La
ville finlandaise de Lammi discutait avec animation de la nouvelle suivante :
des "gens en noir" achetaient une énorme parcelle de terrain où se
trouvait autrefois un complexe hospitalier. Les représentants de
l'administration se frottaient les mains dans l'excitation : "Nous
réduirons les frais d'entretien de l'immeuble et nous pourrons économiser tant d'argent
!" Bien que tous les habitants prudents de Lammi ne partagent pas la joie
des autorités de la ville : "Qui sont ces "gens en noir" qui
sont venus ici ? Ils se disent orthodoxes et veulent établir une communauté
selon des règles athonites..."
Six
années se sont écoulées, et la vivacité d'origine s'est transformée en un vif
intérêt et en bonnes relations permanentes. Hannu Pöyhönen et certains de ses
étudiants en étaient arrivés à la conclusion que la connaissance théorique de
l'Orthodoxie devait être combinée avec la vie selon l'Evangile. En pratique,
l’opinion de Pöyhönen et de ses étudiants est partagée par de plus en plus de
résidents d'une des régions les plus densément peuplées de Finlande.
"C'est essentiellement pour cette raison que nous sommes venus ici et que
nous vivons ici ", dit-il. "Connaître l'Orthodoxie et vivre avec le
Christ - c'est le but de notre vie ici. L'Evangile doit être prêché, mais ce
n'est possible que si vous essayez de vivre selon l'Evangile."
Nous
avons parlé avec Hannu dans une cellule dans les quartiers d'habitation de la
communauté monastique, qui est toujours en cours d'installation.
Rencontres
autour d'un café, de l'Evangile et des conseils du Père Ephraim
Dr Pöyhönen, comment cette histoire a-t-elle commencé
? Comment est apparue une communauté orthodoxe dans la ville endormie de Lammi
?
-J'ai
enseigné la théologie au collège orthodoxe du nouveau monastère de Valaam [à
Heinävesi, en Finlande.] pendant plusieurs années. A partir de 1997, avec la
bénédiction de l'archevêque Jean [aussi Johannes (Rinne ; 1923-2010),
métropolite de Carélie et de toute la Finlande et primat de l'Eglise orthodoxe
finlandaise autonome entre 1987 et 2001], j'ai enseigné la théologie orthodoxe
à l'Université de Finlande orientale dans la ville de Joensuu, activité pour
laquelle j'ai pris un congé sans solde du collège. A Joensuu, je vivais au
dortoir du séminaire théologique dans la salle destinée au clergé et située à
proximité des salles des séminaristes. A mes yeux, ils étaient comme un troupeau
de brebis sans berger (cf. Matthieu 9 : 36). Voyant leur situation, je
leur ai suggéré de venir prendre un café avec moi après la Liturgie, s'ils le
désiraient. Et un petit groupe de séminaristes a accepté mon invitation. Ils
étaient entre quatre et sept. A chaque réunion, nous discutions des questions
liées à la vie spirituelle.
En
Finlande, les communautés orthodoxes ne reçoivent généralement qu'un seul
prêtre pour l'accompagnement spirituel. En conséquence, les nouveaux diplômés
du séminaire se retrouvent très vite dans une situation difficile, servant
seuls dans leur paroisse. Un jour, je leur ai dit : "Quand vous serez
diplômés du séminaire, ne vous oubliez pas les uns les autres et ne perdez pas
votre motivation pour le ministère de l'Église." Après une courte pause,
un séminariste m'a demandé si, dans ce cas, nous devions fonder une
organisation publique. J'ai été captivé par cette idée, et un jour, pendant mon
séjour sur le Mont Athos, où je suis venu rendre visite à mon ami finlandais, à
présent hiéromoine Joseph, au monastère de Philotheou, j'ai demandé la
bénédiction de l'higoumène Ephraim. Le Père Ephraim m'a répondu que je devais
fonder une communauté, parce qu'à notre époque, un individu ne parviendra
presque jamais à faire quoi que ce soit seul par initiative privée.
Ainsi,
en 2000, mes séminaristes, d'autres amis et moi-même avons fondé la Fraternité
de Saint Côme d'Aitolie. Nous avons commencé à publier des écrits de grands
ascètes du Mont Athos des temps modernes et d'autres saints contemporains et
nous nous réunissons trois fois par an pendant un week-end pour participer
ensemble à des offices et à des discussions spirituelles. C'est grâce à ces
rencontres que notre rêve de disposer de nos propres locaux pour les réunions est
né.
En
2011, ce processus s'est accéléré. Encore une fois, nous avons demandé l'avis
du Père Ephraim - à ce moment-là, il était devenu higoumène de la skite de St. André
sur le Mont Athos. Il a soutenu notre initiative et nous avons créé le "Fonds de tous les saints qui ont
illuminé le Mont Athos" pour collecter des fonds en Finlande, et avec
la bénédiction des hiérarques de notre Église orthodoxe locale, nous avons
commencé à chercher un endroit approprié dans le sud de la Finlande, où est
principalement concentrée la population orthodoxe du pays.
Et
le premier endroit où nous nous sommes retrouvés, c'est précisément ici, là où
nous parlons maintenant. Bien que ce soit beau et calme ici, j'ai pensé qu'il
était déraisonnable d'obtenir le complexe en raison du grand nombre de
bâtiments qui ont besoin d'entretien pour les maintenir en bon état de
fonctionnement. Mais le staretz Ephraim a insisté sur le fait que cet endroit
était pour nous. Et après une série d'événements difficiles mais miraculeux,
nous avons obtenu ce complexe. Nous y avons élu domicile à l'été 2013. Dès le
début, nous voulions avoir deux monastères orthodoxes vivant ici selon les
règles athonites : une communauté pour les moines et une communauté pour les
moniales. Puisqu'il y a jusqu'à vingt-deux bâtiments ici, nous avons pensé à
entreprendre des activités à vocation sociale adaptées aux monastères : par
exemple, ouvrir une maison de retraite pour laïcs orthodoxes âgés et une école
orthodoxe privée. Le temps nous indiquera lesquels de ces projets seront
entrepris en temps voulu.
L'essentiel, c'est de persévérer
Comment évaluez-vous la situation du christianisme en
Finlande ? Il n'y a pas de persécutions, rien n'empêche les chrétiens de vivre
une vie chrétienne, d'aller à l'église, d'étudier l'Orthodoxie à l'école. Ai-je
raison ?
- À
mon avis, la Finlande est un pays occidental typique. Les valeurs chrétiennes
sont détruites de plus en plus rapidement. Rien dans la société moderne
n'encourage un mode de vie chrétien. Et cela affecte le système éducatif. La
religion est toujours enseignée dans les écoles finlandaises, y compris la
matière "Principes fondamentaux de la culture orthodoxe" pour les
élèves orthodoxes. Mais, aussi étrange que cela puisse paraître, la prière
n'est pas autorisée pendant les cours de religion ! Des icônes peuvent être
présentes aux cours, des cierges peuvent être allumés, mais seulement à des
fins éducatives et non comme un acte de confession de foi. Les fêtes
chrétiennes ne sont plus célébrées dans les écoles de notre pays - la cause
formelle en est la présence de représentants d'autres religions en Finlande et
la tendance à la tolérance.
Jusqu'à
présent, il n'y a eu aucun cas de discrimination ou de persécution pour des
motifs religieux en Finlande. Chaque citoyen a le droit d'aller à l'église et
de pratiquer librement sa foi. En même temps, la pression de l'opinion publique
entrave l'adhésion visible aux idéaux chrétiens traditionnels. Elle se
manifeste sous une forme extrême lorsqu'il s'agit d'éthique sexuelle. Il est
évident que même les dirigeants des confessions religieuses ont adopté une
position très prudente dans leurs déclarations publiques afin d'éviter d'être
qualifiés de "racistes". Les questions de "l'égalité des
sexes" sont devenues plus urgentes que la préservation de la tradition de
l'Église. Cette prudence s'explique principalement par le fait que les jeunes
membres des communautés quittent facilement l'Église évangélique luthérienne de
Finlande, et nous pouvons voir la même tendance dans l'Église orthodoxe. Nous
devrons donc inévitablement choisir entre la recherche de la quantité ou de la
qualité dans notre Église. D'autre part, je crois qu'en s'efforçant de
préserver la tradition orthodoxe séculaire, notre Église locale pourrait
attirer de nombreux nouveaux paroissiens parmi les anciens luthériens dont les
attentes n'ont pas été satisfaites dans le contexte de la pression publique
moderne. Je crois qu’en
s’efforçant de préserver la tradition orthodoxe séculaire, notre Eglise locale
pourrait attirer beaucoup de nouveaux paroissiens parmi les anciens luthériens dont les
attentes ont été déçues dans l’environnement soumis à la pression publique
moderne. A mon avis, noztre Eglise devrait résister, afin que les adeptes
d'autres religions qui cherchent un autre "refuge spirituel" pour
eux-mêmes et leurs familles puissent nous voir résister à ces épreuves et voir
notre soutien fiable dans la préservation des valeurs chrétiennes. Notre
promesse est d'être fidèles au Christ. Nous ne pouvons pas la trahir sans
souffrir et sans faire souffrir les autres. L'Eglise doit rester le sel de la terre, même si elle doit
payer cher pour cela.
C'est
la situation en Finlande. D'autre part, sur la base de l'Evangile et de
l'ensemble des Saintes Ecritures, nous pouvons affirmer que les chrétiens
seront persécutés partout, s'ils appliquent l'enseignement du Christ dans leur
vie. Nous ne devons pas oublier que même dans des circonstances difficiles,
nous pouvons rester heureux, quand nous n'avons pas des remords de conscience à
propos de notre lâcheté et des compromis pour l’amour d'une vie confortable.
Le droit à la lenteur prudente
Comment votre communauté est-elle traitée par les gens
?
-Nous
vivons dans la province méridionale de Häme, où l'expérience de la vie orthodoxe
est encore insignifiante. Malgré cela, les gens du lieu nous ont réservé un
accueil chaleureux. Certains se sont sincèrement réjouis parce que ce complexe
nous avait été vendu. Des groupes de paroissiens locaux, des organismes
culturels publics et des retraités viennent nous voir. La première expérience
de l'Orthodoxie peut être comparée à la fraîcheur de la mer, et cela reste
longtemps dans la mémoire des gens. Cependant, les résidents locaux ne décident
presque jamais de venir à nos services séparément. Nous espérons qu'avec le
temps, la situation changera pour le mieux, d'autant plus que les habitants de
la province de Häme sont connus pour leur lenteur...
Quant
à notre Église, beaucoup préfèrent jouer le rôle d'observateurs - pour voir si
notre communauté de fidèles va disparaître ou se développer. Cela ne concerne
peut-être pas seulement notre communauté. Tout être humain a la liberté de
douter, le droit d'observer et de "s'inspirer lentement". Certes,
parmi nos coreligionnaires, il y a ceux pour qui la vie monastique dans le
monde contemporain n'a aucune importance. De plus, il y a ceux qui craignent
que l'Orthodoxie du Mont Athos puisse devenir plus forte dans ce pays et que
nous revienions au point où notre Église locale était loin des tendances
modernes dans la société.
Leçons très sensibles d'humilité
-Je suis certain que l'une des principales difficultés
de votre monastère est d'ordre économique. J'ai même peur d'imaginer vos
factures de chauffage et d'électricité... Comment faites-vous face à cela ?
-Les
frais d'entretien sont proportionnels à la superficie de notre complexe. Pour
réduire les coûts de chauffage, nous avons acquis, il y a cinq ans, une
centrale thermique qui fonctionne avec des copeaux de bois. Ce complexe moderne
unique en son genre était censé nous fournir également de l'électricité.
Malheureusement, il n'a pas répondu à nos attentes en raison de nombreux
défauts. L'hiver dernier, nous avons dû chauffer les bâtiments au mazout léger,
trois fois plus cher que les copeaux de bois en Finlande. Cet hiver, nous avons
connu la même situation avec le chauffage. Les bâtiments que nous n'utilisons
pas ne sont pas chauffés et il ne reste pas d'eau dans leurs tuyaux de
chauffage. Comme pour les autres bâtiments, un niveau minimal de température
nécessaire pour maintenir les tuyaux de chauffage en état de fonctionnement est
maintenu dans ces bâtiments. Dans de nombreux bâtiments, la température ne
dépasse pas dix degrés Celsius, et dans les cellules et les salles de travail,
nous utilisons des radiateurs électriques. C'est pourquoi nos factures
d'électricité restent extrêmement élevées.
Bien
que nos problèmes de chauffage soient liés à des défaillances techniques, nous
réalisons tous que les vraies raisons sont spirituelles et se manifestent dans
la réalité de cette façon. Détruire un monastère avant sa fondation donnerait
la plus grande joie aux esprits malins ! Il semble inconcevable pour quelqu'un
qui n'a jamais vécu dans un monastère qu'une guerre spirituelle comme celle-ci
puisse exister. Ici, nous avons vécu beaucoup de choses que nous n'aurions
jamais pu imaginer auparavant.
Sans
aucun doute, le Seigneur permet que ces épreuves nous arrivent. A travers elles,
Il teste combien nous voulons que ce monastère apparaisse et combien nous
sommes prêts à endurer pour réaliser nos efforts. Il nous enseigne l'humilité
de cette façon. Nous devons admettre que nous ne sommes pas assez forts et
sages pour atteindre cet objectif, même si nous avons fait tout ce qui était en
notre pouvoir pour réussir. Un jour, l'higoumène de la skite de St. André, le
Père Ephraim, nous a dit qu'une grande communauté monastique, une "grande
laure" d'importance mondiale, apparaîtrait ici en temps voulu. Si cette
promesse doit être tenue, alors nous ne devrions pas nous inquiéter parce que
cela n'arrivera pas grâce à nos efforts. Il a aussi dit que si le Malin fait un
effort énorme pour détruire un monastère, alors que dire de deux monastères qui
sont en train d'être érigés ? Au tout début de notre préparation, un staretz
athonite, aujourd'hui vénéré comme un saint, m'a regardé dans les yeux et m'a
dit d'une voix très sérieuse : "Préparez-vous à de dures épreuves et
tribulations". Et nous avons vécu avec elles pendant près de six ans dans
l'esprit du Livre de Job.
Mais,
pour être honnête, il serait injuste de ne parler que de problèmes. Nous avons
fait l'expérience de la Grâce de Dieu et de Son aide en abondance. Nous avons
été plusieurs fois au bord du désastre, mais nous avons été sauvés au tout
dernier moment. C'est un grand miracle que nous ayons existé pendant cette
période, alors qu'on nous avait dit que notre vie durerait un an maximum. Les
prières intensives et l'aide des gens ordinaires étaient "porteuses"
de laGgrâce divine sans laquelle on ne peut durer un seul jour.
La naturalité sainte et la sainteté naturelle comme
modèles
Pourquoi avez-vous organisé la vie de votre communauté
selon les règles du Mont Athos ?
-Les
saints pères du Mont Athos (Hagiorites) nous ont laissé une impression indélébile.
Ils ont renoncé à tout dans le monde et se sont battus pour le salut dans
l'obéissance à leurs pères spirituels et dans la prière incessante. En outre,
ils rayonnent de lumière, ils sont naturels, ingénus, et on se sent à l'aise et
souvent joyeux et heureux en leur compagnie.
La
force de la tradition du Mont Athos est validée précisément par le fait de la
vie de ces saints hommes. Je crois que le monachisme athonite peut aider nos
contemporains à acquérir de nombreux dons spirituels. Notre vie devient
superficielle, et tout le monde n'est pas prêt à être d'accord avec cela. Pour
beaucoup de gens, le sens, la profondeur et le naturel sont très importants. Et
c'est quelque chose que l'Église orthodoxe, fondée par le Christ, peut leur
donner, surtout dans les communautés monastiques, où est pratiquée une vie
spirituelle profonde. Nous espérons sincèrement que la visite de notre lieu
donnera aux voyageurs, l'expérience, bien qu'incomplète, de la vie dans
l'esprit des Pères Hagiorites (bien que cette ressemblance soit très
lointaine), la paix de l'esprit, l'espoir et la joie de la communion avec Dieu
dans les offices religieux et la prière commune. Et nous serons heureux de
rencontrer chaque invité comme une personnalité unique qui porte en lui une
particule d'éternité. Car chacun de nous est éternel. Et que Dieu nous accorde
de passer l'éternité avec le Christ.
Version
française Claude Lopez-Ginisty
d’après
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