"Dans la confusion de notre époque quand une centaine de voix contradictoires prétend parler au nom de l'Orthodoxie, il est essentiel de savoir à qui l'on peut faire confiance. Il ne suffit pas de prétendre parler au nom de l'Orthodoxie patristique, il faut être dans la pure tradition des saints Pères ... "
Père Seraphim (Rose) de bienheureuse mémoire

mercredi 26 février 2020

Archiprêtre André Tkatchev : LE CRÉPUSCULE DE LA CONSCIENCE



Quiconque croit en Dieu est inévitablement confronté à un choix : soit suivre le chemin étroit de la foi véritable qui mène à la vie, soit emprunter la voie large, facile et bien tracée de la superstition. Il est impossible de ne pas avoir du tout la foi. Cela irait à l'encontre de notre nature, car bien que nous puissions voir relativement peu, nous pouvons ressentir beaucoup. Nos sentiments et notre intuition sont capables de pénétrer là où l'œil ordinaire reste aveugle. C'est pourquoi la foi, la foi en quelque chose, est indispensable. Elle élargit les frontières de la vie, nous permet d'interpréter le passé et nous met en garde contre l'avenir. La foi est, pour ainsi dire, un trait anthropologique qui définit l'intérieur, de la même manière que marcher debout est un trait extérieur, visible. Mais la foi véritable est difficile, tout comme la vie d'Abraham l'était. Par conséquent, beaucoup de gens ont tendance à fuir la lumière éblouissante de la foi véritable en Jésus-Christ pour se réfugier dans le crépuscule douillet de la magie et de la superstition.

La magie et la superstition fonctionnent avec du "bon matériel" - avec le sentiment, par exemple, que toutes les choses sont interconnectées. Vous brûlez un bâton d'encens et chuchotez une incantation ou une autre ici, et là-bas le garçon rencontre la fille ou, au contraire, ils se séparent. C'est une confirmation quotidienne frappante de la foi en l'unité essentielle du monde entier et en l'interdépendance de toutes les actions morales.

Lorsque l'avenir d'une personne est raconté simplement en regardant sa photo, c'est pour lier l'image à son prototype. En fait, c'est une caricature - ni plus, ni moins - de l'enseignement sur les icônes du Septième Concile Œcuménique. Pour prendre un autre exemple, lorsque, au nom de rituels magiques, un praticien exige une mèche de cheveux, ou une goutte de salive ou de sang, cela constitue également une tentative d'influencer le tout par une partie et démontre par conséquent la foi dans le fait que le tout et ses parties sont liés et interdépendants.

Tout cela constitue un excellent thème et un vaste champ de recherche pour toutes sortes de travaux, qu'il s'agisse de brochures populaires ou même de thèses. Il y a suffisamment de gens qui aiment ce genre de choses. Pour notre part, nous nous contentons de donner des exemples pour confirmer ce qui a déjà été dit : la magie et les superstitions fonctionnent avec du "bon matériel", c'est-à-dire avec la religiosité innée de l'homme et ses intuitions mystiques, qui sont souvent correctes.

La magie ne peut pas être critiquée simplement sur la base du fait qu'elle "ne fonctionne pas" et qu'elle est le domaine des charlatans. Il est vrai qu'un charlatan peut facilement profiter de ce crépuscule de la conscience. Mais la magie est encore plus effrayante lorsqu'elle fonctionne que lorsqu'il s'agit simplement de ses praticiens qui escroquent des gens crédules, et leur soutirent de l'argent.

Quant à la superstition, elle est inquiétante en ce qu'elle opte pour une forme de religiosité douteuse et obscure et rejette la piété éclairée et véritable. Sans ce fond de piété véritable, elle semble naturelle et nécessaire. Nécessaire, par exemple, pour protéger son bétail du mauvais œil et sa demeure des mauvais esprits. Il est donc nécessaire de coudre un fil "protecteur" dans ses vêtements et de porter un porte-bonheur autour du cou. Il est nécessaire de lier le labourage du premier sillon à une sorte de rituel, un rituel qui promet - étant donné le lien évident entre la fertilité de la terre en particulier et la fertilité en général - d'être quelque peu lubrique.

Nous nous retrouvons inévitablement dans une mascarade, un monde de mysticisme ritualiste. Dans l'ensemble, il est difficile de lutter contre ce phénomène, car il faut pour cela changer la nature humaine. Et aujourd'hui, le combat est devenu encore plus compliqué. À l'époque soviétique, on s'efforçait de changer les gens - mais de façon négative, par le biais de l'abolition et de la prohibition. Ce qu'il est advenu de cette expérience est bien connu ! La religiosité naturelle est restée inaltérable et a ainsi provoqué un retour du paganisme, complété par un enthousiasme pour "la renaissance des traditions" et une conscience de soi ethnique. Nous voyons la même chose aujourd'hui lorsque, avec un air d'intelligence, les adorateurs du soleil exécutent leur danse en cercle ou sautent par-dessus un feu de joie.

La magie est une affaire relativement facile, qui ne nécessite aucune ascèse. Elle ne demande rien mais promet beaucoup. Elle promet la santé et le succès, ce qui est assez flatteur pour votre égoïste moderne. Elle promet un sentiment de plénitude et d'appartenance à une famille et à une tradition, ce qui flatte également l'égoïste moderne, car il est las de la solitude intérieure, de la peur et du sentiment de sa propre inutilité. En ce sens, la magie et la superstition sont des hôtes bienvenus qui, s'ils n'existaient pas, devraient être inventés.

Nous avons déjà mentionné Abraham, et ce n'est pas un hasard. Abraham est le père littéral, l'ancêtre dans la chair, de tous les Arabes et de tous les Juifs ; spirituellement, cependant, il est le père de tous ceux qui croient au vrai Dieu. Il était païen et fils de païen, mais Dieu a vu en lui cette profondeur nécessaire chez l'homme pour faire place à quelque chose de plus grand que la religion naturelle - la religion proclamée et révélée par Dieu lui-même.

Abraham a été choisi, mais cela ne lui a pas apporté le succès mondain ni beaucoup de plaisir. Au contraire, cela lui a apporté la souffrance et la croix. À plus d'une reprise, il a été mis à l'épreuve dans le feu de ce qui, pour une personne ordinaire, serait une souffrance inimaginable. Les promesses de Dieu semblaient être quelque chose dont il ne pouvait que rêver, et qui l'attendaient comme des mirages ; sa vie quotidienne était faite de souffrances intérieures et d'errances extérieures. Tout cela n’était fait pour lui seulement, mais pour l'humanité tout entière. Tout cela fut fait pour qu'un peuple élu puisse émerger, pour qu'au sein de ce peuple, les meilleurs représentants de l'humanité soient éduqués et pour qu'à la fin, apparaisse la Vierge qui devait donner naissance au Christ.

En entrant en contact avec le Sauveur, nous entrons dans une parenté spirituelle avec Abraham, c'est pourquoi il est dit que "beaucoup viendront de l'Orient et de l'Occident, et s'assiéront avec Abraham, Isaac et Jacob, dans le Royaume des cieux" (Matthieu 8 :11). En acceptant la foi du salut, nous acceptons non seulement la promesse des bonnes choses à venir, mais aussi la croix de nos responsabilités quotidiennes.

Nous aussi, nous devenons des vagabonds et des nomades, à la recherche du Royaume inébranlable à venir. Nous aussi, nous ressentons en notre sein l'amertume du décalage entre ces merveilleuses promesses et la morosité de notre routine quotidienne. Par un sens intérieur, nous commençons à comprendre Abraham et d'autres personnes qui ont été marquées par leur relation étroite avec Dieu. De tels sentiments sont caractéristiques de la piété véritable- pas de façon exhaustive, mais ils sont néanmoins nécessaires.

La religiosité éclairée est difficile ; elle n'est pas naturelle, elle est au-dessus et au-delà de la nature. Elle ne fonctionne pas sur la base de résultats instantanés ou à court terme, mais exige de la foi et de la patience, comme celle d'un agriculteur. Elle exige beaucoup d'une personne car elle vient de Dieu, Qui a créé cette personne. Elle ne s'adapte pas à la charnalité ou au caprice de l'homme. De tout ce qui a été dit, un simple fait ressort : il y a toujours plus de gens qui croient à la magie et à la superstition que ceux qui portent leur foi sur leurs épaules comme une croix. Nous ne disposons pas de statistiques précises à ce sujet mais, s'il était possible de rassembler les données de manière objective sous forme de chiffres et de colonnes, les chiffres seraient véritablement révélateurs.

Depuis le baptême de notre nation et sa greffe sur l'arbre de l'Église, notre vie dépend de ceux qui prient et prêchent, c'est-à-dire du clergé, des éducateurs, des catéchistes.

Au Jugement dernier, toutes les choses, y compris tout ce qui était sombre, s'illumineront soudain ; et notre conscience tremblante, sera réveillée de son profond sommeil. Cependant, même avant ce jour, le tonnerre et les éclairs d'un sermon peuvent éclairer la vie d'une personne et exposer les choses qui préfèrent être cachées et qui ont peur de la lumière directe. Le jugement provoqué par une parole ou un sermon est un moyen sûr de dissiper cette morosité, en remplaçant les superstitions douillettes et les contes de vieilles femmes par une foi saine aussi fraîche et vivifiante qu'un souffle d'air hivernal tonique.

Le Christ est la Lumière Qui est venue dans le monde. Siméon le Théophore l'appelle "une lumière pour apporter la révélation aux païens" (Luc 2 :32). Sans cette lumière, les gens sont condamnés à vivre, sinon dans l'obscurité totale, du moins dans le crépuscule habituel de la religiosité populaire. C'est triste à dire, mais bien que plus de mille ans se soient écoulés depuis le baptême de la Russie, nous sommes toujours confrontés au même problème. Cela étant dit, nous pouvons être consolés par le fait que "avec le Seigneur, un jour est comme mille ans, et mille ans comme un jour" (2 Pierre 3 :8).

Version française Claude Lopez-Ginisty
d’après

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