Alexandre Chtchipkov
Premier vice-président du
département synodal du Patriarcat de Moscou pour les relations avec la société
et les médias, membre de la Chambre civique de la Fédération de Russie,
professeur à la Faculté de philosophie de l'Université d'Etat de Moscou -
Alexandre Chchipkov, dans un entretien exclusif avec RIA Novosti, a commenté
les dernières actions du Patriarcat de Constantinople et, à leur lumière, le
thème de l'auto-céphalie ukrainienne. Il est interviewé par Sergey Stafanov.
Alexandre Vladimirovitch, tout récemment, le 31 août, nous avons
assisté à la rencontre des Patriarches Kirill et Bartholomew à Istanbul, et
dans le prolongement de cette rencontre, elle a été qualifiée de fraternelle,
qui s'est tenue dans un esprit de compréhension mutuelle.
Cependant, dès le lendemain, le Conseil [Synaxe] des évêques de
Constantinople a commencé ses travaux, et le Patriarche Bartholomée a fait des
déclarations assez sévères à l'égard du Patriarcat de Moscou. Comment
confronter ces deux attitudfes et le comprendre ?
De la part du Patriarche Kirill,
l'attitude à l'égard du Patriarche œcuménique Bartholomée a été et demeure
fraternelle. Le comportement calme et patient du Patriarche Kirill témoigne de
cette attitude fraternelle. Et jusqu'au dernier moment, le Patriarche Kirill a
essayé de résoudre les problèmes existants dans un dialogue fraternel qui,
selon ses propres termes : "se produit au sein d'un seul corps - le Corps
de l'Église Une Sainte Catholique et Apostolique <...> et nous impose une
certaine responsabilité et un certain devoir, mais nous donne aussi force et
inspiration."
Après la nomination hier [ 7 septembre 2018] des Exarques par
Constantinople, est-il possible de parler de l'octroi de l'autocéphalie à
l'église ukrainienne comme décision finale[par Constantinople] ?
Sans aucun doute, c'est le
premier pas sur cette voie.
Hier, commentant cette décision, le Patriarcat de Moscou a noté que
cette mesure ne restera pas sans réponse de l'Eglise orthodoxe russe. Quelle
pourrait être cette réponse ?
Afin de comprendre quelle
pourrait être la réponse, notre lecteur devrait comprendre la situation
générale. L'Ukraine est le territoire canonique du Patriarcat de Moscou. Selon
les canons du Deuxième Concile œcuménique (1), les évêques n'ont pas le droit
de transgresser la limite du territoire canonique d'autrui sans invitation.
Dans cette situation donnée, deux exarques - Daniel et Hilarion - furent
envoyés à Kiev sans l'accord du métropolite Onuphre ! C'est une violation
directe des anciens canons !
C'est pourquoi je considère qu'il
s'agit d'une déclaration de guerre directe. Souviens-toi des mots : "Kiev
a été bombardé ! Ils nous ont déclaré que la guerre a commencé! (2)"
Maintenant c'est la même chose, mais c'est une guerre religieuse.
Qu'est-ce qui se cache derrière cette action du Patriarche Bartholomée
?
Le patriarche Bartholomée est
obsédé par l'idée du papisme oriental. Il rêve de devenir le chef unique de
toute l'Orthodoxie universelle[œcuménique], analogue à l'Église catholique
romaine[et à son Pape].
Bartholomée formulait l'idée
suivante : " Il dit que Constantinople possède une certaine exclusivité
mystique par rapport aux autres Églises orthodoxes, que Constantinople est
« l'Éthos » de l'Orthodoxie (3)".
Photo : www.eurotopics.net
Le mot clé est Ethos. Qu'est-ce
que c'est ? L'ethos est un trait de caractère stable, universel et immuable
d'une personne, d'une nation, d'un groupe social. Le Patriarche Bartholomée
déclare qu'il est le détenteur du standard même de l'Ethos de l'Orthodoxie.
Cela implique immédiatement que toutes les autres Eglises sont imparfaites et
doivent obéir au Phanar. Ce curieux exemple de racisme religieux entrera
certainement dans les futurs manuels de sciences politiques.
Comment les autres Eglises
réagiront-elles à cela ? Négativement naturellement !
Le 7 septembre 2018, le
patriarche Bartholomée est entré dans l'histoire de l'Église orthodoxe comme
professeur de schisme !
Je parle d'abord de concepts
intellectuels et de choses sémantiques ; je parle en théorie. Mais les
questions canoniques sont extrêmement importantes, car il ne s'agit pas
d'animaux, mais de personnes chrétiennes qui vivent sur ce territoire.
Ce n'est pas la première fois que
Constantinople se dirige vers un schisme ; si nous regardons l'histoire, nous
nous rappelons que c'est Constantinople qui a initié une transition en
Orthodoxie vers le calendrier du Nouveau Style.
Cette division du calendrier n'a
toujours pas été guérie à ce jour. Certaines parties des Églises locales sous
l'influence de Constantinople sont passées dans le Nouveau Style, d'autres,
comme l'Église orthodoxe russe, ne l'ont pas fait. A l'intérieur de l'Eglise de
Grèce, en Grèce, des millions de croyants n'ont pas reconnu cette réforme.
Quant à la relation entre
Constantinople et Moscou, je ne sais pas si nos lecteurs sont au courant, mais
dans les années 1920, Constantinople a soutenu le "Schisme rénovateur
(4)" en URSS.
Ce schisme a été artificiellement
créé et soutenu par Trotsky et les autres bolcheviks. Constantinople a alors
exigé qu'un saint de notre Église, le patriarche Tikhon, renonce à son autorité
et se retire. A cette époque, notre église, dans les conditions les plus
difficiles, préservait la pureté de l'Orthodoxie.
Alors, qu'est-ce qu'on a
aujourd'hui ? On sait que Constantinople prêche une tendance libérale en
Orthodoxie. On parle de prières communes avec les protestants et les
catholiques, ce qui, pour le moins, n'est pas bienvenu en Orthodoxie.
Bartholomée vient d'autoriser les
seconds mariages pour le clergé, ce qui est également interdit par les canons
des Saints Pères de l'Église. Ils diffusent [les constantinopolitains du
Phanar] constamment des indices et des signaux semi-transparents sur la licéité
des orientations sexuelles non conventionnelles et ainsi de suite.
Moscou, au contraire, incarne la
voie conservatrice et traditionaliste du développement de l'Orthodoxie et
défend la pureté du dogme. Mais les discussions scientifiques et théologiques
sont une chose, alors que l'invasion directe de la maison de quelqu'un d'autre
est une question totalement distincte.
Le 7 septembre restera dans
l'histoire comme une date lamentable. En ce jour, le Patriarche Œcuménique
Bartholomée proclamait et signalait un schisme dans l'orthodoxie universelle,
selon les lignes libérales et conservatrices. Et il se dirige officiellement
dans une direction libérale.
Quel genre de réaction cela peut-il provoquer dans le monde orthodoxe ?
Comment les événements pourraient-ils évoluer ?
Sans aucun doute, cela provoquera
une réaction très dure dans les différentes Eglises. Le Patriarche Bartholomée
développera son "papisme oriental" ; l'Eglise russe ne pourra pas
être d'accord avec cette libéralisation du dogme et la désintégration du
système de vie ecclésiastique.
Tout d'abord, à mon avis
personnel : il est nécessaire de former un tribunal ecclésiastique
interorthodoxe, et de rendre des jugements sur les actions anti-canoniques et
les idées hérétiques du Patriarche Bartholomée.
Deuxièmement, à mon avis, la
question de la communion eucharistique ecclésiastique se posera inévitablement.
Il y a une forte probabilité que cela se produise. A partir de là, certaines
actions pratiques suivront. Un grand nombre de nos troupeaux se trouvent en
dehors de leur patrie, et particulièrement en Turquie. Aujourd'hui, ils [peuvent]
se rendre dans les Églises du Patriarcat de Constantinople et s’y confesser et
y communier.
En cas d'interruption de cette
communion, ils n'auront plus cette possibilité. Par conséquent, notre Église
devra prendre des mesures pour prendre soin des Russes à l'étranger. Nous
devrons y ouvrir des paroisses, y construire des églises et y envoyer des
membres du clergé. Nous ne pouvons pas abandonner nos enfants.
Les actions du Patriarche
Bartholomée ont des conséquences d'une portée considérable, dont la guérison
prendra des décennies.
Plus tôt, le métropolite de l'Église orthodoxe ukrainienne et le
Patriarcat de Moscou ont exprimé des vues similaires, à savoir que le
patriarche Bartholomée est engagé dans des jeux politiques. Selon vous, quelle
est l'influence des forces politiques étrangères sur le Primat [Bartholomée],
en référence à certains États étrangers, et a-t-elle été décisive dans le cas
de l'Autocephalie ukrainienne ?
Tournez votre attention sur les
origines des exarques envoyés à Kiev. Mgr Daniel, évêque de Pamphilon, est
arrivé à Kiev en provenance des États-Unis d'Amérique ; Mgr Hilarion, évêque
d'Edmonton, a été envoyé du Canada. Ces seules circonstances nous amènent à
nous demander qui est derrière Bartholomée.
Il y a un grand soupçon parmi
beaucoup, que ce n'est pas Bartholomée qui dirige les évêques Daniel et
Hilarion, mais plutôt les évêques Daniel et Hilarion qui contrôlent Bartholomée.
Et qui les contrôle... nous ne pouvons que deviner.
Les États-Unis, comme nous le
voyons, sont en train d'accélérer la situation militaro-politique en Syrie et
en Ukraine, en utilisant toutes sortes de méthodes, depuis les fausses attaques
chimiques[en Syrie] jusqu'à l'incitation à des guerres religieuses.
Je crois qu'il y a beaucoup de
participants à ce jeu, parmi eux : Le Patriarche Bartholomée, le Pape de Rome
et « l'État profond » américain. Je pense que dans un avenir proche,
nous en parlerons aussi.
Version française
Claude Lopez-Ginisty
D’après
***
NOTES
1 Le Deuxième Canon du Deuxième
Concile œcuménique déclare, entre autres, que "...les évêques ne doivent
pas aller au-delà de leur diocèse pour s'adresser à des églises situées en
dehors de leurs frontières..." https://www.ccel.org/ccel/schaff/npnf214.ix.viii.iii.html
2 Ce sont les paroles d'une
célèbre chanson de la Seconde Guerre mondiale "Двадцать второго июня
ровно, ровно ровно в 4 часа" [Le vingt-deux juin, exactement exactement à
16 heures] sur l'attaque surprise nazie contre la Russie qui a commencé en
Ukraine. Comme tout ce qui a trait à la Grande Guerre patriotique, notre peuple
slave ne peut s'empêcher de prendre ces mots avec émotion. Il reflète l'invasion
nazie du territoire de l'Union soviétique, qui a eu lieu à 4 heures du matin,
le 22 juin, d'où le titre (Chanson du 22 juin). Le peuple russe n'oubliera
jamais les mots "без всякого всякого объявления войны" [sans
déclaration de guerre], comme l'annonce célèbre du début de la Seconde Guerre
mondiale : les nazis ont envahi l'Ukraine "sans déclarer la guerre".
De même, la proclamation de l'envoi d'Exarques en Ukraine s'est faite sans
avertissement.
Il convient également de noter
que les Russes ont toujours vu cela d'un point de vue spirituel. L'Union
soviétique a été envahie le 22 juin, jour de la Toussaint dans les terres
russes, et la victoire a été donnée le jour de la Saint-Georges-de-la-Victoire.
Selon le Patriarche Kirill, ce n'était pas une coïncidence, mais un signe
spirituel : http://www.patriarchia.ru/db/text/1154861.html De même, cette
invasion du territoire canonique de l'Ukraine porte quelques parallèles.
L'"invasion" du territoire de l'Eglise s'est produite près de la fête
de la Rencontre (Sretenie) de la Théotokos de Kiev-Vladimir à Moscou, sur le
site du monastère Sretensky. L'icône de la Théotokos de Vladimir, qui a été transférée
de Constantinople, à Kiev, puis à Vladimir, et finalement à Moscou, est
considérée comme La Protectrice de la Rus'... C'est un fait intéressant à
garder à l'esprit, étant donné tout ce qui s'est présenté et ce qui est arrivé.
3 Dans une déclaration officielle
de la rencontre de Constantinople, le Patriarcat œcuménique a déclaré :
"Certains croient faussement qu'ils peuvent aimer l'Église orthodoxe, mais
pas le Patriarcat œcuménique, oubliant qu'il incarne l'authentique éthique
ecclésiastique de l'orthodoxie..." https://www.uocofusa.org/news_180901_1.html
4 Également appelée "Église
vivante", c'était une fausse église contrôlée par les bolcheviks, dans le
but de saper l'Église orthodoxe russe, qui n'eut pratiquement aucun soutien
populaire à long terme.
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