Sainte
Rachel [dans le monde Marie], Staritsa * du monastère du Saint-Sauveur à
Borodino naquit en 1853 à Dorogobouge, chef-lieu de canton du gouvernement de
Smolensk. Ses parents, Michel et Mélanie Korotkoff, étaient de riches
négociants en thé. Dans son enfance, elle fréquenta l'école privée de
Dorogobouge et aidait ses parents à trier le thé. La jeune Marie aimait
particulièrement l'Eglise de Dieu et la prière. Douée d'un cœur compatissant,
elle ne pouvait pas laisser passer les pauvres sans leur donner l'aumône, les
nourrir, les vêtir. Elle aimait lire les vies des saints et écouter les récits
des errants sur les saints lieux. A l'imitation des ascètes, elle essayait même
de dormir sur des planches en bois sans couverture, mais ses parents le lui
interdirent formellement.
A
l’âge de 14 ans, Marie se rendit à pied, avec des amies, en pèlerinage à
la Laure des Grottes de Kiev, où elle pria avec ferveur auprès des reliques de
saint Théodose en lui confiant son désir de devenir moniale. Et là, dans une
vision miraculeuse, le fondateur du monachisme russe, saint Théodose en
personne lui apparut, la bénit et lui dit que sa prière avait été entendue par
Dieu et que sa demande serait exaucée avec le temps.
Marie
rentra chez elle confortée dans sa décision d'entrer au monastère. Or son père
se préparait à la marier, c'est pourquoi il lui faisait donner des leçons de
danse, de maintien, et lui achetait de belles robes. Mais cela l'intéressait
peu, et les bonnes manières rentraient mal. A seize ans on la fit faire son
entrée dans le monde et on lui chercha des prétendants. Mais elle refusait les
partis, car en secret elle désirait consacrer sa vie à Dieu seul. En I851,
Marie allait avoir 18 ans, on voulut la fiancer à un très riche marchand.
Redoutant un mariage forcé, Marie, sous prétexte d'aller en pèlerinage à
l'icône miraculeuse de la Mère de Dieu de Smolensk, quitta pour toujours la
maison familiale.
En
août-septembre de la même année, Maria Mikhaïlovna Korotkoff entra au couvent féminin
de l'Ascension à Smolensk. Peu après, son père tout ému, qui recherchait
sa fille, dont il était sans nouvelles, vint la voir. Sous l'influence de
la Mère higoumène et de quelques sœurs qu'il connaissait, et qui
le persuadèrent de laisser Marie au monastère, par crainte
de s'attirer la colère de Dieu, il donna à sa fille sa bénédiction pour
être moniale **.
Dès
les premiers jours de la vie monastique, Marie s'acquitta avec zèle de toutes
les obédiences, sans avoir peur du travail le plus sale. Tous les cadeaux et
l'argent apportés par ses riches parents, elle les distribuait aux pauvres et
aux sœurs. Pour mortifier son corps habitué au confort, Marie se couchait dans
les orties et les épines sans vêtement de dessus.
A la
fin de la septième année de son séjour au monastère de l'Ascension, Marie
fut envoyée à la ferme du monastère pour y faire la cuisine. Certaines moniales
l’enviaient et décidèrent de la compromettre. Un jour elles s'abstinrent de la
prévenir que le lendemain il faudrait nourrir une grande équipe d'ouvriers
venus faucher les prés et elles lui donnèrent une quantité nettement
insuffisante de provisions. Voyant que ce qu'elle avait préparé ne suffirait
pas pour les nourrir tous, Marie en larmes tomba à genoux et, levant les mains
au ciel, s'écria: "Très Sainte Mère de Dieu, viens à mon secours, nourris
toi-même les ouvriers!"; et miraculeusement, il y eut assez de nourriture
pour tout le monde, et il resta plus que ce qui avait été préparé. On rapporta
même plus de pain qu'on n'en avait apporté du monastère.
La
nouvelle du miracle se répandit au couvent et en-dehors. Mais l'attention des
gens centrée sur elle était lourde à supporter. En outre son père ne cessait de
la pourvoir matériellement et comme fille d‘un riche marchand et donateur, elle
était auprès de l'higoumène et n'avait pas à accomplir d'obédiences pénibles.
Elle pensa donc qu'avec une vie pareille, elle ne pourrait faire son salut. Les
paroles du Sauveur: " Celui qui veut aller à ma suite, qu'il renonce à
lui-même, qu'il prenne sa croix et qu'il me suive. " [Matthieu 16:24) la
confortèrent dans cette certitude. Son âme, qui avait soif d'exploits
spirituels authentiques, y entendit l'appel à être errante et mendiante pour
l'amour du Christ.
Après
être restée sept ans au monastère de Smolensk, Marie le quitta en secret et se
mit à errer, sans argent, sans bagage, sans papiers. Pour ne pas se montrer aux
gens, Marle restait loin des villes bruyantes et des villages, empruntant les
chemins les plus reculés et les plus déserts, passant la nuit en
prière
dans les forêts, les ravins, les granges abandonnées. Ses vêtements s'usèrent
tant que sa chemise cachait à peine son corps tout sombre et tout rude. Ses
jambes étaient couvertes de plaies et d'égratignures, du fait qu'elle allait
toujours pieds nus. Elle en garda de profondes cicatrices sur les plantes des
pieds jusqu'à sa fin bienheureuse. Parfois de bonnes âmes l'accueillaient chez
elles, la lavaient, l'abritaient quelque temps, lui donnaient de vieux vêtements,
souvent d'homme, mais Marie ne restait pas longtemps chez elles et s'en allait
bien vite.
Dès
le début de son errance, Marie avait imploré la Mère de Dieu avec des larmes,
pour garder sa virginité. La Reine des Cieux lui apparut et lui dit:
"Marie, j'ai toujours béni tes entreprises, je t'aiderai aussi à garder ta
virginité." Et gardée par la Toute Pure, l'errante parcourut près de six
mille kilomètres, séjourna dans divers monastères, rencontra de grands ascètes
de ce temps et en 1861, s'arrêta au monastère de la Dormition à Sviatogorsk,
canton d'Izioum, gouvernement de Kharkov, où vivait un grand ascète et starets,
le reclus Jean +1867). Il eut de longs entretiens avec Marie et voyant, comme
un clairvoyant qu'il était, toute sa vie, il lui raconta bien des choses qui se
réalisèrent ensuite. "Un jour viendra, lui dit-il, où tu n'auras même plus
le temps de te signer, alors console le peuple, car il souffrira
beaucoup."
On
peut supposer que ce starets donna sa bénédiction à Marie pour qu'elle retourne
dans un monastère, parce qu'en 1865, les registres indiquent sa présence au
monastère de la Dormition à Voznesensk et deux ans plus tard au monastère
Vladytchny [du Maitre] à Serpoukhov ou le métropolite Philarète de Moscou
[canonisé en 1994] la tonsura et lui imposa le rasson et le nom de Paula. De
là, elle se rendit à Moscou pour se perfectionner dans l'art culinaire qu'elle
acquit à la perfection, avec la grâce de Dieu.
La
moniale Paula demeura jusqu'en 1872 au monastère du Maître, puis elle fut transférée
au Monastère du Sauveur de Borodino, canton de Mojaïsk, gouvernement de Moscou,
à la demande de l'higoumène du grand schème Alexia, ancienne économe du
monastère de Serpoukhov, qui accomplissait en secret des exploits ascétiques.
Version française
Françoise Lhoest
que nous remercions chaleureusement
NOTES:
Toutes les dates sont données selon l'ancien calendrier.
* Féminin de starets.
Femme douée d'un don de vision intérieure, à qui le peuple des croyants vient
demander conseil ou consolation.
** La coutume russe voulait qu'une fille n'entre pas au monastère sans la bénédiction parentale.
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