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Votre Toute-Sainteté et Très-Divin Archevêque
de Constantinople, la Nouvelle Rome, et Patriarche œcuménique, très aimé et
très cher frère et concélébrant de notre Humilité, seigneur Bartholomée, nous
embrassons dans le Seigneur Votre Très Divine Toute-Sainteté, de la plus
aimable manière.
Ayant attendu avec grand intérêt la réponse
de Votre Vénérable Grandeur, dans le but de mettre fin au questionnement de
l’Église orthodoxe autocéphale d’Albanie au sujet du Primat de la nouvelle
Église orthodoxe autocéphale d’Ukraine, nous avons reçu votre Lettre et, en
séance de notre Saint-Synode (7 mars de cette année), nous avons étudié en
détail son contenu. En raison de la gravité du sujet, il est de notre devoir de
donner, avec toujours un sincère respect, certaines explications et précisions.
1. Dans notre Lettre du 14 janvier de cette
année, il n’y avait aucun doute quant au devoir et au droit du Patriarcat
œcuménique d’octroyer l’autocéphalie chaque fois que les circonstances
l’exigent. Nous nous sommes questionnés principalement sur la procédure [de l’octroi de l’autocéphalie
ukrainienne, ndt] et
particulièrement sur une question ecclésiologique fondamentale pour
l’Orthodoxie. Ce qui est écrit dans les premières pages de Votre Lettre de
réponse ne se rapporte manifestement pas à la perplexité que nous avions
exprimée. Pour cette raison, nous ne l’aborderons pas ici. Nous nous
limiterons, simplement, n’étant nullement influencés par l’argumentation
d’autres Églises autocéphales, à relever trois questions qui se réfèrent à la
tradition émanant du Saint-Esprit et à la conscience de l’Église
orthodoxe : 1) La divine Eucharistie, 2) La succession apostolique et 3) La
conciliarité. Notre inquiétude s’est centrée tout particulièrement sur la
question cruciale des sacres épiscopaux, de la succession apostolique. C’est
sur cette base qu’a été souligné avant tout le rôle perfide de l’auto-proclamé
« Patriarche d’honneur de Kiev et de toute la Rus-Ukraine » M.
Philarète, et qu’ont été exprimées des réserves théologiques concernant la
validité selon le Saint-Esprit des sacres accomplis par lui, étant donné que la
Grâce Divine n’agit pas lorsque le célébrant est défroqué, excommunié et
anathématisé ; et qu’un évêque ordonnant canoniquement n’agit pas de sa
propre autorité, mais au nom de l’Église, qui seule est détentrice de la grâce
de Dieu. Nous nous demandons à quel point la réintégration de M. Philarète dans
l’ordre canonique rend automatiquement valides les ordinations accomplies par
lui.
2. La corrélation et l’analogie du problème
ukrainien avec le schisme mélicien du IVème siècle, auquel il est fait ample
référence dans Votre Lettre, n’a pas mis fin à notre perplexité. Au contraire,
son examen scrupuleux mène à différentes conclusions : dans l’étude du
métropolite d’Anchialos Basile d’éternelle mémoire, par la suite métropolite de
Smyrne, laquelle nous a été envoyée en annexe, figure en appendice « Sur
le schisme des Méliciens, plus extensivement » ce qui suit :
« La correction du cas a eu lieu par l’acceptation du seul Mélitios dans
le rang épiscopal, sans le droit d’officier, et quant à ceux qui ont été
ordonnés évêques, prêtres, et diacres par lui alors qu’il était défroqué, ils
ont été reçus à la même condition et façon que ce qui est prévu par le 8ème
canon au sujet de l’acceptations des Cathares ou des Novatiens, c’est-à-dire
par une simple imposition des mains avec une prière, confirmant chacun d’entre
eux dans leurs rangs hiérarchiques respectifs ». Cette dernière phrase
explicatrice a été omise dans Votre Lettre.
Réellement, relativement à la procédure de
correction du schisme, St Athanase le Grand a clarifié : « Il a été
décidé… que ceux qui ont été institués par lui, soient rétablis dans la
communion après avoir été confirmés par une ordination plus sainte et qu’ils conservent
leurs fonctions, mais que toutefois ils ne seront qu’au second rang après ceux
qui auront été ordonnés et établis dans chaque communauté »[1].
Le métropolite Basile a adopté l’interprétation selon laquelle, comme cela a
été mentionné, ils ont été reçus dans la communion par une simple imposition
des mains avec une prière. L’historien érudit, l’archevêque Chrysostome
Papadopoulos d’éternelle mémoire, résume : « Le Concile a également
examiné la question de Mélitios de Lycopolis (canon 4). Il a été permis à
Mélitios de rester à Lycopolis, tout en ayant l’honneur épiscopal, mais sans le
droit d’administrer l’évêché de Lycopolis et d’ordonner. Alexandre, archevêque
d’Alexandrie, exigea de lui (de Mélitios) la liste des évêques qu’il avait
ordonnés, qui étaient au nombre de 29. Le Concile, agissant par condescendance,
les a reconnus dans leur rang par de nouvelles impositions des mains
« confirmées par une ordination plus sainte », à la condition qu’ils
restent les seconds après les évêques canoniques, se soumettant à l’archevêque
d’Alexandrie, et ne participant pas à l’élection d’évêques. Ils pouvaient être
élus pour des sièges épiscopaux vacants. Seul Mélitios ne pouvait être
élu »[2].
Par conséquent, la correction du schisme des
Méliciens et le rétablissement de ceux qui avaient été de façon invalide
ordonnés par celui-ci, comportait les phases suivantes : 1) le repentir,
2) l’imposition des mains par un évêque canonique, une exigence minimum pour le
sceau de la succession apostolique, 3) une prière et, finalement, 4) la
réconciliation. C’est là un principe en vigueur pour tous les cas de la
réintégration des schismatiques dans l’Église orthodoxe et qui définit une
issue intéressante au problème existant.
Si le cas de M. Philarète ressemble
étonnamment à celui de Mélitios, auquel n’était permis que « le haut
honneur épiscopal »[3],
« sans aucune autorité ou pouvoir », la tolérance manifestée envers
lui reste néanmoins inexplicable. M. Philarète a été réintégré dans l’Église
canonique (il est inconnu s’il a soumis une demande de repentir) et ses actes
ecclésiastiques qui ont précédé ont été validés en totalité par un seul acte
synodal [de
Constantinople, ndt]. Celui-ci,
de façon répétée, se vante publiquement qu’il « a été, est et sera le
patriarche de Kiev et de toute la Rus-Ukraine », continuant à porter la
coiffe patriarcale russe, se comportant comme un patriarche. Il est resté le
principal acteur lors du « Concile d’union », qui a élu celui qui
avait été ordonné invalidement par lui, M. Épiphane. Il
est aujourd’hui membre permanent du Synode et proclame qu’il est l’archipasteur
de toutes les paroisses de Kiev. Ces faits ne sont manifestement pas inconnus,
ni ne sont sans importance ecclésiastique. En conclusion, il est indubitable
que le Schisme mélicien n’a pas été guéri par une décision du Patriarcat
d’Alexandrie à la juridiction duquel appartenait l’évêque de Lycopolis
d’Égypte, mais par une décision du Ier Concile Œcuménique.
3. Le cas du problème ukrainien ne présente,
par ailleurs, aucune analogie avec celui de l’Église orthodoxe russe hors
frontières. Ce dernier cas se réfère à la séparation des Russes de la diaspora
avec l’Église de Russie, qui était alors sous la surveillance soviétique. Il
n’y avait ni excommunications ni anathèmes, et la succession apostolique
n’était pas douteuse. Lorsque le régime athée s’est écroulé, la réunification
s’est produite. Il mérite d’être mentionné que la correction de la division a
eu lieu par une cérémonie spéciale et une prière de réintégration en la
cathédrale du Christ Sauveur.
De même, le schisme bulgare ne présente aucun
rapport ni analogie avec le problème ukrainien. Ce dernier concerne la fissure
interne d’une Église locale, tandis que le schisme bulgare concernait le
retrait durant de nombreuses années de tout un peuple de la juridiction du
Patriarcat œcuménique et de toute l’Orthodoxie. Sa correction a commencé lors
de la session de la Commission panorthodoxe de préparation au « Prosynode »
au monastère athonite de Vatopedi (juin 1930). La condition fondamentale qui a
avait été posée et qui finalement a été observée était la demande de pardon de
la part de l’Église bulgare. Finalement après de complexes négociations qui ont
duré des années, le schisme a été résolu en 1945, dont le résultat a été la
pacification de l’oikoumène
panorthodoxe.
4. Nous partageons sans réserve la
préoccupation du Patriarcat œcuménique d’accorder une possibilité aux fidèles
d’Ukraine, victimes d’une division de longue durée, de revenir dans le sein de
l’Église Une, Sainte, Catholique et Apostolique. Il est cependant évident que
la pacification recherchée n’a pas réussi, du fait que quatre-vingt-dix
hiérarques et plus de douze mille paroisses ne se trouvent pas en communion avec
le Patriarcat œcuménique. En même temps, le risque de désintégration de
l’Église orthodoxe dans toute l’oikoumène
est visible.
En ce qui concerne le ton particulièrement
réprobateur de cette Lettre [du patriarche Bartholomée, ndt]
et les allégations d’influence sur nous de la part d’autres Églises, nous
sommes dans l’obligation de rappeler que nous avons prouvé notre dévouement
fraternel en actes depuis des décennies, tout particulièrement lors des Synaxes
des Primats et du Saint et Grand Concile de Crète des Églises orthodoxes,
agissant toujours en coordination avec chaque initiative de Votre Divine
Toute-Sainteté. Parfois, nous avons exprimé hardiment nos vues, même si elles
heurtaient les chers frères d’autres Églises. Cela toujours pour la cohésion et
le nécessaire témoignage de l’Orthodoxie. Une preuve récente de notre opinion
non influencée et de notre position indépendante est constituée par les lettres
envoyées à S.B. le patriarche de Moscou et de toute la Russie Cyrille (10
octobre et 7 novembre 2018). Nous exprimons continuellement et dans les faits
notre plus profond respect et notre gratitude naturelle au Trône œcuménique
pour ses actes en faveur de
l’Église orthodoxe autocéphale d’Albanie. Nous sommes convaincus que la
reconnaissance authentique n’implique pas l’abolition de la pensée théologique
critique et de l’expérience ecclésiale ou encore l’abandon de la liberté de
conscience. Au contraire, elle signifie une obligation accrue de formuler
toujours avec clarté et audace aimante les évaluations des faits.
Le respect mutuel a eu lieu dans les actes.
Nous avons accepté une mission avec d’innombrables difficultés en Albanie,
quittant deux domaines particulièrement appréciés de notre ministère :
l’Afrique et la recherche dans la science des religions, ainsi que l’écriture.
La mission exceptionnellement exigeante et incertaine qui nous a été confiée
par la Mère – la Grande Église du Christ, pour la reconstruction, à partir de
ses ruines, de l’Église autocéphale d’Albanie qui avait été totalement anéantie,
a été accomplie, par la Grâce de Dieu, dans un esprit de sacrifice, dans les
privations, les maladies, les dangers et les persécutions.
Relativement à la question ukrainienne, le
choix d’une mauvaise conscience serait plus aisé, afin d’éviter les
commentaires acérés, les accusations insultantes à caractère personnel et sans
fondement venant de personnes irresponsables. Nous croyons cependant que le
Premier de l’Orthodoxie aime et a besoin de la vérité abondante,
particulièrement dans des cas de problèmes panorthodoxes des plus cruciaux.
C’est pourquoi nous avons relevé l’exactitude historique des événements.
5. Notre anxiété, Toute-Sainteté, reste la
préservation de l’unité orthodoxe qui constitue une condition préliminaire
irremplaçable au témoignage orthodoxe dans le monde. Les fissures dans les
Assemblées épiscopales de la diaspora et dans les dialogues interchrétiens
multilatéraux et bilatéraux se font déjà sentir. La conviction constante de
l’Église d’Albanie, comme de nombreuses autres, est qu’en ce moment historique,
en vue de la guérison des plaies douloureuses et particulièrement du schisme
imminent, une sorte de Consultation panorthodoxe est nécessaire, avec pour but
le renforcement spirituel de tous les fidèles orthodoxes en Ukraine et avant
tout la préservation de la cohésion orthodoxe. Et nous sommes naturellement
prêts à contribuer de façon constructive à cette tentative cruciale et ardue.
On ne fait pas face aux points de vue
différents actuels par des monologues, des déclarations, des correspondances,
prolongées, par l’immixtion de personnes irresponsables, des commentaires
trompeurs, des publications inconséquentes dans les medias sociaux. Les crises
sont surmontées, conformément à la Tradition orthodoxe, par la Conciliarité, ce
qui signifie l’assemblée dans la prière de représentants responsables des
Églises orthodoxes locales. Alors, par la Grâce active du Très Saint-Esprit, ce
Synode, mû par un esprit de charité, recherchera des solutions originales de
clémence, de pardon et de réconciliation et prendra des décisions audacieuses
et acceptables par tous, visant à la pacification, l’unité et l’édification
spirituelle des fidèles de toute l’ oikoumène
orthodoxe. Et le privilège de la convocation de la Consultation panorthodoxe
appartient indubitablement au Patriarche œcuménique.
Par cette supplication est conclue notre contribution à la marche à suivre dans
la question ukrainienne.
Afin de dissiper tout malentendu, nous précisons
que l’Église orthodoxe autocéphale d’Albanie, dans le cas où la situation
dégénérerait en schisme (que Dieu ne le permette pas !) restera, tout en
faisant fermement profession de l’amour dans la vérité, avec le Patriarcat
œcuménique.
Traversant la période de componction de la
Sainte et Grande Quarantaine du Carême, nous prions de toute notre âme que le
Dieu Trinitaire accorde une santé inébranlable et la force du Saint-Esprit à
Votre Très-Divine Toute-Sainteté, répétant la certitude apostolique doxologique,
chère à Vous et à nous : « À Celui qui peut faire, par la puissance
qui agit en nous, infiniment au delà de tout ce que nous demandons ou pensons,
à Lui soit la gloire dans l'Église et en Jésus Christ, dans toutes les
générations, aux siècles des siècles! Amen! (Eph. 3, 20-21).
Cela étant dit, vous enbrassant d’un saint
baiser, nous restons Vôtre en tout respect et amour
fraternel en Christ, « pour qui et par qui sont
toutes choses » (Hébr. 2,10).
À Tirana, le 21 mars 2019
+ Anastase, archevêque de Tirana, Durrës et
de toute l’Albanie
[2] Chrysostome Papadopoulos, archevêque
d’Athènes et de toute la Grèce. Histoire de l’Église d’Alexandrie (62-1934).
Ed. Pournara, Thessalonique 2009, pp. 179-180
[3] « Il fut donc décidé qu’il devait
demeurer dans sa ville, sans avoir aucun droit pour imposer les mains ou
élire ; sans paraître à la campagne ou dans une autre ville pour pareil
cas… À l’égard de Mélitios [aucune concession n’est faite] à cause de
son ancienne indiscipline et de son caractère violent et téméraire, afin que
nul pouvoir, nulle faculté ne fussent attribués à un homme qui pourrait de
nouveau provoquer les mêmes désordres » De decretis Nicaenae synodi Chapitre 36,
section 7, ligne 2 TLG .
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