"Dans la confusion de notre époque quand une centaine de voix contradictoires prétend parler au nom de l'Orthodoxie, il est essentiel de savoir à qui l'on peut faire confiance. Il ne suffit pas de prétendre parler au nom de l'Orthodoxie patristique, il faut être dans la pure tradition des saints Pères ... "
Père Seraphim (Rose) de bienheureuse mémoire

mercredi 10 juin 2020

ARCHIPRÊTRE MICHAEL GILLIS : Étapes du voyage spirituel selon l’Archimandrite Aimilianos de bienheureuse mémoire


L'archimandrite Aimilianos du monastère [athonite] de Simonopetra, dans la première moitié d'un discours transcrit (puis traduit) intitulé "La progression de l'âme" parle des étapes jusques au début du voyage spirituel.  Le point de départ pour lui se trouve dans la négociation, à juste titre, de la deuxième étape.

La première étape du voyage spirituel, il l'appelle le sentiment d'exil, le sentiment que nous sommes loin de Dieu, qu'il y a un mur entre nous.  Ce sentiment d'exil est le sentiment d'Adam et Eve expulsés du Paradis.  C'est le sentiment de douleur, pas nécessairement physique ; en fait, la douleur physique n'est pas du tout ce dont il parle.  La douleur dont il parle est la douleur du désir, la douleur qui a poussé Adam et Ève à écouter le serpent.  Étant les seigneurs de l'univers, possédant tout, Adam et Ève en sont venus à sentir qu'ils n'en avaient pas assez, que d'une certaine manière Dieu leur cachait quelque chose.  Étant très riches, ils se croyaient pauvres et furent donc facilement trompés par le serpent.  C'est la douleur dont l’archimandrite Aimilianos semble parler, le sentiment douloureux qu'il manque quelque chose de très important.

Et bien sûr, il manque effectivement quelque chose de très important.  Nous sommes les enfants de la Chute.  Nous sommes nés dans la douleur et nous avons grandi parmi les épines et les chardons.  Partout où nous nous tournons, nous sommes piqués et poussés par des aiguilles de convoitise, d'envie, de peur et de désir (pour n'en citer que quelques-unes).  Pourtant, nous ne voulons pas l'admettre.  Nous voulons l'expliquer, le faire disparaître.  Nous disons : "C'est la faute de quelqu'un d'autre.  Je ne suis pas vraiment si pervers, du moins pas aussi mméchant que certains autres.  Et d'ailleurs, je pourrais changer si je le voulais vraiment, si seulement j'essayais plus fort, si seulement j'avais une pause".  Et donc nous nous occupons.  Nous nous occupons pour que notre attention reste en dehors de nous, pour que nous n'ayons pas à ressentir la douleur, la douleur intérieure, la douleur de l'exil de Dieu, la douleur qui, selon l’archimandrite Aimilianos, est directement liée à la nudité.

La douleur que nous ne voulons pas ressentir est la douleur de notre nudité.  Ayant été revêtus par Dieu dans le jardin du Paradis, revêtus de la gloire de Dieu que les Pères et les hymnes de l'Église nous enseignent, ayant été revêtus de la gloire de Dieu, nous ressentons intensément son absence, nous nous sentons exposés et sans protection, nous sentons le vent froid de notre contingence existentielle : ayant été appelés à naître de la terre par Dieu, que sommes-nous maintenant que nous avons perdu Sa gloire ?  Saint Augustin parlait d'un trou en forme de Dieu dans notre cœur.  L'expérience de l'orphelin ou de la brebis perdue sont des métaphores qui soulignent ce sentiment intérieur d'exil, de douleur et de nudité.  C'est ce même sentiment, le sentiment de cette douleur, le fait de savoir que nous sommes nus, que l'archimandrite Aimilianos dit être la première étape du voyage spirituel.

La deuxième étape du voyage spirituel, selon l’archimandrite Aimilianos, vient quand nous confessons que nous sommes pécheurs, quand nous savons intensément que quelque chose nous sépare de Dieu, quand nous ne nions plus notre nudité.  C'est, dit-il, le point le plus critique,

car à ce moment-là, deux choses se produiront : soit je me lèverai et je m'habillerai, soit je resterai nu.  En d'autres termes, soit je me présente à Dieu dans ma nudité et je dis : "J'ai péché", soit j'essaie de me cacher de Dieu comme Adam et Eve.  Et quand Dieu dit : "Adam, où es-tu ? je dirai : "Je me cache parce que je suis nu.  Et quand je sortirai de ma cachette, Il verra mes feuilles de figuier*.

Alors l’archimandrite Aimilianos demande pourquoi.  Pourquoi nous cachons-nous ?  Pourquoi est-il si difficile pour nous de nous présenter nus et pécheurs devant Dieu ?  La raison simple, dit-il, est "que c'est une chose terrible pour nous de réaliser que nous ne sommes rien" :

Savez-vous ce que cela signifie de passer de l'idée que vous êtes spécial et important, d'être respecté publiquement, de penser que vous avez fait de grandes choses, d'être talentueux, merveilleux, beau, charmant et je ne sais quoi d'autre, à reconnaître qu'au contraire, vous êtes nu et sans aucune importance ?  Il faut de la force pour accepter cela, beaucoup de force.  Et pourtant, nous ne pouvons même pas accepter la moindre imperfection que nous pourrions avoir, ou n'importe quelle faute, échec, erreur ou péché que nous pourrions avoir commis, sans la couvrir avec un mensonge, et ensuite couvrir ce mensonge avec un deuxième mensonge, et ensuite le deuxième avec un troisième.

Une personne peut dissimuler sa nudité par un complexe d'infériorité, par des actes d'agression, par l'autojustification, en portant divers masques, ou par bien d'autres moyens.... De telles stratégies de déni impliquent également de se cacher de soi-même.  Qu'est-ce que cela signifie ?  Cela veut dire que, même si je suis nu, je vais vivre comme si je ne l'étais pas, et donc vivre une double vie.  Ou bien je peux refuser de grandir et de progresser, comme si je n'étais pas du tout nu.  Et c'est quelque chose de beaucoup plus terrible, car c'est le rejet de la réalité, et un tel rejet ne peut avoir que des conséquences tragiques pour moi.

La vie est pleine de gens comme ça. Ils savent qu'ils sont pécheurs, ils savent qu'ils sont nus, et pourtant ils traversent la vie en faisant les choses mêmes qu'ils détestent, qui les dégoûtent, dont ils savent qu'elles sont indignes.  Et ils savent qu'ils doivent d'une manière ou d'une autre faire taire le terrible cri de leur conscience, qui les tourmente.

L'alternative de l'âme est d'accepter sa situation et de dire : "Je vais faire quelque chose pour ma nudité.  Je vais déclarer mon péché.  Je confesserai mon péché et ma nudité".  Et aussi nu que je sois, je me présenterai néanmoins à Dieu. Je lui dirai : "Tu me vêtiras".  Et cela demande une grande force.  Se tourner vers Dieu comme si rien d'autre n'existait dans le monde exige une honnêteté et une authenticité extraordinaires.

C'est le point crucial : vais-je accepter la douloureuse réalité de ma nudité ou préférer ma version du mensonge, ma version de la feuille de vigne ?  Je pense que beaucoup d'entre nous sont confus quant au rôle approprié de la force et de la volonté dans notre repentir.  Je pense que beaucoup d'entre nous investissent une grande partie de leur force de volonté et une grande partie de leurs efforts dans la couture des feuilles de figuier.  Nous pensons que c'est ce que nous sommes censés faire, nous sommes censés nous améliorer, nous sommes censés être meilleurs, nous sommes censés nous rendre moins nus.  Mais nous ne le pouvons pas, alors nous nous mentons à nous-mêmes ; nous déplaçons notre attention, nous attribuons des responsabilités, nous nous occupons et surtout nous ne passons jamais beaucoup de temps seuls et tranquilles, nous ne nous donnons jamais l'occasion de voir et de sentir profondément à quel point nous sommes nus.

Vous savez que l'une des choses les plus courantes que les croyants sincères confessent en confession est le péché de paresse.  Cependant, la plupart du temps, je pense que la personne est tombée en proie à cette confusion sur le rôle de la force et de la volonté dans notre cheminement vers la chrétienté.  Ils confessent qu'ils sont paresseux parce qu'ils n'ont pas été capables de couvrir suffisamment leur nudité, ils n'ont pas été capables de jeûner ou de prier ou de faire de bonnes œuvres au niveau qu'ils pensent être censés atteindre.  Mais je ne pense pas que la force et la volonté soient faites pour cela.  Saint Paul nous donne la clé.  Il dit : "Quand je suis faible, alors je suis fort" et "Je me glorifie plutôt de ma faiblesse pour que la puissance du Christ repose sur moi".

L'archimandrite Aimilianos nous dit que la force consiste vraiment à se tenir nu devant Dieu et devant nous-mêmes.  L'application fidèle de la force et de la puissance de la volonté consiste à nier nos illusions auto-justifiées et, contrairement à nos aïeux et à nos aïeules, à sortir nus des buissons et à nous présenter à Dieu sans excuse, sans nous déguiser d'abord, en embrassant toute notre faiblesse, toutes nos ombres, toute notre incapacité et notre insignifiance.   C'est là que la force est nécessaire.  C'est là que la force de la volonté est rachetée.

Et si, comme saint Paul, nous pouvons apprendre à nous glorifier de nos faiblesses, si nous pouvons apprendre à accepter la réalité de notre brisement, de notre impuissance, de notre perte, si nous pouvons trouver la force de nous regarder dans le miroir de notre conscience et de ne pas nous en détourner alors, alors, nous avons la possibilité d'être revêtus par Dieu, alors, nous avons la possibilité de revenir, par de petits moyens, à la relation que nos ancêtres avaient avec Dieu au Paradis.  C'est un long chemin, mais au moins selon l’archimandrite Aimilianos, c'est le vrai début.  Jusqu'à présent, tout n’est que préparation.  La préparation est importante.  Le Saint-Esprit est actif dans cette préparation.  Mais le tournant, le début du véritable retour au Paradis est ici.  C'est ici que nous acceptons notre nudité, que nous abandonnons les différentes feuilles de figuier que nous cousons et que nous avons cousues pour nous-mêmes.  C'est le début.

Il faut de la force, "une honnêteté et une authenticité extraordinaires", comme le dit l’archimandrite Aimilianos. Il faut de la force, mais pas la force de changer, mais la force de s'accepter soi-même et d'accepter l'amour de Dieu pour nous, tels que nous sommes.  C'est le début.

Un dernier mot maintenant.  L'archimandrite Aimilianos souligne que cette première étape, ce début, n'est pas comme le début d'un voyage en ligne droite.  C'est un voyage de transformation qui est circulaire.  C'est-à-dire que nous devons continuellement commencer, que nous devons continuellement rassembler le courage de sortir des buissons de nos illusions pour nous tenir nus, brisés et pécheurs devant Dieu.  Et même si nous avons fait l'expérience de l'amour gracieux de Dieu dans le passé, chaque nouveau départ a ses propres insécurités et peurs, sa honte et sa déception envers nous-mêmes.  Chaque nouveau départ requiert de la force, de la force pour se tenir à nouveau devant Dieu et dire : "Ô mon Père céleste, je suis à nouveau nu, habille-moi, s'il Te plaît".

Version française Claude Lopez-Ginisty
D’après

NOTE:
*Qui recouvrent ma nudité ( Dans la Tradition, ce sont des feuilles de figuier et non de vigne qui cachent la nudité de nos Ancêtres Adam et Eve.

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