Le métropolite Jonas (Paffhausen), ayant actuellement le statut d’évêque émérite au sein de l’Église orthodoxe russe hors-frontières, fut primat de l’Église orthodoxe en Amérique avec le titre d’archevêque de Washington, métropolite de toute l’Amérique et du Canada, de 2008 à 2012. Le métropolite a accordé une interview au site orthodoxe russe « Pravoslavie.ru », dans lequel il a fait part de son expérience spirituelle et de ses souvenirs : ses rencontres avec les startsy Cyrille (Pavlov), Éphrem d’Arizona, l’aide miraculeuse de saint Jean de Changhaï et du grand-martyr Démètre de Thessalonique.
- Monseigneur, vous avez été reçu dans l’orthodoxie à l’âge de 19 ans, tout jeune. Qu’est-ce qui a contribué à cela ?
- J’ai été baptisé dans l’Église épiscopalienne. À une certaine époque, cette Église était assez proche de l’orthodoxie, elle reconnaissait les sacrements. Mais en 1976, elle est allée contre ses propres canons et a commencé à ordonner prêtres des femmes. J’ai rencontré deux ou trois de ces femmes prêtres à Los Angeles. C’était très désagréable. Plus exactement, horrible. Elles-mêmes, à mon avis, comprenaient mal ce qu’elles étaient devenues : femmes ou hommes. L’une d’entre elles voulait que je l’appelle « mon père ». Je ne pouvais plus rester dans cette Église. C’est alors que, dans une librairie où je me rendais souvent, j’ai aperçu le livre « Essai sur la théologie mystique de l’Église d’Orient » du professeur Vladimir Lossky. J’ai ouvert la première page et j’ai vu la phrase : « Toute théologie est mystique, pour autant qu’elle manifeste le mystère divin, donné par la Révélation ». Et je savais que cela était juste. J’ai compris que je n’avais pas le choix : je devais devenir orthodoxe. J’ai commencé à chercher une église orthodoxe. J’en ai visité quelques-unes et j’ai trouvé la seule église orthodoxe dépendant du Patriarcat de Moscou, à San Diego, dédiée à l’icône de la Mère de Dieu de Kazan. C’était dans les années 1970. À cette époque, en Amérique, il n’y avait que très peu de gens qui devenaient orthodoxes. Dans cette église célébrait un prêtre mexicain, le père Ramon Merlos. Lui et son épouse étaient titulaires d’un doctorat, ils étaient professeurs. Le père Ramon enseignait la linguistique et célébrait à l’église. Il m’a reçu en 1978 dans l’orthodoxie. J’ai fait connaissance de la paroisse : deux grand-mères russes, quelques Palestiniens, Roumains et Américains…
- Monseigneur, pourriez-vous nous dire qui considérez-vous comme vos guides spirituels dans l’orthodoxie ?
- Depuis 1979, je me nourrissais spirituellement auprès de l’archimandrite Dimitri (Egorov). Lorsque j’ai fait sa connaissance, il était déjà un vieillard et ne parlait pas volontiers de lui-même, si bien qu’il m’est difficile de parler de lui, d’essayer de reconstituer sa vie. Je sais qu’il grandit à Moscou, qu’il étudiait dans les années 1920 à la faculté de médecine. Il fut arrêté pour la possession et la lecture de la Bible, il fut envoyé aux Solovki. Les clercs qui y étaient détenus baptisèrent le jeune homme. Il passa deux ans aux Solovki et ensuite, avec un ami, il confectionna des skis et ils s’enfuirent en hiver. Ils avancèrent quelques jours dans la forêt, parvinrent à un village. Mais ils avaient peur d’y entrer, ils erraient. Finalement, l’ami du père Dimitri périt à cause du froid, tandis que lui-même se retrouva à nouveau dans le camp. Il fut puni pour sa fuite, privé de rations. Toutefois, il survécut au camp. Il ressentit fortement la perte d’un ami et décida de vivre désormais dans l’ascèse pour deux. Il rêvait de devenir moine à Valaam, mais ne put y être que novice. Il fut tonsuré et ordonné à Paris pendant la guerre, où il étudia à l’Institut Saint-Serge. Le père Dimitri vécut de nombreuses années comme ermite, il obtint le don de la prière continuelle, vivant quelque peu comme fol en Christ. Ensuite, déjà gravement malade, il vécut au monastère de la Dormition à Calistoga en Californie. Il avait le don de clairvoyance. Lorsque je me confessais à lui, il savait déjà tout ce que j’avais fait. Il me disait toujours des choses qui ont laissé des traces dans mon cœur. Il avait en outre le don de discernement spirituel. Je ressentais un lien spirituel fort avec lui, je ressentais sa prière pour moi. Il devint mon père spirituel, c’était une bénédiction divine. Il disait souvent : « Il faut chasser de soi, de son âme, l’hypocrisie et ce impitoyablement ». Depuis la mort du starets, il y a déjà presque vingt ans, je considère comme mon père et mon ami spirituels le supérieur du monastère de la Transfiguration-du-Seigneur à Valaam, l’évêque Pancrace (Jerdev). J’ai vécu plusieurs mois à Valaam comme novice. Avec le père Pancrace, nous sommes allés ensemble en 1993 chez le starets Cyrille (Pavlov) à la Laure de la Trinité- Saint-Serge. J’ai conservé des souvenirs inoubliables de ce voyage. Il y avait un orage d’été. Le père Pancrace est allé le premier chez le starets ; lorsqu’il termina la conversation, on m’a invité. Ce fut une expérience unique. Le starets était alité, il souriait, il me questionna sur la vie ecclésiale en Californie. Malgré la maladie, il était très joyeux, lumineux. Je me suis confessé à lui. Il m’a dit : « Tu deviendras hiéromoine ». Je demandai : « Père Cyrille, pourriez-vous me dire quelle est la volonté de Dieu pour ce qui me concerne ? Je me suis préparé à Le servir… » « Je sais, je sais… » « Comment dois-je vivre, me marier, ou recevoir la tonsure monastique ? » « N’aie pas peur, tu deviendras hiéromoine ». C’est ainsi que s’achevèrent mes rêves de vie familiale. Le starets me bénit pour devenir moine et recevoir le sacerdoce. Et je savais bien dans mon cœur, qu’il avait dit la vérité à mon sujet. Que c’était la volonté de Dieu pour ce qui me concernait.
- Et cela s’est-il produit rapidement ?
- Oui, un an après, j’ai été ordonné diacre, et la même année, prêtre, en la cathédrale de la Protection de la Très sainte Mère de Dieu à Los Angeles. Et encore un an après, en 1995, je fus tonsuré moine avec le nom de Jonas, au monastère Saint-Tykhon, dans l’État de Pennsylvanie, dans la ville de South Canaan. Vous savez, je ressens très fortement à quel point la providence divine me dirige dans la vie : par les startsy, les guides spirituels, même par des avertissements.
- Peut-être pouvez-vous partager avec nous une telle expérience spirituelle ?
- Lorsque j’avais quatorze ans, j’assistais une fois à un cours de mathématiques. Tout était habituel, et soudain j’entendis une voix : « Tu seras prêtre ». J’étais très étonné. Cela fut ma principale expérience spirituelle. Elle a transformé ma vie. Jusque là, je ne m’intéressais à l’Église, à la vie ecclésiale, en fait je rêvais de devenir architecte. Après cela, je fus convaincu que je devais devenir prêtre. Et vingt ans après, le starets Cyrille (Pavlov) m’a dit la même chose : que la volonté de Dieu était que je devienne prêtre. La volonté de Dieu m’a été révélée à plusieurs reprises par des startsy. En 1995, avec le père Pancrace, nous avons visité le starets athonite Éphrem d’Arizona, disciple de Joseph l’Hésychaste. Au début, le starets Éphrem et le père Pancrace ont parlé par l’intermédiaire d’un traducteur, et ensuite sans lui. Le starets Éphrem est un homme de prière et peut, à l’aide de la prière, comprendre tout homme. Ils ont parlé entre autres à mon sujet. C’est alors que fut résolue la question : devais-je partir à Moscou au métochion de l’Église orthodoxe russe en Amérique (OCA) ou tenter de fonder un monastère en Amérique ? Le starets m’a donné sa bénédiction pour construire un monastère en Amérique. Et nous avons fondé un monastère en Californie, dédié à saint Jean de Changhaï. J’y ai passé douze ans, dont cinq en tant qu’higoumène. Ce fut une expérience spirituelle inestimable. J’ai eu recours à la direction spirituelle du père Pancrace et du starets Cyrille. En 2008, je fus élevé au rang d’archimandrite et on me donna la bénédiction pour quitter le monastère, car je devais devenir évêque. Je ne voulais vraiment pas partir du monastère, mais l’obéissance est l’obéissance…
- Avez-vous ressenti l’aide du protecteur céleste du monastère, saint Jean de Changhaï ?
- Oh, oui ! J’allais souvent chez le saint, c’est-à-dire que je priais devant ses reliques, je ressentais un lien très fort dans la prière, la proximité du saint, son aide rapide. Alors que nous avions à peine construit notre monastère, un homme vint chez nous. Dans sa jeunesse, il effectuait son service dans la flotte militaire, sur un sous-marin atomique. Il se produisit des radiations dues à une fuite, et il reçut une dose importante de ces radiations et tomba malade. Il fut alors atteint d’une oncologie du tissu osseux, il perdit l’un de ses bras ainsi que ses jambes. Il fut amputé. On lui fixa des prothèses, il marchait à grand-peine. Le marin a raconté qu’il venait chez nous depuis l’hôpital, où on lui proposait l’amputation du deuxième bras. Il demandait les prières. Nous avons célébré un office d’intercession à saint Jean de Changhaï, nous avons oint le malade avec l’huile de la veilleuse qui brûlait devant l’icône du saint. Pendant plusieurs mois, je n’ai plus entendu parler de lui. Ensuite, il revint ici et dit joyeusement que saint Jean de Changhaï l’avait guéri entièrement et qu’il n’y avait plus de tumeurs dans son corps. Il y eut encore un autre cas. Il s’agissait d’une femme qui à une certaine époque étudiait avec moi au collège. Elle avait une fille sourde de naissance. Les médecins étaient dans l’incapacité de l’aider. Nous avons célébré un office d’intercession à saint Jean de Changhaï, et un véritable miracle se produisit : la fillette commença à parler ! Par la suite, elle chantait et il s’avéra même qu’elle avait une bonne oreille musicale.
- Peut-on vous demander auquel des saints vous vous adressez le plus souvent afin d’obtenir de l’aide dans la prière ?
- Je ressens un lien spirituel fort avec saint Serge de Radonège. Chaque fois, quand je visite la Russie, je vais chez lui. Une certaine fois, j’avais célébré à la Laure de la Trinité-Saint-Serge, en la cathédrale de la Sainte-Trinité, et j’étais dans l’étonnement : l’higoumène de la Laure avait une telle concentration pendant la célébration de la liturgie ! J’ai compris comment il fallait célébrer la liturgie ! À Diveevo, je me suis littéralement baigné dans la Grâce. La présence de saint Séraphin était tellement forte ! J’ai expérimenté la même chose à Bari, chez saint Nicolas le Thaumaturge… Je vénère encore le saint grand-martyr Démètre de Thessalonique. Une fois, je me rendis sur le Mont Athos. Je dus rester à Thessalonique, où mes papiers n’étaient pas prêts. Je visitai l’église du grand-martyr. Les reliques se trouvaient au centre de l’église, et je ressentis fortement la présence du saint. Je le priai : « J’ai un souci : je n’ai pas assez d’argent pour séjourner à Thessalonique, et mes papiers [i.e. le permis d’entrée sur l’Athos, ndt] ne sont pas prêts… Aide-moi à aller sur l’Athos ! » Une demie heure après, des dames de la paroisse m’invitèrent à déjeuner. L’une d’entre elle me dit : « Vous avez des difficultés avec les papiers ? Il n’y a pas de problème ! Mon père spirituel est l’higoumène du monastère de Grigoriou, l’archimandrite Georges (Kapsanis, maintenant défunt, ndt), il fait partie de la Sainte Communauté de l’Athos et peut aider ». Elle lui téléphona et me passa l’appareil. Il parlait couramment anglais et m’aida immédiatement à recevoir le permis. Au retour de l’Athos, j’entrai à nouveau dans l’église afin de rendre grâces au saint grand-martyr Démètre de Thessalonique pour mon voyage sur l’Athos. J’ai encore demandé son aide en 1995 pour récolter des fonds destinés à la construction du monastère Saint-Jean-de-Changhaï et je promis de construire une église qui lui serait dédiée. Et saint Démètre de Thessalonique m’a aidé : au bout de six mois, nous avions l’argent nécessaire. Aussi, j’ai aujourd’hui une dette envers ce saint.
- Monseigneur, vous pourriez peut-être partager vos préoccupations actuelles, vos rêves, avec nous ?
- J’enseigne actuellement la théologie dogmatique à l’école du dimanche de la cathédrale Saint-Jean-Baptiste de Washington, et j’aide le métropolite d’Amérique orientale et de New York Hilarion (Kapral, primat de l’Église orthodoxe russe hors-frontières, ndt) a visiter les paroisses. Mon rêve est de créer un monastère ici, à Washington. Ce serait un monastère américain, avec les traditions spirituelles orthodoxes russes. Avec la prière de Jésus, comme en Essex chez le starets Sophrony (Sakharov). J’ai déjà la bénédiction du métropolite Hilarion (Kapral), de Mgr Pancrace (Jerdev)… Maintenant, je recherche le lieu et les fonds pour ce monastère, afin d’acheter la maison pour les frères du futur monastère.
- Saint Silouane du Mont Athos disait : « La recherche de la volonté de Dieu est ce qu’il y a de plus important dans notre vie, car lorsqu’il s’engage sur cette voie, l’homme se branche sur la vie éternelle ». Il disait encore : « L’âme qui s’est livrée à la volonté Divine ne craint rien ; ni les tempêtes, ni les voleurs, rien. Mais quoi qu’il arrive, elle dit « C’est agréable à Dieu ». Si il est malade, elle pense : la maladie m’est donc nécessaire, autrement Dieu ne me la donnerait pas. Et ainsi, la paix est préservée dans l’âme et dans le corps ». Je souhaite aux lecteurs du site « Pravoslavie ru » de rechercher la volonté de Dieu et de préserver la paix dans le corps et l’âme ! Faites la prière de Jésus : consacrez à la prière 20 minutes le matin et 20 minutes le soir. Certains prient vite, d’autres lentement, mais pendant un tel laps de temps chacun peut parvenir à lire non moins de 300 prières de Jésus. Je voudrais aussi demander aux lecteurs : priez, je vous en prie, pour vos guides spirituels, pour les prêtres et les évêques, parce qu’il ont beaucoup besoin de soutien spirituel.
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