Préservons l'intégrité et la cohérence de l'exercice de la responsabilité pastorale au sein des églises orthodoxes russes en Europe Occidentale
La lettre ouverte de Monseigneur Emmanuel au clergé de l'Archevêché des églises orthodoxes russes en Europe Occidentale, a suscité incompréhension et doutes. D'autant plus que cette lettre est apparue juste avant la tenue de l'Assemblée Générale Extraordinaire dédiée à la détermination de l'avenir de l'Archevêché.
Le métropolite Emmanuel propose de discuter de façon ouverte et confiante l'idée de la création d'un vicariat russe au sein de sa métropole, suite à la dissolution de l'archevêché par le patriarche Constantinople. Dans sa lettre, le métropolite donne les conditions de la mise en place d'un vicariat, d'une façon bienveillante mais directive.
Un vicariat se définit comme une structure ecclésiale subordonnée dont le contour reste flou : elle peut prendre la forme d'une structure métropolitaine, d'un archevêché ou d'un exarchat. Les vicariats existants aujourd'hui ont des statuts qui se situent entre ceux de l’archevêché et de l'exarchat. Ses statuts sont en réalité définis par le patriarcat de Constantinople. Si l'exarchat avec ses statuts actuels devient un vicariat de la métropole grecque en France, il risque de voir ses statuts remis en question, et donc de perdre toute liberté d'action. Or pour pouvoir sauvegarder dans le contexte actuel une certaine autonomie, l'exarchat doit pouvoir préserver ses statuts. Notamment afin de pouvoir aborder sereinement le fonctionnement futur de l’exarchat (organisation des monastères, choix de ses cadres et de son archevêque).
Le témoignage porté par la tradition orthodoxe russe est fort dans de nombreux pays d'Europe Occidentale, bien au-delà de la France. Quel sens y a-t-il à réduire le statut de l'archevêché à un vicariat de la métropole grecque de France?
Une pratique similaire a déjà eu lieu dans le passé. En 2006, l'évêque Basile Osborne (Grande Bretagne) a quitté le patriarcat de Moscou pour rejoindre le patriarcat de Constantinople en créant un vicariat dépendant indirectement de Constantinople. L'évêque s'est ensuite marié, a été réduit à l'état laïc et son vicariat a été transformé en simple doyenné. L'archevêché, avec son si riche héritage spirituel, mérite-t-il un sort semblable?
Aujourd'hui, les européens se familiarisent plus facilement avec l'orthodoxie dans leur langue vernaculaire, mais au fil de leur cheminement dans la foi, nombreux sont ceux qui choisissent la beauté des offices en slavon, et souvent la tradition eucharistique participe du choix de telle ou telle paroisse.
Que peut proposer la tradition grecque aux paroisses russes, dont il lui est parfois difficile de prendre en compte les particularités? On peut se demander s’il ne s'agit pas finalement d'une manœuvre pour s'approprier les paroissiens de l'Archevêché, ce qui aurait une implication bien plus grande que la simple commémoration du patriarche œcuménique pendant les offices.
On peut se souvenir du Concile de Moscou de 1917-1918. Au stade de préparation de ce Concile, dans le troisième chapitre du conseil préconciliaire dans le Journal N°2 du 23 juin 1917, se trouve la décision de considérer l'institution d'évêques vicaires comme non canonique. Sont également proposées des mesures paisibles de remplacement de cette institution.
Malheureusement, dans le cas d'une union avec la métropole Grecque Orthodoxe de France, l'archevêché perdra non seulement son autonomie, garantie par ses statuts actuels, mais également sa tradition spirituelle russe. Il est notable que la mention du caractère temporaire de la structure de l'archevêché, avec à terme l'objectif d'un retour à l'union avec l'Eglise Orthodoxe Russe, ait, comme par hasard, aujourd'hui disparu des statuts. Cela équivaut à un oubli de l'histoire de la création de cette union de paroisses russes et, à terme, à un contrôle direct par le patriarcat œcuménique.
En réalité la problématique est plus large, mais elle est volontairement réduite dans la lettre de Monseigneur Emmanuel. La problématique de l'Exarchat touche à la formation des futurs cadres qui viendront en soutien à l'activité pastorale de l'archevêque Jean, et pas seulement le fait de choisir dans ses statuts un état de vicariat, et possiblement plus tard, d'un simple doyenné.
Aujourd'hui, alors que des difficultés apparaissent dans les relations entre les églises sœurs il convient de tirer les leçons de l'histoire. Au moment de la guerre grecquo-turque de 1965, l'état de délabrement du patriarcat œcuménique n'était un secret pour personne. C'est pourtant à ce moment précis que le patriarche Athénagoras exclut l'Exarchat des paroisses russes de sa juridiction. Et on sait quel fut le destin de cette entité soi-disant moribonde, qui ne voulut pas rejoindre l'Eglise Orthodoxe Russe du Patriarcat de Moscou en raison de la dépendance de cette dernière vis-à-vis du pouvoir soviétique: en 1965 fut proclamé l'indépendance totale de l'Exarchat sous la direction de l'archevêque Georges Tarassov. Pendant 5 ans, les paroisses de l'exarchat ne dépendirent canoniquement d'aucun Patriarcat.
Il est possible que l'objectif de la démarche du patriarche Athenagoras était de réintégrer l'exarchat après que celui-ci se soit affaibli et ait exclu de ses statuts la finalité première de l'exarchat qui était de revenir à terme au sein de l'Eglise mère Russe. Il est peut-être erroné d'interpréter ainsi les agissements du patriarcat œcuménique mais les faits parlent d'eux-mêmes. L'exarchat en effet ne formula pas le vœu de quitter le patriarcat de Constantinople en 1965, de la même manière, aujourd'hui, l'archevêque Jean ne s'est pas adressé au patriarcat de Constantinople avec la demande d'abolir l'exarchat ou de partir à la retraite. Quel était ici le propos : de même qu'en 1965, à savoir, dans un moment tendu, de conflit entre églises sœurs, comme c'est le cas aujourd'hui en Ukraine, forcer l'exarchat à faire un choix dans des conditions difficiles.
En 1971, le patriarcat de Constantinople reprit l'archevêché en son sein, et en 1999, lui octroya le statut d'exarchat à nouveau, mais non plus avec le fait de rejoindre l'Eglise russe comme finalité, comme cela avait été le cas originellement.
Quel que soit le sens que choisisse le navire, il est essentiel, tout comme en 1921, date à laquelle il était déjà dirigé par une association de droit français, que son cap soit choisi en conformité avec le droit canon, et que soit préservé un exercice intègre et cohérent de la responsabilité pastorale des paroisses orthodoxes russes en Europe Occidentale.
Olga Kitchaeva
Département des relations avec la société et les médias du Patriarcat de Moscou
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