"Dans la confusion de notre époque quand une centaine de voix contradictoires prétend parler au nom de l'Orthodoxie, il est essentiel de savoir à qui l'on peut faire confiance. Il ne suffit pas de prétendre parler au nom de l'Orthodoxie patristique, il faut être dans la pure tradition des saints Pères ... "
Père Seraphim (Rose) de bienheureuse mémoire

lundi 30 juillet 2018

Jean-Claude Larchet: Recension / Jean Chrysostome, Panégyriques de martyrs, tome I


-->


Jean Chrysostome, Panégyriques de martyrs, tome I. Introduction, texte critique, traduction et notes par Nathalie Rambault, avec la collaboration de Pauline Allen, Collection « Sources chrétiennes » n° 595, Cerf, Paris, 2018, 384 p
Saint Jean Chrysostome (v. 349-407) a composé une vingtaine de panégyriques – c’est-à-dire d’éloges – de saints martyrs. Ce nouveau volume de la collection « Sources chrétiennes » en présente cinq, prononcés à Antioche – dont l’illustre prédicateur était alors l’évêque –  entre 386 et 397, dédiés à saint Juventin et saint Maximin, saint Romain, saint Julien, saint Barlaam, et des saints martyrs égyptiens.

Le culte des martyrs a connu un important développement au IVe siècle, et Antioche était alors la deuxième ville après Rome pour le nombre des martyrs vénérés ; saint Jean Chrysostome note même que les tombeaux des martyrs formaient une véritable « ceinture autour de la ville ». Beaucoup de tombeau de martyrs se trouvaient aussi dans la campagne environnante. Certains étaient locaux, d’autres venaient d’ailleurs et leurs reliques avaient été transférées dans ce qui était alors un centre majeur du monde chrétien. Le culte des martyrs est devenu très populaire du fait que de nombreux miracles s’accomplissaient par l’intermédiaire de leurs reliques, et il est intéressant de noter que de ce fait les fêtes en leur honneur attiraient non seulement des chrétiens orthodoxes, mais des hétérodoxes païens et juifs et déplaçaient ainsi des foules immenses.

L’édition critique du texte grec a été réalisée par Nathalie Rambault au Centre for Early Christian Studies de Brisbane (Australie) dirigé par Pauline Allen, bien connue pour ses divers travaux d’édition de qualité et l’une des meilleurs patrologues actuels, qui a également contribué à ce volume en dehors de la partie consacrée à l’histoire du texte et de la traduction. Dans leur introduction, les deux auteures analysent brièvement les cinq homélies du point de vue de leur contenu et des circonstances de leur composition, et présentent le genre littéraire de l’éloge selon lequel elles sont élaborées. Elles expliquent savamment que ce genre emprunte à une forme profane codifiée, mais l’adapte aux spécificités chrétiennes, Jean Chrysostome prenant à cet égard des libertés plus grandes que ses prédécesseurs Basile de Césarée et Grégoire de Nysse.

Le but de ces homélies n’est pas seulement de faire l’éloge des saint martyrs en mettant en évidence leurs vertus, en particulier celles qui sont nécessaires pour supporter paisiblement, voire avec joie, d’atroces souffrances et jusqu’à la mort, en gardant envers le Christ une espérance et une foi intactes. Il est aussi de présenter les martyrs comme des modèles de vie chrétienne, et des réflexions et conseils d’ordre spirituel habitent de ce fait ces éloges.

Ces homélies conservent de ce fait un caractère toujours actuel, mais aussi du fait que l’Église catholique préserve la mémoire des saints, et plus encore l’Église orthodoxe à travers ses vastes services liturgiques et commémoratifs journaliers et sa vénération toujours vivace des reliques. Cette vénération occupe dans la piété une place analogue à celle des icônes, et se trouve pleinement justifiée par la tradition ancienne toujours préservée et la définition de foi du concile de Nicée II. Elle démontre sa pertinence dans les miracles nombreux qui s’accomplissent de nos jours encore en relation avec le fait que les reliques continuent à porter et à faire rayonner les énergies divines incréées dont les saints étaient imprégnés.

Parmi les réflexions et conseils spirituels inspirés à saint Jean Chrysostome par les vies de ces martyrs, on peut en citer trois qui sont caractéristiques :


1) Le martyre ne se limite pas à des souffrances et à une mort physiques endurées pour la foi, mais peut prendre aussi une forme spirituelle dans le combat ascétique et les peines qu’il implique :

« Et comment, va-t-on me dire, est-il possible d’imiter les martyrs puisque ce n’est aujourd’hui plus un temps de persécution ? Oui, je le sais bien moi aussi. Ce n’est pas un temps de persécution, mais c’est un temps pour le martyre. Ce n’est pas un temps pour ce genre de luttes, mais c’est un temps pour les couronnes. Ce ne sont pas des hommes qui persécutent, mais des démons. Ce n’est pas un tyran qui pourchasse, mais c’est le diable, plus cruel que tous les tyrans. Tu ne vois pas devant toi des charbons ardents, mais tu vois brûler la flamme du désir. Les martyrs ont foulé aux pieds les charbons ardents, toi, foule aux pieds le brasier de la nature. Eux ont combattu des bêtes à mains nues, toi, mets une bride à ta colère, cette bête qui n’est ni apprivoisée ni domestiquées. Eux ont résisté à d’insupportables douleurs, toi, rends-toi maître des pensées déplacées et mauvaises qui fermentent dans ton cœur.
Ainsi, tu imiteras les martyrs, car maintenant il ne s’agit pas pour nous de combattre le sang et la chair, mais les autorités, les pouvoirs, les dominateurs du monde des ténèbres, les esprits du mal. Le désir issu de la nature est un feu, un feu inextinguible et permanent. C’est un chien enragé et plein de fureur, et même si mille fois tu le repousses, mille fois il te saute dessus sans lâcher prise. La flamme des charbons ardents est douloureuse, mais celle du désir est plus terrible. Jamais nous n’avons de trêve dans cette guerre, jamais nous n’avons de répit au long de l’existence présente, mais le combat est permanent, afin que la couronne ait de l’éclat. Voilà pourquoi Paul nous donne des armes, puisque c’est toujours le temps de la guerre, puisque l’ennemi est toujours en éveil. »

2) Il est plus facile de s’affliger avec ceux qui souffrent que de se réjouir avec ceux qui se réjouissent :

« Puisque [les martyrs] souffrent avec nous en raison de nos péchés, de même nous, nous nous réjouissons avec eux en raison de leurs hauts faits. C’est ainsi que Paul lui aussi a enjoint d’agir lorsqu’il dit : ”Se réjouir avec ceux qui se réjouissent et pleurer avec ceux qui pleurent”. Or pleurer avec ceux qui pleurent est simple, mais se réjouir avec ceux qui se réjouissent n’est pas particulièrement facile. Oui, nous souffrons plus facilement avec ceux qui sont dans le malheur que nous ne partageons le plaisir de ceux qui jouissent d’un bon renom. Pourquoi donc ? Parce que là, la seule nature du malheur suffit à incliner même une pierre à la compassion ; ici en revanche, la jalousie et l’envie face à la réussite ne permettent pas à celui qui ne s’adonne pas beaucoup à la philosophie de partager leur plaisir. De même en effet que l’amour rassemble et joint ce qui est séparé, de même l’envie sépare ce qui est rassemblé. C’est pourquoi, je vous en prie, exerçons-nous à nous réjouir avec ceux qui jouissent d’un bon renom, afin de purifier notre âme de la jalousie et de l’envie. Non, rien ne chasse autant cette maladie pénible et difficile à guérir que de partager le plaisir de ceux qui vivent dans la vertu. »

3) Le martyre n’a de valeur que par l’amour :

« [Saint Paul] sait, il sait bien qu’il n’y a rien de plus grand, rien qui n’égale l’amour, pas même le martyre lui-même, qui arrive en tête de tous les biens. Et comment ? Écoute : alors que l’amour sans le martyre produit des disciples du Christ, le martyre sans l’amour ne saurait faire de même. D’où vient cette évidence ? Des paroles mêmes du Christ. Il disait en effet à ses disciples : “À ceci, tous sauront que vous êtes mes disciples, si vous vous aimez les uns les autres”. Voilà : l’amour, sans martyre, produit des disciples. Et non seulement le martyre sans amour ne produit pas de disciples, mais il n’est même d’aucune utilité à celui qui l’endure ; écoute Paul le dire : “Si je livre mon corps aux flammes, mais qu’il me manque l’amour, cela ne m’est d’aucune utilité.”
C’est surtout pour cette raison que j’aime ce saint gui aujourd’hui nous a rassemblés, le bienheureux Romain : parce qu’il a montré avec son martyre beaucoup d’amour. »

Jean-Claude Larchet

Aucun commentaire: