"Dans la confusion de notre époque quand une centaine de voix contradictoires prétend parler au nom de l'Orthodoxie, il est essentiel de savoir à qui l'on peut faire confiance. Il ne suffit pas de prétendre parler au nom de l'Orthodoxie patristique, il faut être dans la pure tradition des saints Pères ... "
Père Seraphim (Rose) de bienheureuse mémoire

mardi 22 janvier 2013

Jean-Claude LARCHET: Recension: Andrew Louth, « L’Orient grec et l’Occident latin. L’Église de 681 à 1071 »

Louth

Andrew Louth, « L’Orient grec et l’Occident latin. L’Église de 681 à 1071 », traduit de l’anglais par Françoise Lhoest, Éditions du Cerf, Paris, 2013, 464 p., série « L’Église dans l’histoire », vol. III », collection « Théologies ».
Le regretté Père Jean Meyendorff avait projeté d’écrire une histoire de l’Église couvrant tous les siècles et intitulée « L’Église dans l’histoire ». Il en avait lui même rédigé le volume II, intitulé « Unité de l’Empire et divisions des chrétiens. 
L’Église de 450 à 680 », et une partie du volume IV, « L’Orient chrétien et l’essor de la papauté. 
L’Église de 1071 à 1453 »  (l’autre partie de l’ouvrage étant confiée à Aristeides Papadakis). Ces deux volumes ont paru en traduction française aux éditions du Cerf en 1993 et 2001. La mort prématurée du Père Jean ne lui a pas permis de mener à bien l’intégralité de ce projet. Les éditions St. Vladimir’s Seminary Press ont néanmoins décidé de continuer cette entreprise, importante ce qu’elle devait permettre aux Orthodoxes de disposer d’une histoire de l’Église écrite de leur point de vue propre, et ont décidé de la confier au Père Andrew Louth, prêtre du diocèse de Grande Bretagne du Patriarcat de Moscou, professeur honoraire à l’Université de Durham où il a enseigné la patristique et les études byzantines de 1996 à 2008, bien connu dans le monde universitaire par ses nombresues publications de caractère scientifique.
Ce volume III de la série « L’Église dans l’histoire » a pour objet la période qui d’étend de la fin du VIe concile oecuménique (681) jusqu’à la bataille de Manzikert (1071).
Il comporte quatre partie. La première étudie successivement: l’Église à la fin du VIIe siècle, la première phase de l’iconoclasme, l’Église en Occident (avec l’essor des Carolingiens, le devenir de la papauté et l’iconoclasme en Occident). La deuxième partie est consacrée au IXe siècle et analyse successivement: la réforme monastique en Orient et en Occident, la seconde phase de l’iconoclasme, la renaissance de l’instruction en Occident, à Byzance et en Palestine, les missions byzantines et occidentales chez les Slaves, et le changement des modèles liturgiques. La troisième partie se concentre sur le Xe siècle et étudie: le renouveau monastique, la mission chrétienne en Scandinavie, en Europe orientale et en Russie. La quatrième partie, qui étudie le XIe siècle jusqu’en 1071, s’intéresse à l’évolution du monachisme, à la réforme de la papauté, au schisme de 1054, à la vie spirituelle et intellectuelle à Byzance, et enfin à l’expansion des Turcs et des Normands et à l’effrondrement de l’empire byzantin.
Dans l’ensemble de ce volume, l’auteur analyse en parallèle l’« Orient grec » et l’« Occident latin », observant leurs points de convergence et de divergence. Couvrant des événements qui sont, pour certains, spécifiques à chaque partie – la controverse iconoclaste en Orient et l’essor de l’Empire carolingien en Occident –, ou partagés pour d’autres – la réforme monastique, la renaissance de l’instruction et la mission –, il dresse un portrait de deux parties du monde chrétien qui, en dépit de leurs points communs, se comprennent de moins en moins et deviennent de plus en plus étrangères l’une à l’autre.
Dans son introduction, l’auteur précise que son ouvrage se distingue d’autres livres portant des titres similaires, dont celui de Philip Sherrard (« The Greek East and the Latine West: A Study in the Christian Tradition ») et celui de H. Chadwick (« East an West: The Making of a rift in the Church, from Apostolic Time until the Council of Florence ») « qui tendent à rendre compte de la division de la chrétienté entre les orthodoxes d’une part et les catholiques de l’autre », « en ce que son propos n’est pas simplement ou principalement d’expliquer le schisme, mais vise à rendre compte en soi de l’histoire de l’Église, depuis la fin du VIe concile œcuménique en 681 jusqu’à la bataille de Manzikert en 1071 » (p. 9).
Mais le schisme ne fait-il pas partie de cette histoire, et l’explication du schisme n’est-elle pas impliquée par l’application d’une bonne méthodologie historique ? Que les événements de 1054 ne suffisent pas à expliquer le schisme, c’est un fait. Mais peut-on pour autant, comme le fait l’auteur, la réalité même du schisme et dire, d’une manière floue, que « pour les contemporains de l’événement, et bien des années plus tard, rien ne semblait avoir changé en 1054 » et que simplement « on enregistrait périodiquement des regains de tension entre l’Orient et l’Occident » (p. 361) ? Sans compter que la séparation était, dans les faits et sur bien des points, déjà consommée en 1054, un schisme est fondamentalement une rupture de communion, or c’est bien, d’un point de vue ecclésiologique et canonique, les anathèmes de 1054 qui ont exprimé officiellement cette rupture de communion entre l’Église de Rome et les Églises orthodoxes orientales.
Tout en prétendant ne pas expliquer le schisme, l’auteur présente néanmoins « les questions controversées » à cette épqoue  entre l’Orient et l’Occident (p. 356-360) mais s’effrorce de les réduire à la question des azymes (c’est-à-dire au débat théologique généré par l’usage, dans l’Église latine, de pain sans levain pour l’eucharistie), considérant que la question du « Filioque » ne s’est posée que plus tard, en affirmant un peu légèrement, quant au fond et quant à la datation : « il allait falloir quelques années avant que la doctrine de la double procession du Saint-Esprit ne devienne une grande question théologique » (p. 361). C’est oublier de dire que cette question était en débat depuis plus d’un siècle (Charlemagne ayant imposé à l’Église latine l’introduction généralisée du « Filioque » dans le Credo au concile d’Aix-la-Chapelle en 809), et que ce débat avait donné lieu à des conflits notoires entre Charlemagne et la papauté de son époque, et à des discussions théologiques importantes  entre l’Orient et l’Occident, dont témoignent entre autres les traités trinitaires du saint patriarche Photios (820-897) (ceux-ci, rappelons-le à la traductrice qui les cite dans leur édition anglaise, ont été publiés en français : Œuvres trinitaires, vol. I et II, éditions de la Fraternité orthodoxe Saint Grégoire Palamas, Paris, 1991). L’auteur y fait d’ailleurs quelques allusions dans les chapitres précédents (p. 106, 166-167, 187, 217) mais sans s’y arrêter, et même en relativisant l’intérêt de Photios pour cette question (voir p. 187 où l’on trouve par ailleurs l’affirmation étrange que « ce que nous trouvons chez Photios, c’est fondamentalement une théologie laïque » !)
Bref, l’auteur semble plus céder aux facilités de la mode œcuménique actuelle que se conformer à la réalité historique en sous-évaluant le facteur dogmatique dans les raisons de la séparation entre l’Église latine et de l’Église orthodoxe.

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