Oh, combien de prosternations
elle faisait! Je n'ai jamais vu des ampoules comme celles qu'il y avait sur les
genoux de grand-mère! Elle priait quand elle était seule, debout, assise, en
faisant quelque chose, elle priait en elle-même, tout en recevant les gens:
avant d'offrir des conseils ou un avis, ramassant ses chapelets et levant les
yeux vers l'icône de la Mère de Dieu, pendant la prière, elle recevait une
réponse de la Vierge. C'est seulement alors qu’elle répondait à la question qu’on
lui avait posée.
Dans la matinée, après la prière,
grand-mère embrassait toujours toutes ses icônes, puis la croix, et après avoir
pris de l'eau bénite et un morceau de prosphore, elle venait à nous et faisait
le signe de la croix sur tous les coins de la maison et sur nous tous aussi.
Souvent, le soir je la trouvais tout seule, priant avec ferveur, en silence.
Elle s'endormait avec le chapelet en main.
En été, quand grand-mère avait un
nombre particulièrement important de visiteurs, elle sortait de temps en temps
dans le jardin, où elle remerciait avec zèle le Seigneur et lui faisait des prosternations,
après quoi elle retournait vers les gens.
Parfois, elle venait dans la
salle prier pour l'un de ceux en visite chez elle, et disait: venaient Seigneur,
quel esprit léger émane de cette personne" Cependant, à d'autres
occasions, elle disait: "Celui-ci est un esprit très lourd." Elle priait,
comme si elle se débarrassait d’une lourde charge, et revenait vers ses
interlocuteurs.
Dans ces moments terrifiants d’athéisme
sous le régime soviétique, ma grand-mère était une source de lumière
spirituelle: elle était porteuse de la foi, une foi profonde en Dieu, et dans la
force de la prière.
Grand-mère elle-même fut toujours
un brillant exemple d'amour pour le Seigneur.
Elle ne fut jamais découragée, elle
ne s'est jamais plainte qu’en hiver de l'eau laissée dans un seau debout près
du poêle gelait, et des moments où ces visiteurs qui avaient raté leur train restaient
pour passer la nuit chez elle, elle n'avait aucune linge de lit à leur offrir.
Par exemple, quand le père Mikhaïl du village de Bunino passa la nuit chez
grand-maman, il plaça une souche de bouleau sous sa tête en guise d’oreiller.
Grand-mère regardait toujours le
côté lumineux de la vie. Sa patience et son humilité étaient incroyables! Il
semblait que les forces obscures n'avaient absolument aucun pouvoir sur elle.
C'est ce qui explique l'amour, la joie et la tranquillité qui émanaient d'elle
et qui étaient transmises à d'autres gens. Elle aimait les gens et les aidait.
Les gens qui arrivaient de la ville, elle les accueillaient invariablement avec
ces paroles: "Eh bien, mes oiseaux sont arrivés à tire d’aile !"
Tant de larmes ont été versées devant
elle, tant de cœurs ont été consolés par elle, et tant de gens ont reçu
l'espoir de grand-mère! Les gens venaient à elle avec toutes sortes de maladies.
Ce n'étaient pas seulement des maux physiques, mais divers problèmes auxquels
ils étaient confrontés dans leur vie. Certaines personnes venaient se plaindre
de maladies des organes internes, du cœur, les autres étaient possédées par le Diable.
Elle les guérissait tous, d'abord et avant tout par la puissance de la prière à
Dieu, et à la Mère de Dieu. Par ailleurs, elle donnait aux gens de l'eau bénite
et elle utilisait des plantes médicinales.
Elle mettait une calotte qu'elle
avait rapportée de Jérusalem, sur la tête des malades physiques et des possédés.
Au-dessus de la calotte, [elle mettait] également une pierre venant de là-bas.
Puis elle posait sa main dessus et faisait la lecture de la prière. En outre,
elle avait plus souvent recours à la prière suivante:
"Que Dieu se lève et que ses ennemis soient dispersés et que ceux qui Le
haïssent fuient de devant Sa Face. Qu’ils se dissipent comme se dissipe la
fumée et comme la cire fond devant le feu, qu’ainsi périssent les démons devant
ceux qui aiment Dieu et, se signant de la Croix, disent dans
l’allégresse : Réjouis-toi, très précieuse et vivifiante Croix du
Seigneur, qui chasses les démons par la puissance de Celui qui fut crucifié sur
toi, notre Seigneur Jésus-Christ. Descendu aux enfers, Il a foulé la puissance
du Diable et nous a donné Sa Croix précieuse, afin de repousser tout
adversaire. Ô toute précieuse et vivifiante Croix du Seigneur, aide-moi avec la
sainte Souveraine, la Vierge Génitrice de Dieu et tous les Saints. Amen !
"
Une fois, j'ai personnellement
été témoin de la façon dont ma grand-mère traitait une femme possédée. Entrant
dans le couloir, j'ai entendu les aboiements d'un chien venant de la chambre de
grand-mère. J'étais terrifiée et me précipitai à l’intérieur. Alors qu'est-ce
que je vis? Assis sur un tabouret devant ma grand-mère était une femme, pâle, de
la sueur coulait sur son visage, et elle aboyait! Je n'aurais jamais cru cela si
je ne l'avais pas vu et entendu moi-même! Plus tard, la femme se calma, et
grand-mère se coucha pour se reposer. Pour moi, elle dit: " Petite-fille,
quand je traite les gens, n’entre jamais dans la salle, car bien que cela ne me
fait rien, cela pourrait t’affecter négativement."
Le passé, le présent et l'avenir était
révélés à grand-mère dans les moindres détails. Un jour où je suis venue dans
sa chambre - il n'y avait personne, et grand-mère balayait le sol avec ces
paroles: "Oh que je suis désolé pour elle!"
"Pour qui, grand-mère?"
demandai-je.
"Oh, elle apporte une
pastèque tellement grande et lourde pour moi!"
Quelque temps plus tard, on
frappa à la porte et, en effet, sur le seuil se tenait une femme avec une
pastèque énorme.
Les gens qui rendaient visité à grand-mère,
étaient une source d'inquiétude et de préoccupation pour les autorités locales
et le procureur régional. De ce fait, ils tentèrent de disperser les gens, de faire
fuir ceux-ci et d’essayer de faire peur à ma grand-mère. Mais elle répondait
toujours: "Je ne convoque jamais personne C'est leur douleur qui les
incite à venir à moi, je ne peux pas leur tourner le dos. "
Grand-mère n'a jamais rien
demandé aux autres. Si elle avait reçu quelque chose des autres, elle le
donnait immédiatement à ceux qui en avaient besoin.
Elle recevait tous les jours un
grand nombre de lettres, dont chacune était imprégnée de douleur et de
tristesse, et qui contenait la question suivante: "Qu'est-ce que je peux
faire?" Grand-mère répondait à celles-ci dans la soirée, après avoir raccompagné
le dernier des visiteurs à l'extérieur. Ma mère était la secrétaire grand-mère.
Les lettres ne pouvaient pas être conservées, car cela pouvait nuire à ceux qui
les avaient envoyées, aussi après leur avoir répondu grand-mère les brûlait.
Quand ils demandaient des
conseils à grand-mère, elle répondait invariablement brièvement, sans jamais
répéter sa réponse à deux reprises. Si elle considérait quelque chose qui lui
était demandé comme un acte digne, elle bénissait les gens pour le faire. Si
elle estimait que ce n’était pas quelque chose qui devait être fait, elle disait:
"Je ne te donne pas ce conseil, mais ne fais pas ta volonté."
Grand-mère voyait le présent et le futur d'une personne qui s'adressait à elle,
et sur la base de ceci, elle donnait une réponse exhaustive.
Pour nous tous, membres de sa
famille, grand-mère disait: "Soyez plus humbles, mais plus proches de
Dieu", ou "l'humilité et la patience sont plus élevés que le jeûne et
la prière", "Quand vous le pouvez, gardez le silence", "La
parole est d'argent, mais le silence est d'or. "
Notre famille a toujours vécu par
les conseils de grand-mère. Nous, ses petits-enfants, n’entreprenions jamais quoi
que ce soit sans sa bénédiction. Il est difficile de décrire avec des mots à
quel point nous l'aimions. Chaque fois que nous rentrions chez nous venant de quelque
part, nous pensions tout d'abord à notre grand-mère, et non pas à nos parents,
même si nous les aimions tendrement. Nous avons toujours été soucieux de lui
plaire et de lui faire plaisir.
Peu de temps avant d'obtenir mon
emploi, ma mère, grand-mère et moi étions assis à boire du thé dans la matinée.
Il y avait déjà des gens qui attendaient grand-mère. Tout à coup, elle laissa
tomber sa tasse de thé et tomba de sa chaise.
Je me précipitai vers elle, la
soulevai et la fit asseoir. Il fallut un certain temps pour elle pour réaliser
ce qui s'était passé. C’était à la fin de novembre 1953. Ce jour-là, ma mère et
moi l'avons suppliée de ne pas se fatiguer, et de passer la journée en repos.
Toutefois, elle refusa et elle alla vers les gens. Depuis ce jour, elle commença
à s'affaiblir, à perdre l'appétit, mais elle ne voulait pas décevoir ses
visiteurs en refusant de les recevoir. Je me souviens de la façon dont grand-mère
un dimanche soir m'a appelé vers elle: "Allons, laisse-moi te bénir, tu
partiras pour un nouvel emploi alors que je serai encore endormie."
Je sentis l’état faible et malade
de grand-mère tandis qu’elle faisait le signe de la croix sur moi. A 5 heures
du matin, je partis pour la gare. Mon premier jour à mon nouveau travail se
passa bien, mais le lendemain soir je fus saisi par l'angoisse, à un point tel
que je me suis précipitée dans la chambre de mon amie, toute agitée.
Finalement, j'ai pris la décision de rentrer à la maison au matin.
En vain, ils essayèrent de me
calmer et de me convaincre de ne pas y aller. J'étais sourde à tous leurs
arguments. J'ai passé une nuit blanche et le matin, je rentrai chez moi. A
l'instant où je suis descendue du train, j'ai rencontré une voisine. "Va
vite", a-t-elle dit, "ta grand-mère est en train de mourir".
Mon domicile était à 4 kilomètres.
J'ai couru la distance, pleurant et priant Dieu pour que grand-mère ne meure pas.
Lorsque j'ai ouvert la porte du couloir, j'ai vu ma mère pleurer et j’ai crié:
"Est-ce que grand-mère est morte ?" Ma mère me calma: "Non,
elle t’attend, mais elle est entrain de sombrer."
Grand-mère ouvrit les yeux, et me
demanda même: "Comment est ton nouvel emploi" Je lui ai répondu:
"Bien, je l'aime, mais c'est temporaire."
"Peu importe," dit
grand-mère", tu ne seras jamais sans emploi."
Jusques à l’ultime instant toutes
ses pensées furent pour ses proches.
La veille le Père Fiodor nous
avait rendu visite. Il donna la communion à grand-mère et lui administra les
derniers sacrements. De toute sa vie grand-mère n'avait jamais demandé l'aide
de médecins profanes, se tournant toujours vers notre Bon Seigneur pour avoir de
l'aide. Elle ne prit jamais une seule pilule. Elle était à jamais en souci pour
les autres, craignant d’être un fardeau pour les autres.
A partir du moment de mon arrivée
et jusques à son dernier souffle je n'ai jamais quitté le chevet de grand-mère.
Je trempai ses lèvres, car elles étaient desséchées. Son bras était immobile et
sa main continuait à faire le signe de la croix. Pendant un instant, elle
ouvrit les yeux et me regarda. Elle dit: "Petite-fille, fais de bonnes
actions pour les gens, et ne fais jamais de mal aux autres."
L'instant d'après, elle ferma les
yeux et se glissa dans ses propres pensées.
Une jeune fille de la Baltique
pleurait, demandant à être autorisée à voir grand-mère. Je ne voulais vraiment
pas troubler une personne en train de mourir, mais grand-mère dit: "Laisse-la
entrer" Ce fut la dernière personne à obtenir des conseils de ma
grand-mère et sa bénédiction juste avant sa mort.
Le soir, il devint évident que le
temps de grand-mère était compté. Ma mère lui demanda: "Où as-tu
mal?" "Partout", répondit tranquillement grand-mère. Il y avait
des larmes qui coulaient de ses yeux, tandis qu’une sueur froide perlait sur
son front. Je l'ai essuyée avec une serviette. "Pourquoi pleures-tu?"
Lui ai-je demandé. Grand-mère soupira et disparut. Son visage était calme et
serein. Il était 6 heures du soir, le 16 décembre 1953.
Tout comme grand-mère vécut
modestement et discrètement toute sa vie, n’ennuyant jamais personne, pleine
d'amour pour les gens, les aidant, ainsi elle est morte paisiblement,
humblement et magnifiquement, sans importuner quiconque.
Cinq ans plus tard, mon père est
mort, et ma mère prit le voile en 1991...
Grand-mère est morte, mais n'a
pas quitté notre vie: elle est toujours avec ceux qui ont besoin d'elle, qui se
tournent vers elle avec Foi et dans la prière.
Je sais que grand-mère est
toujours proche, et au bon moment, elle m'envoie aide et réconfort et la paix
spirituelle à mon cœur…
Version française
Claude Lopez-Ginisty
d’après
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