la pure tradition des saints Pères ... "
Père Seraphim (Rose) de bienheureuse mémoire

mercredi 31 juillet 2019

Interview de Tudor Petcu avec l'higoumène Ambrogio de Turin sur le rôle de la Russie

Père Ambrogio


Que représente la Russie pour vous dans le panorama orthodoxe universel ? Comment définiriez-vous le rôle spirituel de la Russie dans le monde orthodoxe ?
Avant de parler de la "Russie" du point de vue d'un prêtre orthodoxe, je voudrais dire que dans ces réponses, je parle de Rus', c'est-à-dire du regroupement idéal des peuples chrétiens de la terre historique des Russes (aujourd'hui divisée en différents états) et de tous ceux dans le monde qui se reconnaissent dans son Église. Identifier le monde de la Russie à l'actuelle Fédération de Russie, ou à l'ancienne Union soviétique, ou à l'ancien Empire russe, c'est précisément identifier le monde de la Francophonie à l'actuelle République française, ou à l'ancien Empire napoléonien... C'est un concept supranational et international, qui ne s'identifie pas par hasard avec la plus grande des Églises locales du monde. Composée de nombreux peuples (souvent très différents les uns des autres), l'Église russe a la plus grande capacité dynamique à faire en sorte qu'un peuple d'une tradition différente se sente à l'aise par rapport au peuple chrétien orthodoxe, qui veut néanmoins embrasser sa foi.
En même temps, étant obstinément orthodoxe, c'est une Église qui sait respecter l'immersion des différentes cultures dans la foi chrétienne, et donc traiter avec respect même les orthodoxies locales qui ne veulent pas, pour une raison quelconque, s'y identifier. Un rôle spirituel idéal serait donc de sauvegarder l'autonomie des autres Églises locales (souvent avec des formes d'aide concrète... et en ayant les moyens), tout en offrant un large point d'entrée à l'Orthodoxie pour tous ceux qui se sentent appelés à y entrer. Le fait que l'Église russe soit composée en grande partie de fidèles qui ont récemment repris la vie ecclésiale en fait aussi une Église étonnamment humble, qui n'opprime pas les nouveaux venus depuis lahauteur (réelle ou présumée) de sa tradition historique.
Quels sont les représentants les plus importants de l'Église russe selon vous ?
Environ 150 millions d'âmes qui s'efforcent de marcher sur le chemin du salut... Je ne plaisante pas, l'immensité même de l'Eglise russe aide à réduire considérablement les exigences d'importance des individus, et même si on peut trouver des exemples extraordinaires dans toutes les catégories (pasteurs des âmes, pères spirituels, moines et moniales, confesseurs, hommes de foi et de science exemplaires), leur simple nombre signifie que nous ne devons pas nécessairement être en compétition pour évaluer notre importance et laisser que chacun trouve son maître.
J'ai souvent entendu dire que la Russie est aussi le plus grand messager de l'Orthodoxie dans le monde. Êtes-vous d'accord avec une telle affirmation ?
Certainement le plus sous-estimé, mais peut-être que c'est bien. Seuls ceux qui sont vraiment grands ne se soucient pas vraiment de se faire petits pour les individus qui les recherchent.
Pour autant que nous le sachions, la Russie a grandement contribué au développement de l'Orthodoxie en Occident, en particulier en France et en Angleterre. Que pourriez-vous me dire sur le monde dans lequel la Russie a contribué au développement de l'Orthodoxie en Italie ?
Ici trop de pages particulières devraient être ouvertes. Disons simplement, à titre de référence générale, que le "point fort" qui a attiré tant d'hétérodoxes vers la foi orthodoxe était la confiance. Cette confiance a souvent été trahie par des individus et des groupes qui n'ont pas su l'apprécier, mais on ne peut pas dire que l'Eglise russe n'a pas accueilli les convertis avec une grande ouverture et un grand respect.
Le père Andrew Phillips, représentant bien connu de l'Orthodoxie en Angleterre, dit que la Russie est le seul pays de notre époque qui défend les valeurs traditionnelles oubliées et rejetées par la société contemporaine. Cette affirmation est-elle vraie ?
La pierre angulaire de la vision "apocalyptique" du Père Andew (dans laquelle, au moins à court terme, il a fait preuve d'une clairvoyance inhabituelle) est une Russie (ou une Rus', pour dire les choses crûment) qui, après avoir subi la plus grande persécution des chrétiens de toute l'histoire, a eu l'honneur (et le fardeau) de retarder le mal que l'humanité attire sur sa tête. Les modalités d'application de ce délai peuvent varier selon les circonstances, mais l'impulsion est certainement présente et indéniablement active.
Quelles sont les œuvres théologiques russes que vous appréciez le plus ?
 Cela dépend beaucoup de notre définition de la théologie. Je dois me rappeler que l'Église orthodoxe de Rus' ne s'est pas développée, pour des raisons historiques faciles à étudier, au milieu de débats dogmatiques, mais plutôt dans le but de maintenir une orthopraxie droite dans le culte et la vie chrétienne. C'est pourquoi, en ce qui concerne les œuvres théologiques spéculatives (qui comportent toujours le risque de dégénérer en enseignements déviants, comme dans le cas de la sophiologie promu dans les milieux de l'émigration parisienne), je voudrais donner la préférence au témoignage de l'expression liturgique dans toute sa largeur.
Que représente pour vous, en tant que prêtre orthodoxe, l'œuvre "Les récits d'un pèlerin russe" ?
Curieusement, ce livre a joué un rôle plus important dans mes années d'approche de l'Orthodoxie que dans mes années de service sacerdotal. C'est un point d'entrée intéressant sur la mentalité chrétienne orthodoxe pour d'innombrables personnes, et pour cela on ne le remerciera jamais assez, mais (dans le vrai style russe), il ne prétend pas donner une base doctrinale à la prière (ce qu'il confie explicitement à la Philocalie), et surtout il ne néglige pas la dureté du chemin ascétique (le pèlerin lui-même vit dans les récits une vie de rigueur impensable pour une grande majorité des lecteurs). Il a rarement eu des points de contact avec mon expérience pastorale réelle.

Version française Claude Lopez-Ginisty
d'après


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