Nous vous offrons ce récit de
Ludmilla Sokolova, petite-fille de la staritza orthodoxe russe Missaïla, sur la
façon dont prières de sa grand-mère et les siennes l’aidèrent à survivre aux
terribles années de la Deuxième Guerre mondiale. Ce sont des extraits d'un
livre intitulé « Les Prières de grand-mère», publié à Moscou en 2005 par
la maison d'édition " Otchiy Dom ".
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"Une chaude soirée d'été,
avant la guerre, grand-mère nous appela ma sœur Rita et moi à nous joindre à
elle en regardant le ciel étoilé. Nous regardâmes de tout notre soûl, quand
tout à coup grand-mère dit que Rita, quand elle serait grande, travaillerait en
tant qu’experte d’étude de la nature, tandis que je me rendrais à l'étranger.
"Pas pour les voyages», a-t-elle ajouté, "mais pour travailler."
À l'époque, j'étais vraiment
surprise, mais c'est exactement ce qui s'est passé.
Lorsque les Allemands occupèrent
Koursk, ils ont commencé à ramasse les russes dans la zone occupée pour le
travail forcé en Allemagne. Mes parents eurent juste le temps d’amener ma sœur
aînée Rita dans une ville différente, alors qu'ils n'étaient pas très
préoccupés par moi, car je n'avais que 14 ans, et les fascistes avaient besoin
d'esclaves adultes. Donc, personne ne se souciait de me cacher d'eux. Or il
s'est avéré que ce fut une erreur.
Je fus saisie, et je me trouvai
sans aucun papier officiel parmi des milliers d'autres filles malheureuses,
comme un petit poisson pris dans un vaste filet.
Ils m'ont amenée dans une grande
et belle ville portuaire - Brême. Nous y arrivâmes le soir. Il pleuvait des
cordes. Nous, les esclaves, nous fûmes poussés dans les trams vers la
périphérie de la ville, dans une usine d'aviation énorme et près d’une usine de
menuiserie. Ce n'était pas une auberge de jeunesse qu'ils tenaient prêt pour
nous, mais une sombre caserne laide, avec deux rangées de barbelés
l’encerclant... Pas un arbre ou un buisson en vue!
Épuisées, silencieuses et
abattues, par trois, nous sommes entrées dans notre demeure prison. Il y avait
dix chambres dans chacune des casernes. Chaque chambre avait 24 lits à deux
étages.
Nous avons été accueillies par
une certain sœur Annie, tout de blanc vêtu. Suspendu à une chaîne autour de son
cou au lieu d'une croix un anneau d’homme énorme en acier. «C'est la bague de
mon fiancé, il est en Russie", a-t-elle dit, et elle a ensuite annoncé
pour nous la routine quotidienne. Le rassemblement était à 5 heures du matin,
suivi par le petit déjeuner, composé d'une tasse de café avec deux cuillères à
café de sucre, dans la journée - soupe de navet, et le soir pour le souper -
250 grammes de pain.
Après avalant le souper qu’on
nous a donné j'ai réclamé une des couchettes supérieures et je m’y suis
allongée. Toutefois, au moment où je me suis allongée sur la paillasse il y eu
le son d'une alarme. Il n'y avait nulle part où aller: les fenêtres étaient
barricadées, la porte verrouillée. J'ai tiré la couverture sur ma tête et j’ai
pleuré en silence, adressant mes pensées à ma grand-mère. Mais alors je me suis
dit brusquement: "Ressaisis-toi ! Tu dois avoir beaucoup de patience
pour survivre à cette épreuve, personne ne se soucie le moins du monde de tes
larmes, tout le monde ici en aura sa part! ".
Pour commencer, de concert avec
les autres que j'ai été envoyée à la cuisine pour éplucher les pommes de terre,
mais quelques mois plus tard, les femmes réfugiées allemandes sont arrivées et
ont pris notre place. Nous avons déménagé vers une autre tâche.
Je me suis retrouvée à l'usine de
menuiserie. Le vieux maître, que je devais appeler "grand-père" en
allemand, m'a appris comment attacher des feuilles de bois séché avec un nœud
marin. J'ai eu de la chance: le travail n'a pas été trop pénible, mais il y en
avait beaucoup.
J'étais seule dans le vaste
atelier, et j'ai bien aimé être seule. Je ne voulais voir personne. Les
souvenirs m'assaillaient, déferlant sur moi comme une vague. Et je me laissais
aller aux larmes. Après tout, personne ne pouvait me voir, alors je ne devais
pas avoir honte…
J'ai pleuré et prié... J'ai eu
pitié de moi et de mes proches, qui étaient en deuil pour moi. C’était une
plainte bruyante et enfantine au Seigneur. Je partageais ma douleur avec Lui,
et cela diminuait la douleur.
Cependant, une fois, quand je pleurais
et priais tandis que je faisais mon travail à l'atelier, certains jeunes gens sont
entrés. J'étais tellement plongée dans mon travail, je ne les ai pas remarqués
au début. Comme cela s'est avéré plus tard, c’étaient des prisonniers de guerre
français. Trois paires d'yeux me regardaient en silence: une jeune fille dans
un chemisier blanc et robe tunique lumineuse, avec de longs cheveux blonds.
Debout autour de moi pendant un court instant, ils sont partis en silence, pour
ne pas me déranger. Ils posèrent seulement des questions à propos de la jeune
fille russe qui travaillait depuis longtemps à l'usine, qui j'étais et pourquoi
je pleurais amèrement. "Elle s'ennuie de sa mère patrie", répondit la
jeune fille.
Notre vie triste, emplie de faim
et de froid traînait en longueur. Non seulement avais-je arrêté de rire – je
souriais à peine. Je me suis enfermée loin des autres. Je n'ai pas partagé mes
pensées avec quelqu'un, ne me suis jamais plainte que j'étais trop jeune pour
travailler 12 heures par jour à l'atelier, famélique et à moitié endormie. Et
pourquoi aurais-je pris la peine de dire quoi que ce soit à quiconque? Tout le
monde était tout aussi affamé et fatigué que je l'étais, même si elles étaient
plus âgées que moi, je savais que de retour à la maison, grand-mère, le père,
la mère et mes sœurs priaient pour moi.
Il y avait de la vapeur qui montait
des feuilles du bois au séchage. Dans l'atelier froid cette vapeur faisait craquer
la peau de mes mains. Parfois, lorsque la sirène d'alarme hurlait, la machine
de séchage - le dessiccateur - était éteinte, et je pouvais grimper à
l'intérieur et me réchauffer un peu.
J'ai remarqué que le chariot en
bois était apporté à mon atelier
par un seul et même Français. Comme je l'ai découvert plus tard, son nom était
Jacques, et il avait 26 ans. Outre sa propre charge de travail, il faisait ce
qu'il pouvait pour m'aider. Je n'ai jamais lancé une conversation avec lui.
Cependant, une fois il m'a dit en allemand, que je connaissais depuis l'école
jusqu'à un certain point, "Liouda, ne t’afflige pas: votre armée se rapproche
de Poznan." Après cela, chaque fois que nous nous sommes rencontrés, je
lui posais la même question: "Quoi de neuf?"
Le patron de l'usine a exigé que
chaque matin je vienne à son bureau pour prendre mes instructions pour la
journée. Exactement à 6 heures, je frappais à sa porte, et après avoir entendu
"Entrez!" j’entrais en disant: "Bonjour!" J'écoutais en
silence à toutes les instructions, je demandais si c'était tout, et après avoir
entendu "oui", je partais.
Ce que je trouvais étonnant,
c'est que le patron ne m'a jamais donné les instructions assis. Il était
toujours debout à la fenêtre. Une fois qu'il a vu mes mains, toutes fendues et rougies
et il me conduisit dans le bureau et dit à son personnel d’appliquer un
médicament sur mes mains.
Les prières grand-mère m'ont aidée,
je le savais avec certitude. Je rencontrais régulièrement des gens vraiment
gentils. Par exemple, chaque fois que je quittais l'atelier, un Allemand âgé du
nom de Franz s’approchait de moi et me demandais comment j’allais ce jour-là, et sournoisement glissait dans
ma poche un sandwich qu'il avait caché pour moi. Il avait pitié de moi, m'aidait
dans mon travail, et adorait bavarder avec moi. Peut-être, en me parlant, se
rappelait-il ses propres enfants... Il a dit qu'il avait passé un long moment
dans le camp de concentration et attrapé la tuberculose des os de la jambe. Il
n'arrêtait pas de dire: "Nous, Allemands, n'avons pas besoin d'Hitler ou
de Staline". Ensuite, il cessa de venir. Je ne pouvais pas poser aux
Allemands des questions sur lui.
J'étais toujours tellement
fatiguée que j'étais constamment somnolente. Ainsi, rien ne m'empêchait de
tomber dans le sommeil le moment est venu à l'heure du coucher. Une fois un ami
de Jacques, Emile, grand, âgé de 24 ans, le Français à l’air slave m'a demandé:
"Liouda, que feras-tu quand tu rentreras chez toi?" et j'ai répondu
"Je dormirai!"
Emile était gentil et souriait
beaucoup. Par moments, il m'apportait une pomme ou une barre de chocolat. Je me
sentais tellement à l'aise avec lui, comme si c’était un vieil ami. Même si je
dois admettre que j'étais timide avec Jacques. Il avait un regard perçant qui
vous évaluait d’un clin d'œil. Il semblait que c’était une personne d'une caste
supérieure: toujours intelligent, soigné et sérieux. Rien d’étonnant à cela: il
avait réussi à obtenir un diplôme de deux universités, était officier. Il s’était
trouvé lui-même prisonnier, car il avait catégoriquement refusé de rejoindre
les rangs de l'armée d'Hitler. Je les aimais tous les deux Emil et Jacques. Leur
comportement est très noble.
Un jour, lors d'une alarme aérienne,
je n’étais pas à l'abri, mais j’ai décidé de monter dans le dessiccateur éteint
pour me réchauffer. Mais Jacques est apparu et m'a offert de m'asseoir à côté
de lui sur son chariot. Tout à fait imperceptiblement il m'entraîna dans une
conversation, en me parlant de lui-même. Il est apparu qu'il était d'une
certaine ville sur la frontière franco-belge, fils unique de parents qu'il aimait
beaucoup. Je n'ai même pas remarqué la façon dont j'avais commencé à lui parler
de ma famille. Jacques était le premier en Allemagne avec qui je partageais ces
détails personnels de ma vie. Je lui ai dit combien étaient remarquables mes
parents, sœurs et ma grand-mère, et combien je les aimais…
Puis Jacques a sorti des gants
chauds en laine de sa poche et adit:
" Voilà, ma mère me les a envoyés-
ils sont trop petits pour moi. Essaie-les! ".
Je les ai mis facilement et j’ai levé
les mains: "Eh bien, ils sont très chauds !"
"Porte-le, chère jeune
fille", a déclaré Jacques, " afin que tes mains ne te fassent pas si
mal avec ce dur labeur."
A ce moment, la sirène de fin
d'alerte a retenti, et Jacques et moi sommes retournés chacun à son lieu de
travail.
Les alertes aériennes avaient lieu
de plus en plus souvent, non seulement dans la journée, mais la nuit, aussi. C’était
de plus en plus difficile pour nous, presque des enfants, de tenir la cadence
avec des quarts de 12 heures de travail, étant donné qu’avec les raids aériens
nous dormions peu la nuit.
Je priais de plus en plus, allant
de l'autre côté de la caserne et disant mes prières enfantines pendant un long,
long moment. Je n'ai jamais demandé au Seigneur tout ce qui me concernait, mais
je priais pour que la guerre finisse bientôt et que tous mes parents s’en
sortent sans mal et bien vivants. Je me suis rappelé comment grand-mère avait
l’habitude de me dire: "Chaque fois que tu as peur, dis une prière à la
Sainte Mère de Dieu, elle saura exactement ce dont tu as besoin, et prie aussi Jésus.
" Alors je priais !
"Réjouis-toi, ô Vierge Génitrice
de Dieu, Marie pleine de grâce, le Seigneur est avec toi. Tu es bénie entre les
femmes et béni est le fruit de ton sein, car tu as porté le Sauveur de nos
âmes!"
"Seigneur Jésus Christ, Fils
de Dieu, aie pitié de moi, pécheur."
Je priais dans mon lit, avant de
m'endormir, je priais sur le chemin du travail, et tout de suite je me sentais
mieux. Le Seigneur ne m'a jamais abandonné, parce que ma grand-mère priait pour
moi. Même s'il faisait très froid, si nous étions à demi-affamés et si la
charge de travail presque plus que nous pouvions supporter, le Seigneur nous envoya,
nous les six filles de Russie, dans un village perdu et calme, où il n'y avait
que trois Allemands, et nous ne les avons presque jamais vus après qu'ils nous aient
donné nos instructions pour la journée. Tous les autres étaient des prisonniers
de guerre étrangers - français et italiens. Toutes nos filles étaient bien
élevées et modestes, n'avaient jamais rêvé d'entacher leur réputation et leur nom
de famille. Ce qui explique peut-être pourquoi tous les hommes nous traitaient
avec beaucoup de respect et d'amour fraternel.
Version française Claude
Lopez-Ginisty
d’après
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