La journaliste italienne Daniela Sala du bimensuel catholique Il Regno a interviewé le 15 novembre dernier le père Jivko Panev. L’entretien est disponible en ligne sous le titre Ukraine – Orthodoxie : La guerre des patriarches. Vous pouvez le lire aussi en français ci-après:
Il Regno Attualità e docomenti, fascicule n° 20, 2018 15/11/2018, pages 585-593
: http://www.ilregno.it/attualita/2018/20/ucraina-ortodossia-la-guerra-dei-patriarchi-danielasala
Ukraine – Orthodoxie : La guerre des patriarches
entretien avec le p. Jivko Panev
1. Quelles ont été les conséquences de la décision du Patriarcat œcuménique d’accorder
l’autocéphalie à l’Église orthodoxe ukrainienne ? Comment les Églises orthodoxes ontelles réagi ?
La première conséquence est la rupture de la communion eucharistique de l’Église orthodoxe
russe avec le Patriarcat de Constantinople. Rappelons que cela est déjà arrivé dans les relations
entre le Trône œcuménique et la plus nombreuse Église du monde orthodoxe : en 1996 le
Patriarcat de Moscou avait aussi rompu la communion eucharistique suite à l’établissement
d’une Église orthodoxe d’Estonie par le Patriarcat de Constantinople. Mais cette fois, cette
décision du Patriarcat œcuménique est ressentie par l’Église orthodoxe russe non seulement
comme une transgression des canons, mais aussi comme une attaque contre le « monde russe »
dont la trame est constituée par la langue russe et la foi orthodoxe qui dépasse bien évidemment
les frontières de la Russie post-soviétique et dont le berceau se trouve à Kiev.
Une deuxième conséquence est aussi que les orthodoxes sont mis devant l’urgence de trouver
non seulement une réponse unanime à la question « quel est le sens de l’autocéphalie et de sa
manière de l’octroyer », mais aussi à la question de la primauté, c’est-à-dire de la direction de
l’Église, à savoir pourquoi et pour quoi la primauté dans l’Église. Certes, quatre Églises
orthodoxes locales, par la voie de leurs primats, ont publiquement exprimé leur soutien au
Patriarcat de Moscou : le Patriarcat d’Antioche, le Patriarcat d’Alexandrie, le Patriarcat de
Serbie et l’Église des pays tchèques et de Slovaquie. Les autres Églises ont préféré se donner
un temps de réflexion, mais toutes sont d’accord pour dire que la voie privilégiée est la
convocation d’un concile pan-orthodoxe, lequel devrait trouver une solution à la crise
« ukrainienne ».
2. Quels sont les difficultés pratiques et le résultat possible de l’octroi de l’autocéphalie ?
La volonté affichée du Patriarcat de Constantinople est d’arriver à une seule Église orthodoxe
en Ukraine, et pour cette raison, après avoir constaté que le Patriarcat de Moscou n’y est pas
parvenu, a pris la décision d’organiser le processus de réunification de toutes les Églises
orthodoxes, les deux Églises dites schismatiques1 ainsi que l’Église orthodoxe ukrainienne du
1 Il s’agit de : a) l’Église orthodoxe autocéphale ukrainienne née d’un schisme de l’Église orthodoxe russe en 1920.
Son primat actuel est le métropolite Macaire (Milétich). b) L’Église orthodoxe ukrainienne — Patriarcat de Kiev,
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Patriarcat de Moscou. Un concile de réunification devrait avoir lieu bientôt à Kiev et toutes les
trois juridictions orthodoxes y seront conviées pour choisir un primat de la future Église
orthodoxe en Ukraine réunifiée. Mais on sait d’ores et déjà que l’Église orthodoxe ukrainienne
rattachée au Patriarcat de Moscou n’y participera pas. De plus, il est évident que la question de
la personne qui sera élue primat pourrait aussi être un obstacle à un accord final, car le chef du
Patriarcat de Kiev, Philarète est connu par son ambition démesurée de devenir coûte que coûte
patriarche d’Ukraine. Du temps de l’URSS, très proche des autorités soviétiques, il se fait
remarquer par son excellent sens politique pour parvenir à ses fins. À ce titre, une fois devenu
métropolite de Kiev en1966, Philarète a longtemps condamné le nationalisme ukrainien et
défendu la répression des grecs-catholiques, avant de prendre un virage à 180 degrés à la veille
de l’indépendance de l’Ukraine. En 1990, à la mort du patriarche Pimène de Moscou, Philarète
a été locum tenens du siège patriarcal et s’était présenté pour être patriarche russe. Il n’a pas été
élu. La remarque d’un métropolite grec à son sujet est très pertinente : « Si Philarète avait été
élu patriarche de Moscou en 1990, chose qu’il convoitait tant mais qui lui est passée sous le
nez, demanderait-il aujourd’hui à devenir métropolite de l’Église autocéphale d’Ukraine ? Et
dans l’affirmative, en s’adressant à qui ? Au Synode de Moscou qu’il présiderait lui-même ou
à Constantinople qu’aujourd’hui il fait semblant de respecter et devant laquelle soi-disant il
s’incline ? ».
En tout cas, la solution fort probable est qu’on verra apparaître deux juridictions orthodoxes en
Ukraine, une toujours dépendante de Moscou et une deuxième reconnue par la Patriarcat de
Constantinople et des Églises qui se joindront aux positions de ce dernier. Lesquelles ? Il est
difficile de le savoir à l’heure actuelle !
3. Les affrontements entre Bartholomée et Cyrille ont affaibli les deux dirigeants en raison
des pressions politiques qu’ils subissent ?
Les pressions politiques ont toujours eu un rôle dans l’histoire de l’Église, et cela depuis les
origines du christianisme : « Les chrétiens vivent dans ce monde, mais ne sont pas de ce
monde » pour paraphraser l’auteur inconnu de la lettre à Diognète (IIe siècle apr. J.-C.). Le rôle
de la politique des autorités ukrainiennes dans l’obtention de l’autocéphalie ukrainienne est
évident. À cela s’ajoutent aussi des facteurs politiques étrangers. D’une part, les États-Unis qui
soutiennent l’indépendance ukrainienne dans une stratégie qui a pour visée, selon les dires de
constituée en 1992, après l’indépendance de l’Ukraine, d’un schisme avec l’Église orthodoxe ukrainienne
rattachée canoniquement au Patriarcat de Moscou. Son primat Philarète, âgé de 89 ans, porte le titre de patriarche
de Kiev, a été défroqué et excommunié en 1997 par l’Église orthodoxe russe. Ces deux hiérarques ont fait appel
au Patriarcat œcuménique qui le 11 octobre 2018, à son tour, les a rétablis dans leur dignité épiscopale ou
sacerdotale, et a aussi reçu leurs fidèles dans la communion ecclésiale.
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l’ancien conseiller d’État américain Zbigniew Brzezinski2, de modifier la nature même de l’État
russe qui sans l’Ukraine cesserait d’être un empire en Eurasie, en la privant de ressources
nombreuses et d’un accès à la mer Noire. C’est pour cette raison que nous voyons différentes
déclarations des politiques étatsuniens qui soutiennent l’octroi de l’autocéphalie en Ukraine. Le
Département d’État américain dans un communiqué de presse intitulé « Liberté religieuse en
Ukraine » exprime son respect « pour la capacité des dirigeants religieux orthodoxes d’Ukraine
et leurs partisans à poursuivre l’autocéphalie selon leurs convictions ». Le représentant spécial
des États-Unis pour l’Ukraine, Kurt Volker, a déclaré que son pays soutient pleinement la
création d’une Église locale orthodoxe unique en Ukraine ou l’ancien vice-président américain
Joe Biden qui lors d’une rencontre avec le patriarche de Kiev Philarète, a exprimé son soutien
à la création d’une Église autocéphale en Ukraine. Le même Philarète a demandé au mois de
mai de cette année, aux députés du Parlement européen de soutenir le patriarche œcuménique
Bartholomée dans son « combat » contre le Patriarcat de Moscou, mais aussi d’influencer les
Églises orthodoxes d’Europe.
Pour les autorités ukrainiennes, l’autocéphalie d’une Église sans la tutelle de Moscou est une
condition sine qua non de l’indépendance de l’Ukraine, mais aussi un excellent moyen de
gagner les prochaines élections présidentielles. Le long des routes on peut voir les panneaux
d’affichage avec l’inscription signée par Petro Porochenko : « Une Église indépendante —
garantie d’indépendance ». (voir la photographie ci-dessous)
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