"Dans la confusion de notre époque quand une centaine de voix contradictoires prétend parler au nom de l'Orthodoxie, il est essentiel de savoir à qui l'on peut faire confiance. Il ne suffit pas de prétendre parler au nom de l'Orthodoxie patristique, il faut être dans la pure tradition des saints Pères ... "
Père Seraphim (Rose) de bienheureuse mémoire

mercredi 10 avril 2013

LA STARITZA MISSAÏLA par sa petite fille (1)


Nous vous offrons ce récit de Ludmilla Sokolova, petite-fille de la staritza orthodoxe russe Missaïla, sur la façon dont prières de sa grand-mère et les siennes l’aidèrent à survivre aux terribles années de la Deuxième Guerre mondiale. Ce sont des extraits d'un livre intitulé « Les Prières de grand-mère», publié à Moscou en 2005 par la maison d'édition " Otchiy Dom ".
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"Une chaude soirée d'été, avant la guerre, grand-mère nous appela ma sœur Rita et moi à nous joindre à elle en regardant le ciel étoilé. Nous regardâmes de tout notre soûl, quand tout à coup grand-mère dit que Rita, quand elle serait grande, travaillerait en tant qu’experte d’étude de la nature, tandis que je me rendrais à l'étranger. "Pas pour les voyages», a-t-elle ajouté, "mais pour travailler."
À l'époque, j'étais vraiment surprise, mais c'est exactement ce qui s'est passé.
Lorsque les Allemands occupèrent Koursk, ils ont commencé à ramasse les russes dans la zone occupée pour le travail forcé en Allemagne. Mes parents eurent juste le temps d’amener ma sœur aînée Rita dans une ville différente, alors qu'ils n'étaient pas très préoccupés par moi, car je n'avais que 14 ans, et les fascistes avaient besoin d'esclaves adultes. Donc, personne ne se souciait de me cacher d'eux. Or il s'est avéré que ce fut une erreur.

Je fus saisie, et je me trouvai sans aucun papier officiel parmi des milliers d'autres filles malheureuses, comme un petit poisson pris dans un vaste filet.
Ils m'ont amenée dans une grande et belle ville portuaire - Brême. Nous y arrivâmes le soir. Il pleuvait des cordes. Nous, les esclaves, nous fûmes poussés dans les trams vers la périphérie de la ville, dans une usine d'aviation énorme et près d’une usine de menuiserie. Ce n'était pas une auberge de jeunesse qu'ils tenaient prêt pour nous, mais une sombre caserne laide, avec deux rangées de barbelés l’encerclant... Pas un arbre ou un buisson en vue!
Épuisées, silencieuses et abattues, par trois, nous sommes entrées dans notre demeure prison. Il y avait dix chambres dans chacune des casernes. Chaque chambre avait 24 lits à deux étages.

Nous avons été accueillies par une certain sœur Annie, tout de blanc vêtu. Suspendu à une chaîne autour de son cou au lieu d'une croix un anneau d’homme énorme en acier. «C'est la bague de mon fiancé, il est en Russie", a-t-elle dit, et elle a ensuite annoncé pour nous la routine quotidienne. Le rassemblement était à 5 heures du matin, suivi par le petit déjeuner, composé d'une tasse de café avec deux cuillères à café de sucre, dans la journée - soupe de navet, et le soir pour le souper - 250 grammes de pain.

Après avalant le souper qu’on nous a donné j'ai réclamé une des couchettes supérieures et je m’y suis allongée. Toutefois, au moment où je me suis allongée sur la paillasse il y eu le son d'une alarme. Il n'y avait nulle part où aller: les fenêtres étaient barricadées, la porte verrouillée. J'ai tiré la couverture sur ma tête et j’ai pleuré en silence, adressant mes pensées à ma grand-mère. Mais alors je me suis dit brusquement: "Ressaisis-toi ! Tu dois avoir beaucoup de patience pour survivre à cette épreuve, personne ne se soucie le moins du monde de tes larmes, tout le monde ici en aura sa part! ".
Pour commencer, de concert avec les autres que j'ai été envoyée à la cuisine pour éplucher les pommes de terre, mais quelques mois plus tard, les femmes réfugiées allemandes sont arrivées et ont pris notre place. Nous avons déménagé vers une autre tâche.

Je me suis retrouvée à l'usine de menuiserie. Le vieux maître, que je devais appeler "grand-père" en allemand, m'a appris comment attacher des feuilles de bois séché avec un nœud marin. J'ai eu de la chance: le travail n'a pas été trop pénible, mais il y en avait beaucoup.

J'étais seule dans le vaste atelier, et j'ai bien aimé être seule. Je ne voulais voir personne. Les souvenirs m'assaillaient, déferlant sur moi comme une vague. Et je me laissais aller aux larmes. Après tout, personne ne pouvait me voir, alors je ne devais pas avoir honte…

J'ai pleuré et prié... J'ai eu pitié de moi et de mes proches, qui étaient en deuil pour moi. C’était une plainte bruyante et enfantine au Seigneur. Je partageais ma douleur avec Lui, et cela diminuait la douleur.

Cependant, une fois, quand je pleurais et priais tandis que je faisais mon travail à l'atelier, certains jeunes gens sont entrés. J'étais tellement plongée dans mon travail, je ne les ai pas remarqués au début. Comme cela s'est avéré plus tard, c’étaient des prisonniers de guerre français. Trois paires d'yeux me regardaient en silence: une jeune fille dans un chemisier blanc et robe tunique lumineuse, avec de longs cheveux blonds. Debout autour de moi pendant un court instant, ils sont partis en silence, pour ne pas me déranger. Ils posèrent seulement des questions à propos de la jeune fille russe qui travaillait depuis longtemps à l'usine, qui j'étais et pourquoi je pleurais amèrement. "Elle s'ennuie de sa mère patrie", répondit la jeune fille.

Notre vie triste, emplie de faim et de froid traînait en longueur. Non seulement avais-je arrêté de rire – je souriais à peine. Je me suis enfermée loin des autres. Je n'ai pas partagé mes pensées avec quelqu'un, ne me suis jamais plainte que j'étais trop jeune pour travailler 12 heures par jour à l'atelier, famélique et à moitié endormie. Et pourquoi aurais-je pris la peine de dire quoi que ce soit à quiconque? Tout le monde était tout aussi affamé et fatigué que je l'étais, même si elles étaient plus âgées que moi, je savais que de retour à la maison, grand-mère, le père, la mère et mes sœurs priaient pour moi.

Il y avait de la vapeur qui montait des feuilles du bois au séchage. Dans l'atelier froid cette vapeur faisait craquer la peau de mes mains. Parfois, lorsque la sirène d'alarme hurlait, la machine de séchage - le dessiccateur - était éteinte, et je pouvais grimper à l'intérieur et me réchauffer un peu.

J'ai remarqué que le chariot en bois était  apporté à mon atelier par un seul et même Français. Comme je l'ai découvert plus tard, son nom était Jacques, et il avait 26 ans. Outre sa propre charge de travail, il faisait ce qu'il pouvait pour m'aider. Je n'ai jamais lancé une conversation avec lui. Cependant, une fois il m'a dit en allemand, que je connaissais depuis l'école jusqu'à un certain point, "Liouda, ne t’afflige pas: votre armée se rapproche de Poznan." Après cela, chaque fois que nous nous sommes rencontrés, je lui posais la même question: "Quoi de neuf?"
Le patron de l'usine a exigé que chaque matin je vienne à son bureau pour prendre mes instructions pour la journée. Exactement à 6 heures, je frappais à sa porte, et après avoir entendu "Entrez!" j’entrais en disant: "Bonjour!" J'écoutais en silence à toutes les instructions, je demandais si c'était tout, et après avoir entendu "oui", je partais.

Ce que je trouvais étonnant, c'est que le patron ne m'a jamais donné les instructions assis. Il était toujours debout à la fenêtre. Une fois qu'il a vu mes mains, toutes fendues et rougies et il me conduisit dans le bureau et dit à son personnel d’appliquer un médicament sur mes mains.

Les prières grand-mère m'ont aidée, je le savais avec certitude. Je rencontrais régulièrement des gens vraiment gentils. Par exemple, chaque fois que je quittais l'atelier, un Allemand âgé du nom de Franz s’approchait de moi et me demandais comment j’allais ce  jour-là, et sournoisement glissait dans ma poche un sandwich qu'il avait caché pour moi. Il avait pitié de moi, m'aidait dans mon travail, et adorait bavarder avec moi. Peut-être, en me parlant, se rappelait-il ses propres enfants... Il a dit qu'il avait passé un long moment dans le camp de concentration et attrapé la tuberculose des os de la jambe. Il n'arrêtait pas de dire: "Nous, Allemands, n'avons pas besoin d'Hitler ou de Staline". Ensuite, il cessa de venir. Je ne pouvais pas poser aux Allemands des questions sur lui.

J'étais toujours tellement fatiguée que j'étais constamment somnolente. Ainsi, rien ne m'empêchait de tomber dans le sommeil le moment est venu à l'heure du coucher. Une fois un ami de Jacques, Emile, grand, âgé de 24 ans, le Français à l’air slave m'a demandé: "Liouda, que feras-tu quand tu rentreras chez toi?" et j'ai répondu "Je dormirai!"

Emile était gentil et souriait beaucoup. Par moments, il m'apportait une pomme ou une barre de chocolat. Je me sentais tellement à l'aise avec lui, comme si c’était un vieil ami. Même si je dois admettre que j'étais timide avec Jacques. Il avait un regard perçant qui vous évaluait d’un clin d'œil. Il semblait que c’était une personne d'une caste supérieure: toujours intelligent, soigné et sérieux. Rien d’étonnant à cela: il avait réussi à obtenir un diplôme de deux universités, était officier. Il s’était trouvé lui-même prisonnier, car il avait catégoriquement refusé de rejoindre les rangs de l'armée d'Hitler. Je les aimais tous les deux Emil et Jacques. Leur comportement est très noble.

Un jour, lors d'une alarme aérienne, je n’étais pas à l'abri, mais j’ai décidé de monter dans le dessiccateur éteint pour me réchauffer. Mais Jacques est apparu et m'a offert de m'asseoir à côté de lui sur son chariot. Tout à fait imperceptiblement il m'entraîna dans une conversation, en me parlant de lui-même. Il est apparu qu'il était d'une certaine ville sur la frontière franco-belge, fils unique de parents qu'il aimait beaucoup. Je n'ai même pas remarqué la façon dont j'avais commencé à lui parler de ma famille. Jacques était le premier en Allemagne avec qui je partageais ces détails personnels de ma vie. Je lui ai dit combien étaient remarquables mes parents, sœurs et ma grand-mère, et combien je les aimais…

Puis Jacques a sorti des gants chauds en laine de sa poche et adit:
" Voilà, ma mère me les a envoyés- ils sont trop petits pour moi. Essaie-les! ".
Je les ai mis facilement et j’ai levé les mains: "Eh bien, ils sont très chauds !"
"Porte-le, chère jeune fille", a déclaré Jacques, " afin que tes mains ne te fassent pas si mal avec ce dur labeur."
A ce moment, la sirène de fin d'alerte a retenti, et Jacques et moi sommes retournés chacun à son lieu de travail.

Les alertes aériennes avaient lieu de plus en plus souvent, non seulement dans la journée, mais la nuit, aussi. C’était de plus en plus difficile pour nous, presque des enfants, de tenir la cadence avec des quarts de 12 heures de travail, étant donné qu’avec les raids aériens nous dormions peu la nuit.

Je priais de plus en plus, allant de l'autre côté de la caserne et disant mes prières enfantines pendant un long, long moment. Je n'ai jamais demandé au Seigneur tout ce qui me concernait, mais je priais pour que la guerre finisse bientôt et que tous mes parents s’en sortent sans mal et bien vivants. Je me suis rappelé comment grand-mère avait l’habitude de me dire: "Chaque fois que tu as peur, dis une prière à la Sainte Mère de Dieu, elle saura exactement ce dont tu as besoin, et prie aussi Jésus. " Alors je priais !
"Réjouis-toi, ô Vierge Génitrice de Dieu, Marie pleine de grâce, le Seigneur est avec toi. Tu es bénie entre les femmes et béni est le fruit de ton sein, car tu as porté le Sauveur de nos âmes!"
"Seigneur Jésus Christ, Fils de Dieu, aie pitié de moi, pécheur."

Je priais dans mon lit, avant de m'endormir, je priais sur le chemin du travail, et tout de suite je me sentais mieux. Le Seigneur ne m'a jamais abandonné, parce que ma grand-mère priait pour moi. Même s'il faisait très froid, si nous étions à demi-affamés et si la charge de travail presque plus que nous pouvions supporter, le Seigneur nous envoya, nous les six filles de Russie, dans un village perdu et calme, où il n'y avait que trois Allemands, et nous ne les avons presque jamais vus après qu'ils nous aient donné nos instructions pour la journée. Tous les autres étaient des prisonniers de guerre étrangers - français et italiens. Toutes nos filles étaient bien élevées et modestes, n'avaient jamais rêvé d'entacher leur réputation et leur nom de famille. Ce qui explique peut-être pourquoi tous les hommes nous traitaient avec beaucoup de respect et d'amour fraternel.


Version française Claude Lopez-Ginisty
d’après


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