1. Aujourd'hui, mes frères, notre Seigneur Jésus-Christ a été
trahi : c'est, en effet, le soir de ce jour que les Juifs Le prirent et s'en
allèrent. Mais ne soyez pas abattus en apprenant que Jésus a été trahi ; ou
plutôt soyez abattus et pleurez amèrement, non pas pour Jésus qui a été trahi,
mais pour le traitre Judas. En effet, Celui qui a été trahi a sauvé le monde, tandis
que le traître a perdu son âme ; Celui qui a été trahi est assis à la droite du
Père dans les cieux, le traître est maintenant en enfer, attendant l’inexorable
châtiment. Oh ! C'est sur lui qu'il faut pleurer et soupirer, c'est sur lui
qu'il faut s’affliger, car c’est sur lui que notre Maître a versé des larmes.
Car à sa vue, est-il dit [dans
l’Écriture], « Il
fut troublé et Il dit : « L’un de vous me trahira ». (Jn, XIII, 21.)
Oh ! Qu'elle est grande la compassion du Maître ! Celui qui est livré s’afflige
pour le traître. À sa vue, est-il dit, « Il fut
troublé et Il dit : L’un de vous me trahira ». Pourquoi fut-Il attristé ?
C'était tout à la fois pour nous montrer Son amour et nous apprendre à pleurer
toujours, non sur celui qui subit le mal, mais sur celui qui le fait : car
c'est là ce qui est pire, ce n’est pas un mal que de souffrir le mal, mais c’est
plutôt de le faire. En effet, subir le mal procure le royaume des cieux, tandis
que faire le mal, cela nous expose à la géhenne et au châtiment, car il est
écrit : « Bienheureux ceux qui sont persécutés pour la justice, car le
royaume des cieux est à eux ». (Matth. V,10.)
Voyez-vous comment subir le mal a pour récompense et
rétribution le royaume des cieux ? Apprenez maintenant comment faire le mal apporte
le châtiment et le supplice. Après avoir dit des Juifs : « Ils ont tué le
Seigneur, ils ont persécuté ses prophètes » (I Thess. II, 15;), saint Paul
ajoute : « Leur fin sera selon leurs œuvres ». (Il Cor. XI, 15.) Voyez-vous
que les persécutés reçoivent le royaume des cieux, tandis que les persécuteurs héritent
la colère [divine] ? Et ce n'est pas sans motif que je le dis, car je
veux que nous ne nous emportions pas contre nos ennemis, qu'au contraire nous soyons
miséricordieux envers eux, pleurions sur eux et ayons de la compassion pour eux
; ce sont eux qui subissent le mal en nous haïssant. Si nous disposons ainsi nos
âmes, nous pourrons prier pour eux.
Voilà en effet le quatrième jour que je vous exhorte à prier
pour vos ennemis, afin que mes avis aussi fréquemment répétés s’enracinent en
vous. Si dans mes discours j'insiste autant, c'est pour détruire l'enflure de
la colère et en calmer l'ardeur, afin qu'en venant prier vous n'en conserviez
plus rien. Le Christ nous y a exhortés, non seulement en faveur de nos ennemis,
mais aussi pour nous-mêmes qui leur pardonnons leurs péchés, car celui qui
donne reçoit plus en cessant sa colère contre l’ennemi.
Et comment recevrai-je plus, direz-vous ? C'est qu'en
pardonnant à votre ennemi, vos péchés contre le Maître sont pardonnés. Ceux-ci
sont inguérissables et irrémissibles, tandis que ceux de votre ennemi sont
pardonnables et faciles à expier. Écoutez Héli disant à ses fils : « Si
un homme pèche contre un homme, on priera pour lui, mais s'il pèche contre
Dieu, qui priera pour lui ? » (I Rois, II, 15.) En sorte que cette
blessure ne saurait être facilement guérie par la prière : ce que la prière
seule ne pourrait faire, le pardon des fautes du prochain l'opère. C'est
pourquoi Notre-Seigneur a comparé les péchés contre le Maître à dix mille
talents, et à cent deniers seulement les fautes contre le prochain. (Matth.
XVIII, 23-25) Remettez donc cent deniers, afin qu'on vous remette à vous-même
dix mille talents.
2. En voilà bien assez sur la prière pour nos ennemis,
revenons, si vous le voulez bien, à la trahison et voyons comment le Maître a
été livré. « Alors l'un des douze, appelé Judas Iscariote, alla vers les
grands prêtres, et dit : Que voulez-vous me donner, et je vous Le livrerai ? »
(Matth. XXVI, 14, 15.) Il semble d'abord que ces paroles sont claires et
qu'elles ne renferment aucun sous-entendu. Mais si l'on examine attentivement
chacune d'elles, elles offrent un vaste sujet de réflexions et un sens profond.
Et d'abord, remarquons le temps. L'Évangéliste ne se contente pas de
l'indiquer simplement, car il ne dit pas seulement : Il s'en alla, mais il a
ajouté : alors il s'en alla. — Alors ? je vous le demande, quand ? Et pour
quelle raison mentionne-t-il le temps ? Que veut-il m'enseigner ? Ce n’est
pas sans but qu’il a dit cet « alors », car inspiré par
l'Esprit-Saint, il n'a parlé ni au hasard, ni en vain. Que signifie donc cet « alors »
? Avant ce temps, avant cette heure, une courtisane s'approcha portant un vase
de parfums qu'elle versa sur la tête du Seigneur. Elle montra un grand
empressement, une grande foi, une grande obéissance, une grande révérence ;
elle changea sa première vie, et devint meilleure et plus chaste. Et quand
cette femme se fût repentie, quand elle eut gagné la faveur du Seigneur, alors le
disciple livra le Maître. C’est pourquoi il est dit « alors », afin
que vous n'accusiez pas votre Maître de faiblesse en Le voyant livré par Son
disciple. Car telle était encore Sa puissance qu'il attirait à Lui les courtisanes,
pour s'en faire obéir.
Mais quoi, direz-vous, Celui qui attirait les courtisanes ne
put attirer Son disciple? — Il pouvait sans doute l’attirer, mais il ne voulut
pas le rendre bon par nécessité ni se l'attacher par la force. « Alors,
s'en allant... » Ce mot s'en allant, nous offre encore une
réflexion non sans importance. — En effet, [Judas] ne fut point appelé par les grands-prêtres,
il ne céda ni à la nécessité ni à la violence, mais ce fut de lui-même, de son
propre mouvement qu'il fit le mal et prit une détermination qui n'était
inspirée que par sa malice. Alors s'en allant, « l’un des douze... »
qu'est-ce que l’un des douze ?... C'est en effet une très grande accusation
pour lui d'être appelé l’un des douze. Il y avait soixante-dix autres disciples
de Jésus, mais ils n'avaient qu'un rang secondaire, ils ne jouissaient pas d'un
honneur aussi grand, ni d'une confiance aussi étendue, ils ne participaient pas
à des mystères ineffables comme les douze. Ceux-ci étaient éprouvés, ils
formaient le cortège royal, le cercle rapproché du Maître, c'est d'eux que se
sépara Judas.
Afin donc que nous sachions que ce ne fut pas seulement un
simple disciple qui Le trahit, mais l’un de la classe la plus éprouvée, on
l'appelle : l’un des douze. Et celui qui a écrit ces choses, saint Matthieu
n'en rougit pas. Pourquoi n'a-t-il pas honte ? — Pour que vous sachiez que les
apôtres disent toujours toute la vérité et qu'ils ne dissimulent pas même ce qui
semble ignominieux. Ce qui semble ignominieux en effet, montre la bonté du
Maître pour les hommes : Il a daigné combler de si grands biens et
supporter jusqu'à la dernière heure, le traître, le voleur et le larron. Il
l'avertissait, Il l'exhortait, Il le comblait d'égards. Si celui-ci fut
insensible à tout cela, la faute n'en est pas au Seigneur. En témoigne la femme
pécheresse qui rentra en elle-même et fut sauvée. Ne désespérez donc point, en
voyant cette femme, mais aussi, que l'exemple de Judas ne vous rende pas
confiants en vous-mêmes. La présomption et le désespoir sont également
funestes. La présomption renverse celui qui est debout, le désespoir ne laisse
pas se relever celui qui gît à terre. C'est pourquoi saint Paul exhortait ainsi
: « Que celui qui croit être debout prenne garde de tomber ! » (I
Cor. X, 12.) Vous avez les deux exemples pour vous apprendre comment le
disciple est tombé, alors qu'il paraissait se tenir debout, et comment la
pécheresse gisant à terre s’était relevée. Notre esprit est versatile, notre
volonté chancelante, c'est pourquoi nous avons besoin de nous garder et de nous
fortifier de toutes parts.
« Alors s'en allant, l’un des douze ; Judas Iscariote ».
Vous avez vu de quel chœur il est tombé, quelle doctrine il a méprisée, quels
maux sont la paresse et la négligence ? Judas, qui était appelé Iscariote.
Pourquoi me rappeler sa ville ? Plût à Dieu que je ne connusse pas même son nom
! « Judas, qui était appelé Iscariote ». Pourquoi nommer sa cité ? Il
y avait parmi les disciples un autre Judas, surnommé le zélé, et dans la
crainte que la similitude des noms ne fit prendre l'un pour l'autre, l'Évangéliste les a distingués en appelant l'un le zélé, à cause
de sa vertu ; mais il n’a pas appelé l’autre par sa nature mauvaise ; c'est
pourquoi il n'a pas dit : « Judas le traître ». Et cependant rien de
plus naturel qu'après avoir désigné l'un par sa vertu, on désignât l'autre par sa
nature mauvaise en disant : « Judas le traître ». Mais il fallait vous
apprendre à garder votre langue pure de l’accusation et c’est pourquoi le mot « traître »
a été épargné. S'en allant vers les grands prêtres, Judas Iscariote leur dit :
« Que voulez-vous me donner et je vous le livrerai ? » Ô parole répugnante
! Comment est-elle sortie de sa bouche ? Comment a-t-elle fait mouvoir sa
langue ? Comment le corps tout entier n’a-t-il pas été engourdi ? Comment l’esprit
ne s'est-il pas retiré ?
3. « Que voulez-vous me donner, et je vous le livrerai ?
» Sont-ce là, dis-moi, les enseignements du Christ ? Ne voulait-il pas par
avance retenir votre inclination à l’avarice quand Il disait : « Ne prenez
ni or, ni argent, ni monnaie, dans vos ceintures » (Matth. X, 9.) N'est-ce
pas là ce qu'Il répétait à chaque instant, disant encore après cela : « Si
quelqu'un vous frappe sur la joue droite, présentez-lui la gauche ».
(Matth. V, 39.) « Que voulez-vous me donner et je vous le livrerai ? »
Ô folie ! Quel motif, je te le demande, quelle accusation petite ou grande
as-tu à faire valoir pour livrer le Maître ? Est-ce parce qu'Il t'a donné
pouvoir contre les démons ? Est-ce parce qu'il t'a fait chasser les maladies ou
guérir la lèpre, ressusciter les morts, triompher de la tyrannie de la mort ? Est-ce
là ta reconnaissance pour tant de bienfaits ! « Que voulez-vous me donner
et je vous le livrerai ? » Ô folie ! encore une fois. Ou plutôt, ô avarice
!
Car c'est elle qui a enfanté
tous ces maux, qui t'a poussé à livrer ton maître. Telles sont en effet les racines
de ce mal funeste : pire que le démon, il rend insensées les âmes qu'il envahit,
il crée l’ignorance en elle ; on ne connaît plus rien, ni soi-même, ni le
prochain, ni les lois de la nature ; on est privé de la raison, on devient fou.
Voyez ce qu’elle a fait sortir de l’âme de Judas : la relation [avec Dieu], l'intimité, la compagnie de la Table, les miracles, la
science, les exhortations, les avertissements ; l'avarice lui a fait oublier
tout cela. Oh ! que saint Paul avait bien raison de s'écrier : « L'avarice
est la source de tous les maux ». (I Timoth. VI, 10.)
« Que voulez-vous me donner et je vous le livrerai ? »
Parole insensée ! Peux-tu livrer, je te le demande, Celui qui tient toutes
choses, qui commande aux démons et à la mer et qui est le maître de toute la
nature ? Aussi, pour mettre un frein à une pareille arrogance et montrer que
s'il ne l'eût pas voulu, jamais il n'aurait été livré, écoutez ce qu’Il fait ?
— À l'instant même où on le livrait, alors qu’on allait
au-devant de Lui avec des bâtons, des lanternes et des torches allumées, Il
leur dit : « Qui cherchez-vous ? » (Jean. XVIII, 4), et ils ne
connaissaient plus Celui qu’ils étaient venus prendre. Judas lui-même était si
peu capable de le livrer qu'il ne le reconnaissait pas même devant lui, malgré
l'éclat des torches et des flambeaux. C'est ce que veut nous faire comprendre
l'Évangéliste quand il dit : « Ils avaient des lanternes et
des flambeaux, et ils ne le voyaient pas ». Tous les jours, le Christ
l'avertissait, lui montrant tant par Ses œuvres, soit par Ses paroles, qu'il ne
pouvait lui cacher son dessein de le trahir. Il ne le reprenait pas
publiquement, en présence de tous, dans la crainte de le rendre plus impudent,
mais Il ne gardait pas un silence absolu de peur que la pensée de n'être pas
découvert ne lui fît entreprendre sa trahison sans crainte. Il disait donc
souvent: « L’un de vous me livrera », mais sans indiquer ouvertement
de qui il s'agissait. Il parlait souvent de la géhenne et du royaume et Il
manifestait ainsi Sa puissance par la manière dont les pécheurs étaient punis
et les justes récompensés.
Mais Judas fut sourd à ces avertissements et Dieu ne l'attira
point par force. Comme il nous a laissé le choix des bonnes et des mauvaises
actions, Il veut que nous soyons bons volontairement. Si nous nous y refusons, Il
ne nous force pas, Il ne nous fait pas violence, car être bon par nécessité, ce
n'est plus être bon. Judas était donc le maître de sa résolution et il était
aussi en son pouvoir de ne pas se soumettre et de pas se laisser entraîner par
l’avarice ; mais parce que son esprit était aveuglé, il a renoncé à son salut
et dit : « Que voulez-vous me donner et je vous le livrerai ».
Pour mieux nous convaincre de l'aveuglement d'esprit, de la
folie de Judas, l'Évangéliste nous le montre présent près
de ceux qui venaient saisir son Maître, lui qui avait dit : « Que
voulez-vous me donner et je vous le livrerai ? » Or, ce n’est pas seulement
en cela que l’on peut voir la puissance du Christ, mais aussi par le fait
qu’après qu’il eut prononcé une simple parole, tous les satellites reculèrent
et furent renversés à terre ; mais puisque même après cela ils ne se
départirent pas de leur impudence, Il se livra à eux, comme s'Il eût dit : J'ai
fait tout ce qui dépendait de moi, j'ai manifesté ma puissance, j'ai montré que
vous tentiez des choses impossibles. Je voulais réprimer votre malice, mais
puisque vous n'avez pas voulu m'entendre et que vous persévérez dans votre
folie, je me livre moi-même.
J’ai dit cela, afin que certains n'accusassent le Christ en
disant : pourquoi n’a-t-Il pas changé Judas ? Pourquoi ne l’a-t-Il
pas fait raisonnable et bon ? Comment pouvait-Il le faire bon ? Par
la contrainte ou volontairement ? Si c’était par contrainte, Il ne pouvait
le faire meilleur, car nul ne peut être bon par la contrainte. Si c’était
volontairement et par disposition d’esprit, Il [le
Christ] avait utilisé tout ce qui était possible pour redresser sa volonté et
ses dispositions. S’il n’a pas voulu accepter le remède, ce ne fut pas la faute du médecin,
mais de celui qui refusa sa guérison. Regardez ce qu’il a fait pour se le
concilier et le sauver. Par ses paroles et par ses œuvres, Il lui apprit toute science, Il lui donna le pouvoir
sur les démons et la faculté d'opérer de nombreux miracles; Il l'effraya par la
menace de la géhenne, l'exhorta par la promesse du ciel ; Il lui reprocha assidûment ses desseins
secrets, tout en évitant de les rendre publics : Il lui lava les pieds avec les
autres apôtres; Il l’a fait participant à Sa Table et Sa nourriture, Il ne
négligea aucune circonstance, petite ou grande, et malgré tout, il resta
incorrigible. Et afin que vous appreniez qu'il aurait encore pu changer, mais
qu'il ne le voulut pas et que tout se produisit à cause de sa négligence,
écoutez : « Après qu'il L'eût livré il jeta les trente pièces d'argent et
il dit : « J'ai péché en livrant le sang du Juste. (Matth. XXVIII, 4.) »
Qu'est-ce que cela signifie ? Lorsque tu Le voyais opérer des
miracles, tu ne disais pas : « J'ai péché en livrant le sang du Juste »,
mais : « Que voulez-vous me donner et je vous Le livrerai ? » Mais
quand le mal est arrivé à son comble, quand la trahison a été accomplie et que le
péché a été consommé, alors tu as reconnu ton péché. Quel enseignement
trouvons-nous là ? — Tant que nous restons dans la négligence, les exhortations
nous sont inutiles ; mais avec de l'application et des soins, nous pouvons nous
élever au-dessus de nous-mêmes. Voyez Judas : son Maître l'avertit, et il n’a
pas entendu ; lorsque personne ne l'exhorta, sa propre conscience s’est
réveillée ; et sans que personne l'instruise il se transforme, il condamne ce
qu’il avait osé faire, il jette les trente pièces d'argent.
« Que voulez-vous me donner et je vous le livrerai ? »
Et ils lui payèrent, est-il trente pièces d'argent. Ils fixèrent le prix d'un
sang qui n'a pas de prix. Pourquoi reçois-tu trente pièces d'argent, ô Judas ? Le
Christ est venu répandre gratuitement Son sang pour le monde et tu fais de ce
sang l'objet d'une convention et d'un pacte infâme ! Quoi de plus indigne qu'un
tel marché !
4. Alors s'approchèrent les disciples. — « Alors »,
quand ? Tandis que ces choses se préparaient, que la trahison avançait, que
Judas se perdait, les disciples s'approchèrent de Lui en disant : « Où
veux-tu que nous préparions ce qu'il faut pour manger la Pâque ? (Matth.
XXVI,17 et 14.) Avez-vous vu le disciple ? Avez-vous vu les [autres] disciples ? Celui-là livre le Maître,
ceux-ci s'occupent de la Pâque. Le premier conclut les conditions, les autres
se disposent à servir. Tous avaient vu briller les mêmes miracles, reçu le même
enseignement et la même puissance. D'où vient un tel changement ? — De la
volonté. Telle est partout la cause de tout bien et de tout mal. « Où veux-Tu
que nous préparions ce qu'il faut pour manger la Pâque ? » C'était le soir,
et parce que le Maître n'avait pas de maison, ils Lui disent : « Où veux-Tu
que nous préparions ce qu'il faut pour manger la Pâque ? »
Nous n'avons rien de fixe, ni hôtellerie, ni habitation, ni
maison. Quelle leçon pour ceux qui habitent des maisons splendides, de vastes
portiques, de larges espaces ! Le Christ n'eut pas où reposer sa tête (Matth.
VIII, 20). C'est pourquoi Ses disciples Lui demandent : « Où veux-Tu que
nous préparions ce qu'il faut pour manger la Pâque ? » Quelle Pâque ? Ce
n'était point encore la nôtre, mais celle des Juifs qui ne devait durer qu'un
temps. Celle-ci fut préparée par les disciples, mais Lui-même fit les
préparatifs de la nôtre. Il ne se contenta pas de la préparer, Il fut lui-même
notre Pâque.
« Où veux-Tu que nous préparions ce qu'il faut pour
manger la Pâque ? » C'était la Pâque des Juifs, cette Pâque qui avait été
instituée en Égypte. — Pourquoi le Christ la mangea-t-Il ? Parce qu'Il
accomplit toutes les prescriptions de la loi. C'est ainsi que lorsqu’Il fut
baptisé, il a dit : « Il convient que nous accomplissions ainsi toute
justice » (Matth. III, 15). Je suis venu racheter l'homme de la
malédiction de la loi, car Dieu a « envoyé Son Fils, né d'une femme, né
sous la loi, afin qu'Il rachetât ceux qui étaient sous la loi » et faire
cesser la loi. (Gal. IV, 4, 5) Afin donc que l’on de dise pas qu’Il abolit la
loi, faute de pouvoir l'accomplir parce qu'elle était pesante, difficile à accomplir,
Il commença par l’observer dans son intégralité, puis Il l’abrogea. C’est
pourquoi Il fit la Pâque, parce que la Pâque était une prescription de la loi. Et
pourquoi la loi ordonnait-elle de manger la Pâque ?
Les Juifs étaient ingrats envers le Bienfaiteur et aussitôt
qu'ils avaient été comblés de bienfaits, ils oubliaient la loi divine. Ainsi, alors
qu’ils sortaient d'Égypte, voyant la mer se séparer
devant eux et se réunir ensuite, sans compter une foule d'autres miracles, ils
dirent : Faisons « des dieux qui marchent devant nous » (Exod. XXXII, 1.) Que
dites-vous ? Les miracles sont encore dans vos mains et voilà que vous oubliez le
Bienfaiteur ? Parce qu'ils étaient insensibles et ingrats à ce point, Dieu
établit les fêtes, comme des monuments destinés à rappeler Ses dons et alors Il
ordonna d'immoler la Pâque, afin, dit-Il aux Juifs, que « si vos fils vous
demandent ce que signifie cette Pâque, vous leur disiez : parce qu’autrefois
nos pères en Égypte ont marqué leurs portes du sang d'un agneau, afin qu'en
le voyant l'ange exterminateur passât sans oser les frapper, ni leur infliger
de plaie » (Exod. XII, 27) Et, dès lors cette fête fut un témoignage
perpétuel de leur salut.
Plutôt, elle n'avait pas seulement l'avantage de rappeler le
souvenir des bienfaits passés, elle en offrait un autre bien plus grand qui
était de figurer l'avenir. Cet agneau en effet était la figure d'un autre Agneau
- spirituel qu'il montrait d'avance. L’un était l'ombre, l’autre, la vérité.
Mais quand le Soleil de justice eût apparu, l'ombre disparut, comme le soleil à
son aurore chasse l’ombre. C'est pourquoi sur la même Table sont célébrées les
deux Pâques, celle de la figure et la véritable. Les peintres qui, sur leur tableau,
tracent les lignes du projet, ajoutent les ombres et complètent par les
couleurs réelles. À la même Table, Il esquissa la Pâque qui était la figure et
ajouta la Pâque véritable. « Où voulez-vous que nous préparions ce qu'il
faut pour manger la pâque ? » Jusque-là c'était la Pâque des Juifs,
mais voici qu’est venu le Soleil, que la lampe s'éteigne ! Voici que la vérité
est venue, que les ombres disparaissent !
5. Je dis cela aux Juifs qui prétendent célébrer la Pâque, avec
des cœurs incirconcis et dans un dessein pervers, et qui nous
objectent les pains azymes. Comment, je vous le demande, célébrez-vous la Pâque,
ô Juifs ? Le temple a été renversé, votre autel détruit, le Saint des saints a
été foulé aux pieds, toute espèce de Sacrifice aboli, et vous osez commettre de
pareilles iniquités ?
Vous avez été autrefois à Babylone, et ceux qui vous avaient
emmenés en captivité vous disaient : « Chantez-nous des cantiques de Sion »
(Ps. 136, V, 3), et vous refusiez. C'est David qui nous l'apprend en ces termes
: « Nous nous sommes assis sur les bords des fleuves de Babylone et nous
avons pleuré. Aux saules qui sont au milieu de cette contrée nous avons
suspendu nos instruments de musique » (Ps.136, V, 1, 2), c'est-à-dire
notre harpe, notre cithare, notre lyre et le reste : car on se servait
autrefois de ces instruments pour accompagner le chant des psaumes. Emmenés en
captivité, ils les avaient portés avec eux, en souvenir de la vie dans leur
patrie, mais non dans l'intention de les utiliser. Alors, dit le psalmiste,
ceux qui nous avaient emmenés captifs nous demandaient de chanter des
cantiques, — et nous avons répondu : Comment chanterions-nous un cantique du
Seigneur sur une terre étrangère ? Que dites-vous ? Vous ne chantez pas les cantiques
du Seigneur sur une terre étrangère et vous célébrez la Pâque du Seigneur sur
une terre étrangère ? Quelle ingratitude ! quelle iniquité !
Alors que leurs ennemis voulaient les forcer, ils n'osaient
pas même chanter un psaume sur une terre étrangère, et maintenant qu'ils sont
libres, sans que personne les contraigne ou leur fasse violence, ils se
tournent contre Dieu. Comprenez-vous combien sont impurs les azymes ? combien
illégitime cette fête? Comment enfin il n'y a réellement plus de Pâque judaïque
? Autrefois, il y eut la Pâque judaïque, mais elle est maintenant abolie, et
remplacée par la Pâque spirituelle que notre Seigneur a transmise.
Car, pendant qu'ils mangeaient et buvaient, est-il dit, Jésus
prit le pain, le rompit et dit : « Ceci est mon corps qui est rompu pour
vous, pour la rémission des péchés » (Matth. XXVI, 26, 27, 28). Ceux qui
sont initiés savent ce que ces paroles signifient. — Et prenant ensuite le
calice, Il dit : « Ceci est mon sang qui est répandu pour plusieurs pour
la rémission des péchés » (id.). Judas était présent quand Jésus disait
cela. C'est ce même corps que tu as vendu, ô Judas, pour trente pièces d'argent
; c'est ce sang au sujet duquel tu viens de faire un marché infâme avec les
pharisiens ingrats. Ô amour du Christ pour les hommes ! Ô démence, ô folie de
Judas ! Tu as vendu ton Maître pour trente deniers, et Lui, après cela, n’a pas
refusé de donner ce sang, qui avait été vendu, pour la rémission des péchés de
celui qui l’avait vendu, si seulement il l’avait voulu. Judas était présent, il
participa à la Table sacrée, afin qu'il n'eût aucun motif d'excuse, s'il
persévérait dans sa malice. Le Seigneur avait produit et employé tous les
moyens en Son pouvoir ; malgré tout Judas fut inébranlable dans son dessein
pervers.
6. Mais il est temps enfin de s'approcher de cette Table redoutable.
Le Christ est présent : c'est Lui qui a préparé cette Table, c'est Lui qu'on y
reçoit. Ce n'est pas un homme qui fait que ce qui nous est offert soit véritablement
le corps et le sang de Jésus-Christ, mais c'est le Christ même crucifié pour
nous. Le prêtre, à l'autel, lorsqu'il prononce les paroles est la figure de
Jésus-Christ ; la puissance et la grâce viennent de Dieu. « Ceci est mon
corps », dit-il. Ces mots transforment ce qui est offert. Et, de même que
cette parole : « Croissez et multipliez-vous et remplissez la terre »
(Gen.I, 28), quoique n'ayant été prononcée qu'une fois, donne à jamais à notre
nature la force de se reproduire, ainsi cette autre parole dite une seule fois
opère le Sacrifice parfait à chaque autel et dans toutes les églises du monde,
depuis la première Pâque jusqu'à ce jour, et opérera jusqu'au dernier
avènement.
Arrière donc les apparences trompeuses, arrière ceux qui sont
pleins de malice, que personne n’ait l’esprit empoisonné, car leur communion
serait une condamnation. Alors Judas fut indignement participant à la Cène
mystique, et lorsqu’il sortit, il trahit le Seigneur. [Cela s’est produit] afin que vous sachiez que ceux qui
participent indignement aux Mystères, sont continuellement assaillis et envahis
par le diable, comme il arriva à Judas. C'est que les honneurs profitent à ceux
qui en sont dignes, tandis qu'ils tournent au grand châtiment de ceux qui en
jouissent indignement. En vous parlant ainsi, je ne veux point vous effrayer,
mais seulement vous rendre plus vigilants.
Approchons-nous donc tous avec une conscience pure. Qu’il n’y
ait pas ici de Judas, qui aient une attitude perverse envers leur prochain, qu’aucun
des impies [ne s’approche] ayant en son cœur un poison
dissimulé. Le Sacrifice est une nourriture spirituelle, et de même que la
nourriture corporelle reçue dans un estomac rempli d'humeurs malsaines augmente
la maladie, non de par sa propre nature, mais à cause de la mauvaise
disposition de l'estomac ; ainsi en est-il pour les mystères spirituels : reçus
par une âme pleine de malice, ils la corrompent et l'affaiblissent davantage,
non par leur nature, mais par l'effet de la maladie de l'âme.
Que personne n’ait donc en lui de pensées impures, mais
purifions notre esprit. Nous nous approchons du Sacrifice sans tache, rendons
notre âme sainte ; nous pouvons y parvenir, même dans un seul jour. Comment ? Par
quel moyen ? — Si vous avez quelque chose contre votre ennemi, chassez la
colère, guérissez cette plaie, faites cesser toute inimitié, afin de recevoir
la guérison à la Table sainte, en participant au Sacrifice redoutable et saint.
Respectez Celui qui est offert : c'est le Christ immolé qui est présent.
Mais à cause de qui et pourquoi a-t-Il été immolé ? C'était
pour réconcilier ce qui est au ciel et ce qui est sur terre, pour nous rendre
les amis des anges, pour nous réconcilier avec le Maître de toutes les
créatures ; c'était pour nous rendre Ses amis, nous, Ses adversaires et Ses
ennemis. Il a donné Sa vie pour ceux qui Le haïssaient et vous conserveriez de
l'inimitié contre votre frère ! Et comment pourriez-vous ensuite vous approcher
de la Table de la paix ? Votre Maître n'a pas reculé devant la mort à cause de
vous, et vous refusez de déposer pour Lui la colère que vous avez contre votre
semblable ? Pourquoi, dites-moi ? L’amour est la racine, la source et la
mère de tous biens. Il m’a fortement, dis-tu, offensé, il m’a causé trop de mal,
c’est tout juste s’il ne m’a pas exposé à un danger de mort. Mais quoi
donc ? Il ne t’a pas encore crucifié sur la croix, comme les Juifs ont
crucifié le Seigneur. Si tu ne remets pas à ton prochain les offenses, ton Père
céleste ne te remettra pas tes péchés. Et avec quelle conscience diras-tu
« Notre Père, qui est aux cieux, que Ton nom soit sanctifié » et les
paroles suivantes (Matth. VI, 9). De la même façon, le sang qu’ont versé les Juifs, a
été donné par le Christ pour le salut de ceux qui l’avaient versé. Que peux-tu
faire de semblable ? Si tu ne pardonnes pas à ton ennemi, tu ne le blesses
pas lui, mais toi-même. Tu lui as souvent nui au cours de la vie présente, mais
tu t’es préparé un châtiment éternel au futur jour [du jugement],
Car
Dieu ne hait rien tant que l'homme qui conserve du ressentiment, que le cœur coléreux
ou l'âme enflammée [de haine]. Écoute ce que dit le Seigneur : « Si donc tu présentes ton offrande à l'autel,
et que là tu te souviennes que ton frère a quelque chose contre toi, laisse là
ton offrande devant l'autel, et va d'abord te réconcilier avec ton frère ; puis,
viens présenter ton offrande » (Matth. V, 23-24). Que dis-tu ? Je
laisse là le don, c’est-à-dire le Sacrifice ? Oui, dit-Il, parce c’est en
raison de la paix avec ton frère qu’a été établi le Sacrifice. Ainsi, si le Sacrifice
[est offert] pour la paix avec le prochain, et que tu n’observes pas la paix,
alors bien que tu participes au Sacrifice, il t’est inutile d’y participer sans
le désir de garder la paix.
Aussi,
fais dès le début [i.e. préoccupe-toi de la paix] ce pour quoi le Sacrifice est
offert, et tu en
recueilleras abondamment les fruits
C’est pourquoi le Fils de Dieu est venu dans le monde, afin de réconcilier
notre nature avec le Père, comme le dit l’apôtre Paul : « Il vous a
maintenant réconciliés, avec Dieu par la croix, en détruisant par elle
l'inimitié » (Col. I,22 ; Eph. II, 16). Aussi, Il est venu non seulement pour créer la
paix, mais Il nous béatifie si nous faisons la même chose et nous rend
participants à Son nom [en disant] : « Bienheureux les pacificateurs,
car ils seront appelés fils de Dieu » (Matth. V,9).
Ce qu'a fait le Fils unique de Dieu, faites-le selon votre
pouvoir humain, afin de vous procurer la paix à vous-mêmes et aux autres. C'est
pour cela que vous êtes appelés pacificateurs, enfants de Dieu, c'est pour cela
qu'au temps du Sacrifice, Il n’a rappelé aucun autre précepte que celui de la
réconciliation avec votre frère, pour vous faire comprendre que c'est le plus
grand de tous. Je désirerais m'étendre davantage, mais en voilà bien assez pour
ceux qui sont attentifs, s'ils veulent s'en souvenir.
C'est pourquoi, mes bien-aimés, rappelons-nous toujours ces
paroles, et ces saints baisers de paix et cette redoutable salutation des uns
envers les autres. Cela enlace nos âmes et fait de nous tous un seul corps, car
nous sommes participants d’un seul corps. Confondons-nous donc tous en un seul
et même corps, non dans une union charnelle, mais par le lien mutuel de l’amour
qui réunira nos âmes. Ainsi, nous serons en mesure de jouir avec confiance de
la Table qui nous est présentée et de devenir, enfin, les réceptacles de la
paix qui nous a été accordée par le Christ. Quand même nous aurions pratiqué à
l'infini des œuvres de perfection, si nous conservons le souvenir des
injures, tout ce que nous ferons sera vain et ne nous servira à rien ; nous
n'en pourrons retirer aucun profit pour le salut.
Sachant tout cela, laissons toute colère, et la conscience
purifiée, approchons-nous avec toute la douceur et l’humilité de la Table du
Christ, à qui soient gloire, honneur, adoration, avec le Père et le
Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Amen !
Traduction sous la direction de M. Jeannin, 1864,
revue,
complétée et corrigée
par Bernard Le Caro
que nous remercions
Tropaire de S. Jean Chrysostome
Tel un flambeau, la grâce a jailli de tes lèvres, illuminant
l’univers ; elle a découvert au monde la richesse du désintéressement,
elle nous a montré la grandeur de l’humilité. Toi dont la parole nous instruit,
ô Jean Chrysostome, notre père, intercède auprès du Verbe, le Christ Dieu, pour
qu’Il sauve nos âmes.
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