24 octobre 2020
Le cas de Sœur Agathoniki est un merveilleux exemple de la Providence de Dieu, en ce sens qu'Il la choisit dans les rangs des Turcs ottomans et la dirigéa vers le fait de devenir son épouse. Sœur Agathoniki Karazepouni venait des profondeurs de l'Asie Mineure. Son nom musulman était Aly Moula et son père était un hodja ["prêtre"/maître d'école/conseiller]. Il était très sage et expérimenté, et de nombreuses personnes sont venues le voir pour lui demander ses précieux conseils. Il disait : "Un de mes enfants trahira notre religion et deviendra giaour" [turc : gâvur, infidèle, particulièrement chrétien].
L'enfant grandit et se distingua par sa modestie et sa générosité d'esprit. Elle aimait particulièrement les chrétiens et elle sentait que quelque chose l'attirait vers eux.
L'occasion de se couper de sa famille se présenta au moment du déracinement des Grecs d'Asie Mineure après les événements de 1922.
C'était une petite fille de neuf ans lorsqu'elle quitta la maison de son père et suivit les chrétiens persécutés. Elle cousit également un rouleau de pièces de monnaie dans l'ourlet de sa jupe pour ne pas être sans le sou.
Sur le port, une surprise désagréable l'attendait : son beau-frère, qui était juge, était là sur le quai avec d'autres Turcs, observant les chrétiens qui étaient contraints, comme des animaux, de quitter leurs terres héréditaires. Pour échapper à son regard, la petit Aly se cacha sous les jupes gonflées d'une chrétienne ronde et put ainsi monter à bord du bateau sans se faire remarquer. Le bateau arriva à Mytilène et elle vécut avec plusieurs familles chrétiennes pendant six mois. De là, elle alla dans une autre famille à Serrès, puis à Kavala et finit à Drama. Comme elle était une enfant très bonne, obéissante et volontaire, elle était très aimée des chrétiens, qui la traitaient comme l'une des leurs.
Un jour, il y eut un office de bénédiction de l'huile sacrée dans la maison où elle vivait à l'époque. Elle entendit le prêtre dire que le contenu de la lampe-icône ne devait pas être jeté, alors elle la prit et avala tout: l'huile, le vin, le porte-mèche et la mèche elle-même. Cette nuit-là, elle vit saint Jean-Baptiste dans son sommeil et il lui dit : "Tu as bien fait, mon enfant, mais si tu n'es pas baptisée, cela ne te fera aucun bien".
Dès lors, son désir d'être baptisée s'accrut rapidement et de jour en jour. Mais personne ne l'aida à le faire, par crainte de représailles de la part des autres Turcs si le fait était connu. Finalement, elle fut en fait baptisée quelque part près de Kavala et reçut le nom de Sophia.
Les années passèrent et la petite fille devint une belle jeune femme, qui voulait se consacrer entièrement au Christ, bien qu'elle ne connaisse rien du monachisme. Elle apprit par d'autres personnes l'existence de l'île de Tinos et se mit en pèlerinage pour s'y rendre (ayant eu auparavant une vision de la Vierge qui l'appelait à le faire).
Elle y passa six mois et dormit dans la cour de l'Evangelistria*. Ses difficultés émurent Pandelis Filipousis, le gardien des icônes du saint sanctuaire, au point que, outre ce dont elle avait besoin en termes de nourriture et de logement, il lui fournit également un refuge. Il la protégea, en partie parce qu'il avait une chapelle familiale sur sa terre dédiée à Sainte-Sophie.
Son protecteur et le prêtre Stylianos Kornaros, ainsi que le père de cette dernière, l'emmenèrent au monastère de Kekhrovouni. C'était alors l'automne 1938 et Sophia avait 25 ans.
L'higoumène, Theofano Vidali, fut ravie de voir la jeune femme, mais refusa de la garder. Elle craignait que sa famille ne la cherche et ne détruise le monastère.
Elle lui dit de retourner à l'Evangélistria. Mais finalement, face au zèle de la jeune femme, elle céda et la mis en obédience à une religieuse âgée aveugle, Elisabeth Karazepouni, de Castellorizo. En raison de son malheur et parce que sa disciple Kassiani était alitée, elle descendit à l'Evangelistria avec un muletier et deux de ses animaux pour ramener Sophia au monastère. Sœur Elisabeth fut ravie de la faire novice et l'inscrivit comme moniale dans le registre du monastère avec son propre nom de famille, Karazepouni.
Elle fut faite moniale du grand habit en 1942, par le Métropolite Philarète de Syros-Tinos. A cause de l'occupation allemande, c'était une période difficile, et tout ce qu'ils eurent à offrir en guise de douceur à l'occasion de sa tonsure fut du raisin.
Sœur Agathoniki ne parlait jamais le turc et ne mentionnait jamais sa religion ou ses détails personnels. Il lui suffisait qu'elle soit acceptée en tant que chrétienne.
Elle priait beaucoup avec le chapelet, car elle ne savait pas lire. Après la mort de Sœur Elisabeth, Sœur Sophia fit le tour des cellules et demanda aux moniales de lui lire les Vies des Saints et les textes patristiques. Son âme avait soif d'entendre parler de la vie et des réalisations des saints. Comme elle ne savait pas lire, elle ne savait évidemment pas non plus écrire et mettait une croix à la place de sa signature.
Elle jeûna beaucoup. Pendant les jeûnes, elle ne mangeait que du pain sec (biscottes) et, seulement le week-end, elle prenait quelques petits pains plats et des légumes verts. Elle vivait dans une pauvreté absolue et n'avait pas de biens. Elle n'avait pas d'artisanat, mais offrait ses services auxiliaires. Elle ramassait les fils pour le tissage et moulait le café. Elle était prête à apporter son aide partout où on en avait besoin. Outre Sœur Elisabeth, elle s'occupait également de Sœur Cassienne, qui était très âgée.
En 1980, en la fête de l'archange Michel et de toutes les puissances célestes, elle eut une attaque et s'endormit en Christ quelques mois plus tard, le 28 mars 1981.
Elle était très simple, réservée et très aimée. Les autres moniales parlent toutes en bien d'elle et demandent ses prières.
Si vous sortez des murs du monastère, à l'église de la Toussaint, dans le cimetière, vous verrez ce qui suit sur la boîte contenant ses ossements :
†
Les ossements de la sœur Agathoniki Karapezouni.
Elle était ottomane de naissance,
et baptisée par révélation divine.
Ayant vécu en tant que moniale agréable à Dieu,
elle alla reposer en Christ le 28/3/1981.
"J'attends la résurrection des morts
et la vie du siècle à venir".
Version française Claude Lopez-Ginisty
d'après
Source : Hieromonk Dimitrios Kavvadias, Γέροντες και γυναικείος μοναχισμός, publié par le Saint et Grand Monastère de Vatopaidi.
NOTE:
* L'église principale de l'île, dédiée à l'Annonciation, bien que la plus grande célébration soit celle de la Dormition. C'est peut-être le site de pèlerinage le plus important en Grèce et il est construit autour de l'endroit où la Mère de Dieu a dit à la religieuse Pélagie où une célèbre icône de la Mère de Dieu, qui fait des miracles, avait été enterrée.
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