Évagre le Pontique, Chapitres sur la prière. Édition du texte grec, introduction, traduction, notes et index par Paul Géhin. « Sources chrétiennes » n° 589, Éditions du Cerf, Paris, 2017, 470 p.
Les Chapitres sur la prière d’Évagre le Pontique (345-399) est avec le Traité pratique son œuvre spirituelle majeure. Après la condamnation de l’origénisme où il était impliqué du fait surtout de ses Chapitres gnostiques, ses œuvres furent officiellement détruites. Mais la plupart d’entre elles étaient insoupçonnables, leur qualité spirituelle était évidente, et elles avaient joué un rôle majeur dans la structuration de la spiritualité orientale. Elles furent donc officieusement préservées sous un autre nom, celui de saint Nil d’Ancyre (encore appelé l’Ascète), et ce n’est qu’en 1934 qu’elles ont pu être restituées à leur véritable auteur.
Les Chapitres sur la prière ont marqué de grands auteurs comme saint Jean Cassien, saint Maxime le Confesseur, saint Jean Climaque ou saint Grégoire Palamas. À partir du XVIIIe sicèle, ils ont connu une large diffusion en Orient du fait de leur intégration à la Philocalie des Pères neptiques, florilège des textes majeurs de la spiritualité orthodoxe réalisé au XVIIIe siècle par saint Nicodème l’Hagiorite et saint Macaire de Corinthe, et devenu un grand classique, popularisé notamment par les célèbres Récits d’un pèlerin russe.
Cette œuvre d’Évagre, en raison de son importance a déjà fait l’objet de plusieurs traductions françaises: par J. Touraille dans la Philocalie (tome 8, Abbaye de Bellefontaine, 1987 et ses diverses rééditions), par M.-O. Goudet dans Évagre. De la prière à la perfection (collection « Les Pères dans la foi », Migne,1992), et surtout, avant cela, par le père Irénée Hausherr, dans son livre Les leçons d’un contemplatif. Le Traité de l’Oraison d’Évagre le Pontique (Beauchesne, 1960), où l’œuvre est présentée avec un excellent commentaire.
La présente traduction est due à Paul Géhin, Directeur de recherche émérite au CNRS, qui, pour publier les œuvres d’Évagre dans la collection « Sources chrétiennes » a pris le relais du regretté Antoine Guillaumont, le meilleur spécialiste mondial du Pontique (auteur d’une remarquable présentation de sa spiritualité dans sa vaste introduction au Traité pratique, « Sources chrétiennes » n° 170, et d’une non moins remarquable synthèse dans Un philosophe au désert. Évagre le Pontique, Vrin, 2004).
Cette traduction a l’avantage de se fonder sur l’édition critique établie avec soin par P. G., sur la base d’une tradition manuscrite abondante qu’il expose en une centaine de pages. Dans le premier chapitre de son introduction, P. G. analyse le contenu de l’œuvre, dont le destinataire reste inconnu, mais à qui sont exposés les formes, la nature et les conditions de la prière véritable, qui doit devenir un état permanent. La prière attentive, continue et pure exige un long exercice et un rude combat contre les passions et les démons qui cherchent à la troubler, à la ralentir ou à l’éteindre par différentes stratégies qu’Évagre expose avec finesse. Ces obstacles se manifestant ordinairement à l’âme par des pensées (au sens large – pensées, proprement dites, imaginations, désirs…) qu’il s’agit d’écarter systématiquement, même quand elles ne sont pas mauvaises. Les démons peuvent aussi agir sur le corps selon des formes qu’il faut également connaître et qu’Évagre précise aussi. Devenue permanente et pure, la prière amène l’intellect à la connaissance/vision de Dieu dans la Lumière (un thème que saint Syméon le Nouveau Théologie illustrera, et que saint Grégoire Palamas développera).
Le texte et la traduction sont abondamment annotés par l’éditeur/traducteur, mais les notes ont pour la plupart un caractère philologique. Pour un commentaire de fond, on pourra se reporter à l’édition Hausherr précédemment citée, ou encore à l’ouvrage récent du père Gabriel Bunge, En esprit et vérité: Études sur le traité « Sur la prière » d’Évagre le Pontique, Bellefontaine, 2016. Des explications sont en effet souvent nécessaires, car les 153 chapitres de l’œuvre ont pour la plupart une forme elliptique et supposent souvent quelques prérequis pour être bien compris. Le chapitre 37 en est un bon exemple : « Si tu désires prier, renonce à tout afin d’hériter le tout ». La conception d’Évagre a souvent une apparence intellectualiste que saint Maxime le Confesseur avait jugé bon de rectifier, et qu’il faut tout au moins expliquer (ce que par exemple s’est attaché à faire de manière positive le père Gabriel Bunge dans ses travaux sur Évagre, en particulier Paternité spirituelle: la gnose chrétienne chez Evagre le Pontique, Bellefontaine, 1994). Ainsi l’affirmation: « La prière sans distraction est la plus haute intellection de l’intellect » (ch. 35), exige une compréhension correcte de la notion d’intellect et de la notion d’intellection pour pouvoir être reçue. Beaucoup de chapitres sont plus abordables. Citons-en quelques-uns:
— Ne doute pas si tu n’obtiens pas immédiatement de Dieu ce que tu demandes, car il veut te faire plus de bien si tu persévères auprès de lui dans la prière. Qu’y a-t-il en effet de plus haut que de s’entretenir avec Dieu et d’être attiré dans ne relation intime avec lui ? (ch. 34)
— Que tu pries avec des frères ou en privé, efforce-toi de prier non par habitude, mais avec sentiment. (ch. 42)
— Celui qui aime Dieu s’entretient toujours avec lui comme avec un père, en se détournant de toute représentation passionnée. (ch. 55)
— Si tu es théologien, tu prieras vraiment, et si tu pries vraiment, tu seras théologien. (ch. 61)
— Ne te figure pas la divinité en toi quand tu pries et ne laisse pas ton intellect être impressionné par quelque forme, mais va immatériel à l’immatériel, et ut comprendras (ch. 67)
— Tu ne pourras prier avec pureté si tu es embarrassé de choses matérielles et agité de soucis continuels, car la prière est rejet des représentations (ch. 71)
— La prière est l’activité qui convient à la dignité de l’intellect, c’est-à-dire son activité et utilisation la meilleure et la plus pure (ch. 84)
— Si tu n’as pas encore reçu la grâce de la prière et de la psalmodie, insiste, et tu recevras (ch. 87)
— De même que le pain est une nourriture pour le corps et la vertu pour l’âme, de même la prières spirituelle constitue la nourriture de l’intellect (ch. 101)
— Bienheureux le moine qui considère tous les hommes comme dieu après Dieu (ch. 122)
— Le moine est celui qui est séparé de tous et en accord avec tous (ch. 124)
— Le moine est celui qui pense ne faire qu’un avec tous, parce qu’il croit se voir lui-même indéfectiblement en chacun (ch. 125)
— De même que la vue est le meilleur de tous les sens, de même la prière est la plus haute des vertus (ch. 150)
Les Chapitres sur la prière d’Évagre le Pontique (345-399) est avec le Traité pratique son œuvre spirituelle majeure. Après la condamnation de l’origénisme où il était impliqué du fait surtout de ses Chapitres gnostiques, ses œuvres furent officiellement détruites. Mais la plupart d’entre elles étaient insoupçonnables, leur qualité spirituelle était évidente, et elles avaient joué un rôle majeur dans la structuration de la spiritualité orientale. Elles furent donc officieusement préservées sous un autre nom, celui de saint Nil d’Ancyre (encore appelé l’Ascète), et ce n’est qu’en 1934 qu’elles ont pu être restituées à leur véritable auteur.
Les Chapitres sur la prière ont marqué de grands auteurs comme saint Jean Cassien, saint Maxime le Confesseur, saint Jean Climaque ou saint Grégoire Palamas. À partir du XVIIIe sicèle, ils ont connu une large diffusion en Orient du fait de leur intégration à la Philocalie des Pères neptiques, florilège des textes majeurs de la spiritualité orthodoxe réalisé au XVIIIe siècle par saint Nicodème l’Hagiorite et saint Macaire de Corinthe, et devenu un grand classique, popularisé notamment par les célèbres Récits d’un pèlerin russe.
Cette œuvre d’Évagre, en raison de son importance a déjà fait l’objet de plusieurs traductions françaises: par J. Touraille dans la Philocalie (tome 8, Abbaye de Bellefontaine, 1987 et ses diverses rééditions), par M.-O. Goudet dans Évagre. De la prière à la perfection (collection « Les Pères dans la foi », Migne,1992), et surtout, avant cela, par le père Irénée Hausherr, dans son livre Les leçons d’un contemplatif. Le Traité de l’Oraison d’Évagre le Pontique (Beauchesne, 1960), où l’œuvre est présentée avec un excellent commentaire.
La présente traduction est due à Paul Géhin, Directeur de recherche émérite au CNRS, qui, pour publier les œuvres d’Évagre dans la collection « Sources chrétiennes » a pris le relais du regretté Antoine Guillaumont, le meilleur spécialiste mondial du Pontique (auteur d’une remarquable présentation de sa spiritualité dans sa vaste introduction au Traité pratique, « Sources chrétiennes » n° 170, et d’une non moins remarquable synthèse dans Un philosophe au désert. Évagre le Pontique, Vrin, 2004).
Cette traduction a l’avantage de se fonder sur l’édition critique établie avec soin par P. G., sur la base d’une tradition manuscrite abondante qu’il expose en une centaine de pages. Dans le premier chapitre de son introduction, P. G. analyse le contenu de l’œuvre, dont le destinataire reste inconnu, mais à qui sont exposés les formes, la nature et les conditions de la prière véritable, qui doit devenir un état permanent. La prière attentive, continue et pure exige un long exercice et un rude combat contre les passions et les démons qui cherchent à la troubler, à la ralentir ou à l’éteindre par différentes stratégies qu’Évagre expose avec finesse. Ces obstacles se manifestant ordinairement à l’âme par des pensées (au sens large – pensées, proprement dites, imaginations, désirs…) qu’il s’agit d’écarter systématiquement, même quand elles ne sont pas mauvaises. Les démons peuvent aussi agir sur le corps selon des formes qu’il faut également connaître et qu’Évagre précise aussi. Devenue permanente et pure, la prière amène l’intellect à la connaissance/vision de Dieu dans la Lumière (un thème que saint Syméon le Nouveau Théologie illustrera, et que saint Grégoire Palamas développera).
Le texte et la traduction sont abondamment annotés par l’éditeur/traducteur, mais les notes ont pour la plupart un caractère philologique. Pour un commentaire de fond, on pourra se reporter à l’édition Hausherr précédemment citée, ou encore à l’ouvrage récent du père Gabriel Bunge, En esprit et vérité: Études sur le traité « Sur la prière » d’Évagre le Pontique, Bellefontaine, 2016. Des explications sont en effet souvent nécessaires, car les 153 chapitres de l’œuvre ont pour la plupart une forme elliptique et supposent souvent quelques prérequis pour être bien compris. Le chapitre 37 en est un bon exemple : « Si tu désires prier, renonce à tout afin d’hériter le tout ». La conception d’Évagre a souvent une apparence intellectualiste que saint Maxime le Confesseur avait jugé bon de rectifier, et qu’il faut tout au moins expliquer (ce que par exemple s’est attaché à faire de manière positive le père Gabriel Bunge dans ses travaux sur Évagre, en particulier Paternité spirituelle: la gnose chrétienne chez Evagre le Pontique, Bellefontaine, 1994). Ainsi l’affirmation: « La prière sans distraction est la plus haute intellection de l’intellect » (ch. 35), exige une compréhension correcte de la notion d’intellect et de la notion d’intellection pour pouvoir être reçue. Beaucoup de chapitres sont plus abordables. Citons-en quelques-uns:
— Ne doute pas si tu n’obtiens pas immédiatement de Dieu ce que tu demandes, car il veut te faire plus de bien si tu persévères auprès de lui dans la prière. Qu’y a-t-il en effet de plus haut que de s’entretenir avec Dieu et d’être attiré dans ne relation intime avec lui ? (ch. 34)
— Que tu pries avec des frères ou en privé, efforce-toi de prier non par habitude, mais avec sentiment. (ch. 42)
— Celui qui aime Dieu s’entretient toujours avec lui comme avec un père, en se détournant de toute représentation passionnée. (ch. 55)
— Si tu es théologien, tu prieras vraiment, et si tu pries vraiment, tu seras théologien. (ch. 61)
— Ne te figure pas la divinité en toi quand tu pries et ne laisse pas ton intellect être impressionné par quelque forme, mais va immatériel à l’immatériel, et ut comprendras (ch. 67)
— Tu ne pourras prier avec pureté si tu es embarrassé de choses matérielles et agité de soucis continuels, car la prière est rejet des représentations (ch. 71)
— La prière est l’activité qui convient à la dignité de l’intellect, c’est-à-dire son activité et utilisation la meilleure et la plus pure (ch. 84)
— Si tu n’as pas encore reçu la grâce de la prière et de la psalmodie, insiste, et tu recevras (ch. 87)
— De même que le pain est une nourriture pour le corps et la vertu pour l’âme, de même la prières spirituelle constitue la nourriture de l’intellect (ch. 101)
— Bienheureux le moine qui considère tous les hommes comme dieu après Dieu (ch. 122)
— Le moine est celui qui est séparé de tous et en accord avec tous (ch. 124)
— Le moine est celui qui pense ne faire qu’un avec tous, parce qu’il croit se voir lui-même indéfectiblement en chacun (ch. 125)
— De même que la vue est le meilleur de tous les sens, de même la prière est la plus haute des vertus (ch. 150)
Jean-Claude Larchet
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