Située dans la banlieue de Lausanne, la chapelle de la Nativité de Pully accueillait depuis près de 70 ans la communauté orthodoxe russe vaudoise. La propriété devant être mise en vente, la paroisse cessera d’y célébrer le 20 septembre 2017, et elle devra libérer les lieux pour la fin du mois.
« L’EGLISE » RUSSE DE PULLY
Située dans la banlieue de Lausanne, au bout d’une ruelle descendant vers le Lac Léman, dans le sous-sol d’une villa, la chapelle de la Nativité de Pully accueillait depuis près de 70 ans la communauté orthodoxe russe vaudoise. La propriété devant être mise en vente, la paroisse cessera d’y célébrer le 20 septembre 2017, et elle devra libérer les lieux pour la fin du mois.
Ce n’est pas seulement un local qui soudain sera restitué à sa destination première (de chambre à lessive et de cave!), c’est toute une époque qui s’achève, un pan d’histoire qui disparaît, avec l’afflux inévitable de tous les souvenirs qui, au fil des ans, ont tissé une trame subtile de présences et de prières, en ce lieu et dans nos cœurs.
Souvent, dès que les exilés russes arrivaient en “terre de liberté”, leur souci premier était d’organiser une vie spirituelle au sein d’une paroisse, pour se retrouver dans l’Eglise entre compatriotes. A Lausanne, beaucoup de ces futurs paroissiens étaient des suisses de Russie, et c’est grâce au descendant de l’un d’ entre eux que la villa de Pully accueillit la paroisse de la Nativité.
Une future paroissienne, Mme Cérésole dont le nom évoque le Canton de Vaud (mais elle était née Tchitchérine !) était amie d’un de ces suisses de Russie, Raymond Devrient (1904-1987). C’était le fils d’Alfred Devrient (1840-1920), éditeur célèbre de Saint-Pétersbourg, qui accepta de prêter gracieusement le sous-sol de sa villa pour y établir la petite chapelle de la Nativité. A son décès en 1987, la famille avertit la communauté qui s’inquiétait pour son avenir, qu’elle pouvait continuer à rester dans son local.
Mais à présent qu’il faut quitter définitivement ce lieu de tant de chers souvenirs, viennent à l’esprit d’innombrables figures du passé. Ce passé était pour beaucoup celui de l’exil forcé, mais aussi de la liberté et de la sécurité retrouvées sur la terre d’Helvétie.
Les lieux, et surtout ceux liés à la spiritualité, où l’on a célébré la vie véritable en Dieu par les baptêmes, les mariages et autres offices d’intercession, sont chargés d’une histoire dense qui lie à jamais les êtres qui y participèrent. Il n’est donc pas facile d’accepter, que disparaisse cette petite chapelle sans pincement au cœur …
Le premier prêtre qui y officia, le Père Igor Troyanov vint s’établir à Lausanne avec sa famille, depuis la Yougoslavie devenue communiste. La Suisse était son deuxième lieu d’exil. La plupart des paroissiens avaient ce même parcours, venant de différents lieux d’Europe. Il y eut même un temps, un paroissien qui venait de Chine, et qui ne parlait que le russe et le mandarin.
L’atmosphère de cette chapelle était unique. Le plafond bas, la pénombre éclairée seulement par les cierges et les lampades, l’odeur d’encens qui l’imprégnait, tout contribuait à en faire un lieu de prière au calme feutré. Bien sûr, il n’y avait pas beaucoup d’espace dans le sanctuaire, derrière son petit iconostase qui avait été peint longtemps auparavant par le célèbre moine iconographe Cyprien, plus tard célèbre archimandrite de Jordanville (USA). De même, dans le reste du lieu, une partie des fidèles devaient se tenir pendant les cérémonies dans la pièce parallèle à l’entrée. Mais les offices étaient célébrés régulièrement dans une paix et un calme profonds. La prière y était tangible.
On ne peut parler de cette chapelle sans évoquer le chef de chœur Nina Vassilièvna Grigorieff, qui avait une amplitude de voix extraordinaire, et qui passait du soprano à la basse sans effort lorsqu’il le fallait. D’autres visages viennent en mémoire, Mme Descombat, Melle Dosmanoff, Mme Karpouchko, et tant d’autres paroissiens qui nous ont quittés au fil des ans. Monseigneur Ambroise (1947-2009) succéda au Père Igor Troyanov, qui mentionnait souvent la visite de Boris Christoff, dont la voix de stentor retentissait puissamment entre les quatre petits murs de la chapelle. Mais celle-ci eut aussi l’honneur insigne d’accueillir “l’apôtre de la diaspora”, le grand thaumaturge de l’Eglise russe hors frontières, saint Jean de Changhaï et de San Francisco.
Chaque année, la visite de Vladyka Antony, archevêque de Genève et d’Europe occidentale, était un des événements majeurs de la vie de la communauté. On se demande encore comment, tout le clergé parvenait à officier dans le sanctuaire, et comment le peuple pouvait tenir dans ce local exigu, qui prenait alors des allures de cathédrale, lors de cet office pontifical. Mais tout se passait bien, dans une atmosphère de joie et de recueillement.
Bien sûr, il y avait la “grande église” Sainte-Barbara de Vevey. Elle existait depuis le XIXème siècle, période où il y avait une communauté russe importante sur la Riviera vaudoise. Bientôt de plus en plus d’offices y eurent lieu, mais à l’origine, la chapelle suffisait. Il faut dire que les finances du diocèse, de la paroisse, et des paroissiens, ne permettaient pas de chauffer et d’entretenir régulièrement ce bâtiment. Et les déplacements des fidèles jusqu’à l’Eglise Sainte Barbara, représentaient une dépense importante pour des paroissiens dont la plupart étaient alors relativement démunis.
Il y eut cependant plus d’offices à Vevey lorsque, pour les grandes fêtes, il s’avéra que « l’église » de Pully était beaucoup trop petite. Ce fut bien sûr le cas lorsque la communauté s’agrandit avec les nouveaux venus, d’autres russes échappés d’URSS dans les années soixante. Dans les années qui suivirent, les orthodoxes exilés des Balkans – qui n’avaient alors pas d’églises dans le Canton de Vaud- et les suisses, les français ou les autres convertis vinrent agrandir la communauté. On célébrait en slavon d’Eglise et en français quelquefois.
Lorsque la dernière prière sera prononcée par le prêtre, et que le peuple répondra Amin ! les paroissiens auront une pensée reconnaissante pour la famille Devrient qui permit gracieusement que cette paroisse exista si longtemps à Pully. Chacun gardera en son cœur et en son âme le souvenir lumineux des offices célébrés en ce lieu. Chacun reverra aussi les visages de tous ceux, morts ou vivants qui y ont officié, chanté ou prié depuis la fondation de la paroisse, et il les emportera pour les garder précieusement dans sa mémoire.
Protodiacre Michel VERNAZ
Vevey, 6/19 Septembre 2017
Commémoration du Miracle de l’Archange Michel
à Colosses (Chonae)
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