"Dans la confusion de notre époque quand une centaine de voix contradictoires prétend parler au nom de l'Orthodoxie, il est essentiel de savoir à qui l'on peut faire confiance. Il ne suffit pas de prétendre parler au nom de l'Orthodoxie patristique, il faut être dans la pure tradition des saints Pères ... "
Père Seraphim (Rose) de bienheureuse mémoire

vendredi 22 mars 2019

Alexandre Chtchipkov: Le "grécoprotestantisme" contre l'Eglise



La menace d'une réforme laïque plane sur l'Orthodoxie. Nous avons écrit à ce sujet plus d'une fois, mais il y a quelques années à peine, nous n'aurions pu imaginer que, grâce aux efforts du patriarcat de Constantinople, cette menace prendrait une toute nouvelle forme, celle du gréco-protestantisme [1], dont nous parlerons plus particulièrement ci-dessous.

L'Église orthodoxe russe n'est actuellement pas accusée de servilité et de phylétisme [2], car, dans le contexte de l'ingérence du gouvernement ukrainien dans la vie de l'Église, ces accusations sont tout simplement ridicules. Néanmoins, les traits généraux de nombreuses déclarations qui émanent aujourd'hui d'idéologues de la réforme religieuse sont les mêmes que les propositions antérieures, à savoir la réorganisation de l'ensemble de la structure de l'Église. De plus, les nombreux siècles d'expérience conciliaire de l'Église et la règle de droit canonique sont en train d'être supprimés, sans même que l'on y fasse référence.

Il est tout à fait compréhensible que la réaction à ces nouveaux défis ne soit pas seulement la sobriété et la concentration de la majorité saine dans l'Église, mais aussi une vigoureuse réanimation parmi la sous-culture orthodoxe libérale, qui est toujours en corrélation précise avec les événements politiques extérieurs. Les initiatives des libéraux de l'Eglise sont soumises à un seul objectif : le soutien direct ou indirect du patriarcat de Constantinople dans ses efforts pour transformer l'Orthodoxie en une sorte d'idéologie postmoderne.

C'est aujourd'hui l'une des questions les plus intéressantes : Dans le contexte des événements décisifs d'un nouveau schisme, comment la pensée libérale-orthodoxe se développe-t-elle en Russie ? En ce sens, on peut lire l'article de Leonid Sevastianov, "Orthodox Blockchain" (publié à l'automne 2018), dans lequel l'auteur résume les idées de la société orthodoxe libérale qui apparaissent le plus souvent.

Si nous devions définir la thèse du contenu de l'article, elle serait la suivante : L'Orthodoxie doit être construite selon un principe général qui est entravé par l'"autorité verticale" ecclésiastique. Sevastianov utilise le terme "blockchain" [3], par lequel il essaie de décrire un "modèle d'auto-organisation de la société, qui n'est pas dirigé d'en haut, mais qui répartit la responsabilité et la prise de décision entre ses membres". Pour ceux qui ne connaissent pas le terme, la "blockchain" [chaîne de blocage] est, à l'origine, ce qu'ils appellent une base de données publique contenant des informations sur le transfert d'argent d'un destinataire à un autre. Chaque communauté ecclésiale qui appartient à la chaîne dite orthodoxe est, dans l'esprit de l'auteur, une Église indépendante, et tous ensemble ils forment une église, dont le centre se déplace continuellement le long d'une chaîne d'un bloc à l'autre. Sevastianov déclare avec plaisir que ce modèle proposé garantit que les schismes seraient impossibles. Et c'est vrai, parce que ce modèle qu'ils proposent est un schisme permanent. En fait, c'est ce que nous avons vu au cours des quatre cents dernières années dans le protestantisme, où le schisme est une norme d'existence.

L'auteur propose en outre d'introduire dès que possible un épiscopat électif et de reformater l'Église en une "confédération de communautés libres" (ce terme a été inventé par Stanislav Belkovsky il y a dix ans), dans la mesure où "le centre de la vie spirituelle n'est pas l'évêque, qui est le même membre de la société que tout laïque, mais les paroisses, les monastères, les groupes évangéliques".

Sevastianov ne mentionne même pas l'institution du patriarcat comme un phénomène historique, car pour lui, il n'a manifestement pas sa place dans ce modèle. La figure du patriarche est effacée de l'image imaginaire du monde ecclésiastique de Sevastianov. C'est logique, car dans la pensée protestante, l'institution du patriarcat n'existe pas.

Les épithètes séduisantes, la "confédération", les "centres spirituels autosuffisants" et la "chaîne de blocage" ne changent rien à l'essence de ce phénomène. Si l'on regarde l'exemple des protestants modernes, il est très clair de voir comment un mouvement dans cette direction va se terminer. Le nombre d'"églises" se multipliera, chacune avec ses propres règles et isolée des autres. La liberté des paroissiens au sein d'une telle communauté est souvent très limitée. Entre-temps, nous assistons à des réformes illimitées et arbitraires du dogme chrétien. Certains mouvements protestants exigent même que l'on supprime le "concept totalitaire du péché" ou le "culte de la personnalité" du Christ.

Pour l'espace ecclésiastique orthodoxe, le schisme est une maladie que nous ne pouvons tout simplement pas prononcer comme la norme. Dans l'Orthodoxie moderne, le schisme prend souvent la forme d'une quasi-église, une imitation structurelle de l'ecclésialité selon le modèle d'une "église" dans l'Église. Un tel schisme est souvent initié de l'extérieur, comme dans le cas de la fausse "légitimation" des structures schismatiques du "patriarcat de l'église orthodoxe ukrainienne de Kiev" et de l'"église autocéphale ukrainienne". Les principaux initiateurs et profiteurs de ces processus sont toujours des centres de pouvoir séculiers. Si nous liquidions la hiérarchie de l'Église, ce que Sevastianov et d'autres représentants de l'establishment libéral orthodoxe proposent fondamentalement, sa place serait immédiatement occupée par un certain "pouvoir vertical" politique qui profiterait de la situation pour défendre ses propres intérêts, ce que nous voyons aujourd'hui en Ukraine.

La vie d'église idéale pour les orthodoxes libéraux est un état de schisme et de chaos à combustion lente. Car l'état de chaos qui règne dans l'espace orthodoxe facilite le changement forcé d'identité religieuse.

Les libéraux orthodoxes sont en eux-mêmes une forme particulière de schisme intérieur. S'étant déjà séparés de l'Église, ils ne sont pas pressés de la quitter. Leur but principal n'est pas de créer leur propre espace ou leur propre communauté, mais de corrompre un autre espace, une autre communauté ; de priver de cet espace les autres qui pensent différemment d'eux. En d'autres termes, nettoyer le territoire orthodoxe et le protestantiser, en préservant la forme rituelle extérieure du christianisme oriental. C'est-à-dire, créer un nouveau type d'"union spirituelle" avec le protestantisme, le gréco-protestantisme. Et en tant que bélier pour abattre la structure, ils utilisent un homme infirme et de faible volonté, le patriarche Bartholomée (Archondinis).

Le schisme en Ukraine accélérera inévitablement la formation de l'idéologie gréco-protestante, puis il y aura une poussée pour la création d'une structure analogue en Russie. Cela fait partie d'un processus global.

Par conséquent, aujourd'hui, les théoriciens de l'orthodoxie libérale n'élaborent pas seulement le concept de la libéralisation (en d'autres termes, le protestantisme) de l'Orthodoxie, mais ils réfléchissent déjà à qui va la réaliser, et sur quelles couches sociales ils vont compter. Nous pouvons considérer l'institution des "paroissiens actifs" (dérivée de l'idée de "citoyens actifs" de l'époque de la révolution de Moscou de 2012) comme une plate-forme pour la phase finale de la déchristianisation et de la protestantisation de l'Eglise.

Dans les années à venir, la doctrine gréco-protestante sera étudiée et décrite en détail par des théologiens et des philosophes. Nous sommes au tout début de ce chemin, mais en tant qu'auteur de ce terme, je me permets d'ores et déjà d'en distinguer les quatre grandes parties.

° Rejet de la succession apostolique. Le patriarche Bartholomée l'a clairement démontré en accueillant dans la communion de l'Église des hommes sans ordination canonique. La succession apostolique devient une question d'indifférence pour les adeptes du gréco-protestantisme, tout comme elle est devenue une question indifférente pour le moine catholique Martin Luther en son temps.

° La structure en "blockchain" de l'église, organisée, comme l'affirment les adeptes du gréco-protestantisme, selon le principe d'une "confédération d'associations communautaires libres". L'Église sera forcée d'élire des évêques, puis du clergé, qui en feront un milieu friable et amorphe sans aucune unité spirituelle, composé d'une multitude de "dénominations", "ailes", "mouvements", etc.

° Le renoncement au patriarcat pour les Églises locales avec la préservation temporaire du patriarcat à Constantinople même, qui servira de "moteur" pour ces transformations - jusqu'au moment venu.

° L'ethnophylétisme. C'est-à-dire, structurer les Églises orthodoxes selon un principe national et transférer leur allégeance à leurs ethnocrates. Il y a une idée qui se propage que chaque pays devrait avoir sa propre Église orthodoxe nationale.

La formation du gréco-protestantisme et la transformation de l'espace religieux se heurteront à la résistance de la majorité de l'Église - les partisans de l'Orthodoxie traditionnelle fondée sur le respect des canons et des principes de la succession apostolique, et sur la préservation de la hiérarchie ecclésiale. La hiérarchie du clergé est à la fois une tradition et un symbole, et en même temps la condition pour préserver l'Église.

L'Église est une image du Ciel sur la terre. Cela signifie que la hiérarchie de l'Église reflète la hiérarchie céleste, et la conciliarité de l'Église ("communalité ") a son prototype dans l'indivisibilité et la liberté des personnes de la Sainte Trinité. 

L'Église se compose de nombreuses communautés et forme l'unique Corps du Christ, et la liberté au sein de l'Église ne peut exister sans la hiérarchie du clergé. La liberté et la communauté ne sont pas niées par la hiérarchie, mais au contraire renforcées par elle. En partie, la hiérarchie défend l'espace ecclésial contre l'engloutissement par les puissances politiques extérieures, la "verticale séculière" et les "Léviathans laïcs".

Actuellement, nous pouvons observer comment ces centres du pouvoir appliquent des mesures répressives contre l'Église apostolique en Ukraine. Pour lutter contre des répressions similaires, l'Église a besoin d'une hiérarchie. Symbolisme et tradition vont ici de pair avec pragmatisme historique.

C'est sur ce chemin même que l'Église échappera à l'apostasie liée à la maladie du Greco-Protestantisme, et conservera et multipliera son influence spirituelle.

Version française Claude Lopez-Ginisty
d'après

NOTES:

Alexandre Chtchipkov est philosophe politique et premier vice-président du département synodal de l'Église orthodoxe russe pour les relations de l'Église avec la société et les médias.
***
[1] Ce terme de grécoprotestantisme est basé sur le terme de gréco-catholique souvent utilisé pour désigner les uniates.

[2] ...du moins en Russie!

[1] La blockchain est une technologie de stockage et de transmission d’informations, transparente, sécurisée, et fonctionnant sans organe central de contrôle (définition de Blockchain France).

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