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Jean Breck,
« L’Écriture dans la tradition. La Bible et son interprétation dans
l’Église orthodoxe », Éditions du Cerf, Paris, 2013, 303 p., collection
« Orthodoxie ».
Ce volume, paru dans la collection
« Orthodoxie« dirigée par le père
Jivko Panev, est un recueil de différentes conférences du père Jean
Breck.
Sept d’entre elles, réunies dans les deux premières parties,
concernent l’exégèse biblique, une matière que l’auteur, aujourd'hui à la
retraite, a enseignée durant de nombreuses années au Séminaire Saint-Vladimir
de Crestwood (États-Unis), au sujet de laquelle il avait déjà publié un livre
aux éditions du Cerf en 1998 : « La Puissance de la Parole. Une introduction à
l’herméneutique orthodoxe », et dont il est l’un des meilleurs
spécialistes actuels dans le monde orthodoxe.
Les quatre premières études
concernent les buts et les méthodes de l’interprétation biblique orthodoxe.
Comme on le sait, dans le protestantisme et le catholicisme romain, l’exégèse a
pris, à la fin du XIXe siècle et au XXe siècle une forme historico-philologique
à prétention scientifique, avant qu’une réaction ne se produise, au cours de
ces dernières décennies, à partir des milieux charismatiques surtout, contre
ses effets relativisants et stérilisants, et ne valorise en revanche une forme
d’interprétation soit fondamentaliste (s’en tenant à la lettre) soit
subjectiviste (considérant que ce qui est important, ce n’est pas de comprendre
l’Écriture dans le contexte historique où elle est apparue, mais ce qu’elle dit
à chacun aujourd’hui). Face à ces trois tendances, le P. Jean Breck tente de
définir une position orthodoxe, en tenant compte à la fois : 1) de
certains apports positifs de l’exégèse scientifique moderne ; 2) de la
conception orthodoxe traditionnelle, a) qui est ecclésiale (l’Écriture doit
être lue dans le cadre de l’Église et comprise à l’aune de sa Tradition) ;
b) qui est patristique (les Pères, qui sont un des constituants majeurs de
cette Tradition, ont développé une méthode d’interprétation qui reste un
modèle), c) qui valorise différents niveaux d’interprétation (en donnant une
grande place aux types et aux symboles sans négliger le sens historique), d)
qui entend situer la lecture de l’Écriture dans une ambiance et une perspective
spirituelles.
En relation avec cette perspective spirituelle, l’auteur propose de revaloriser
la lecture personnelle de l’Écriture (parfois sous-estimée dans l’Église
orthodoxe au profit d’une lecture exclusivement liturgique) en tentant de
préciser (notamment par le rappel d’un certain nombre de données patristiques
sur le sujet) les conditions d’une lectio divina orthodoxe.
En relation
avec les apports de l’exégèse scientifique moderne dans sa dimension
linguistique, il accorde une importance particulière au chiasme en
réduisant celui-ci (qui normalement est constitué par un croisement, à l'un de
ses formes, le « parallélisme concentrique » : cette figure de syle
fait l’objet des deux chapitres suivants (le premier étant théorique et de
caractère très technique ; le second étant un exemple d’application
pratique au chapitre 21 de l’évangile de Jean).
Un dernier chapitre de cette
section exégétique est consacré à « Marie dans le Nouveau
Testament ».
Les trois derniers chapitres du recueil ne concernent plus
directement l’Écriture : l’auteur a profité de ce livre pour y publier des
conférences qu’il a faites sur divers thèmes, et qui semblent avoir été
destinées à un public non orthodoxe. Deux d’entre elles portent sur le Christ
et le Saint-Esprit, une autre sur la christologie chalcédonienne, et la
dernière sur la prière du cœur.
Ce livre comme le précédent est important, car
il n’y a guère d’études en langue française sur la conception orthodoxe de
l’exégèse et de l'herméneutique bibliques, et l’on apprécie le sens de la
mesure de l’auteur et son effort pour rester fidèle à la tradition orthodoxe
dans un domaine où les approches catholiques et protestantes se sont fortement
sécularisées et ont fini par séparer la compréhension de l’Écriture Sainte tant
de la vie ecclésiale et liturgique que de la spiritualité.
On peut cependant
émettre quelques réserves sur l’importance excessive que l'auteur accorde au
chiasme (voir p. 157-158, où il le qualifie de « clé inestimable pour la
bonne compréhension de l’Écriture sainte"), et sur quelques incohérences
que comporte son attachement à cette figure de style : 1) l’exposé presque
mathématique que donne l’auteur de l’analyse des structures chiasmiques ne peut
que favoriser une approche intellectualiste de l’Écriture et nous éloigne
beaucoup de l’approche spirituelle qu’il défend par ailleurs ; 2) l’auteur
pense pouvoir utiliser cette analyse pour identifier le style d’un auteur et
établir l’unité d’attribution d’un texte, comme il le fait par exemple pour un
chapitre de saint Jean (p. 143, 160 sq.), tout en affirmant que cela correspond
à une structure mentale universelle (p. 146), ce qui implique qu'elle devrait
se retrouver dans le style de tous les auteurs et ne devrait pas permettre de
les différencier ; 3) ce type d’analyse est susceptible de donner lieu à des
analyses différentes et à des conclusions contradictoires comme le constate
l’auteur lui-même (p. 156).
Une autre réserve est appelée par
l’affirmation, répétée sous plusieurs formes, que le sens spirituel d’un
passage de l'Écriture découle du sens littéral et historique sur lequel il
s’appuie, et qu’il est donc indispensable de se pénétrer du sens originel,
littéral d’un passage avant de rechercher son sens spirituel (p. 114, 115, 142)
; or non seulement il y a de nombreux passages dans l’Ancien Testament qui sont
purement symboliques et dont le sens ne peut être que spirituel pour être
acceptable, mais beaucoup de Pères (saint Maxime le Confesseur en est un
exemple frappant) passent directement à l’exégèse symbolique et au(x) sens
spirituel(s) sans se soucier du sens littéral.
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