Recension: Grégoire de Nysse, « Éloge de Grégoire le Thaumaturge. Éloge de Basile »
Grégoire de Nysse, Éloge de Grégoire le Thaumaturge. Éloge de Basile. Texte grec (GNO X, 1) : Günther Heil (Éloge de Grégoire), Otto Lendle (Éloge de Basile). Introduction, traduction, notes et index par Pierre Maraval, « Sources chrétiennes » n° 573, Cerf, Paris, 2015, 322 p.
Ce récent volume de la collection « Sources chrétiennes » présente, traduits par Pierre Maraval, deux « éloges » de saint Grégoire de Nysse.
L’ « éloge » est un genre littéraire ancien très codifié, dont le but est de présenter des personnages remarquables – dans le cadre du christianisme, des saints – sous l’angle presque exclusif de leurs vertus (c’est-à-dire en faisant peu de place aux éléments biographiques et historiques), comme des modèles à suivre et des exemples à imiter ; son but est donc l’édification morale ou spirituelle.
L’Éloge de Grégoire le Thaumaturge a vraisemblablement été prononcé à l’automne 379 dans la province du Pont, à l’occasion de la fête du saint, et a connu par la suite un succès considérable dans les milieux monastiques. L’Éloge de saint Basile – le frère de Grégoire de Nysse – probablement le 1er janvier 381 devant la communauté de Grégoire.
Pour Basile et Grégoire de Nysse, saint Grégoire le Thaumaturge (214 – ca 270) était un modèle qui leur tenait particulièrement à cœur. Il était, comme eux, un membre d’une riche famille, qui avait reçu une éducation supérieure, celle qui permettait alors d’accéder dans l’Empire aux plus hautes fonctions, mais, comme eux aussi, il avait renoncé à tous ces avantages pour adopter un mode de vie chrétienne parfaite, avant de devenir évêque.
Pour Grégoire de Nysse, son frère Basile de Césarée, qui avait suivi le même chemin, était pareillement un modèle, raison pour laquelle il lui a consacré un éloge semblable.
Dans les deux éloges, le modèle proposé est épiscopal, mais d’un genre particulier, celui de l’évêque-moine, que son choix d’une vie ascétique et solitaire a préparé à recevoir la charge épiscopale et à l’exercer avec l’excellence qu’elle requiert. Dans les deux éloges, Grégoire se sert de l’exégèse typologique, pour invoquer Moïse comme la figure annonciatrice et le modèle des deux saints dont la vie est analogue à celle de Moïse en ses trois stades : éducation, contemplation, direction du peuple. Comme Moïse, Grégoire le Thaumaturge et Basile ont choisi de renoncer à la carrière mondaine à laquelle les destinait leur naissance et leur culture profane, et ont vécu un temps dans la solitude et l’ascèse, se consacrant à la maîtrise des passions et à la contemplation que cette dernière rend possible. Tous deux, comme Moïse dans la nuée du Sinaï, ont connu par une révélation surnaturelle le fondement divin des dogmes qu’ils ont par la suite défendus et exposés, n’étant pas de simples docteurs instruits en théorie, mais des phares et des illuminateurs diffusant la lumière reçue d’en-haut dans l’expérience spirituelle d’une vie sainte. Leur activité épiscopale a été une longue succession de luttes pour guérir de leurs erreurs ceux qu’ils ont eu la responsabilité d’enseigner et pour défendre la vraie foi. Grégoire le Thaumaturge a lutté contre les païens idolâtres et Basile le Grand contre les hérétiques ariens. Cette lutte les a assimilés aux martyrs, car ils ont été exposés à l’hostilité et aux menaces de leurs ennemis. Leurs combats se sont accompagnés de miracles qui ont donné un caractère charismatique à leur activité épiscopale.
Dans ses éloges, saint Grégoire de Nysse souligne fortement le rôle de l’évêque comme didascale (enseignant), formateur des âmes pour en faire des réceptacles de Dieu, mais aussi comme défenseur de la foi, qui est un garant de l’orthodoxie à proportion de la connaissance dont Dieu l’a gratifié dans une expérience liée intimement à sa propre vie ascétique.
Selon saint Grégoire de Nysse, le modèle ainsi défini doit inspirer le choix de tout évêque. L’Éloge de Grégoire le Thaumaturge en donne un exemple avec l’élection sur le siège de Comane la Pontique d’Alexandre le Charbonnier, qui était un artisan sans éducation, mais avait choisi de vivre dans la pauvreté, l’humilité, la continence, le mépris du corps, la recherche de la vertu avant toute chose, ce qui lui permettait de proférer un discours plein de sagese et d’intelligence, même s’il n’était pas paré des fleurs de la rhétorique. Saint Grégoire de Nysse reviendra sur ce point dans sa Vie de Moïse, en observant que ce qui s’est passé autrefois avec Moïse se retrouve dans l’économie de l’Église : comme tous les chrétiens ne sont pas à même de pénétrer dans l’intelligence des mystères, « ils choisissent quelqu’un parmi eux qui soit apte à percevoir les choses divines et ils lui prêtent volontiers l’oreille ensuite, jugeant digne de foi tout ce qu’ils entendent de celui qui a été initié aux secrets divins ». Il ajoute que, malheureusement, on n’observe pas cela dans beaucoup d’Églises ; aussi, dans sa lettre aux prêtres de Nicomédie, qui devaient élire un nouvel évêque, il leur rappelle que leur choix doit porter sur celui qui « n’a d’yeux que pour les choses de Dieu et qui n’élève son regard vers aucune de celles dont on se préoccupe en cette vie ».
Le modèle épiscopal illustré par saint Grégoire le Thaumaturge et saint Basile le Grand, qui sait combiner les vertus de la vie monastique avec le souci d’une pastorale active n’était pas le plus répandu dans l’épiscopat de cette époque (les lois, depuis Constantin, avaient donné aux évêques un prestige social considérable), et beaucoup étaient souvent plus mondains que religieux. C’est pourquoi Grégoire de Nysse s’en est fait l’ardent promoteur.
Grégoire le Thaumaturge et Basile n’étaient cependant pas seulement des modèles pour les évêques : ils l’étaient également pour les moines. Ils illustraient par leur mode de vie les principales vertus monastiques – le mépris du monde, la pauvreté, la chasteté, l’humilité. Ils étaient aussi, par ces mêmes vertus et par leur charité, des modèles pour tous les chrétiens. « Sa vie vertueuse, en resplendissant pour nos âmes à la manière d’un phare, grâce à la commémoration, est une voie vers le bien », écrit Grégoire de Nysse à propos de saint Grégoire le Thaumaturge. Et il conclut l’éloge de saint Basile en rappelant que la vraie louange du saint consiste à imiter ses vertus.
Pierre Maraval, qui a réalisé comme d’habitude une excellente traduction, l’a introduite, en bon spécialiste de saint Grégoire de Nysse, par une introduction très complète sur l’histoire, la nature et le message de ces deux textes.
Ce récent volume de la collection « Sources chrétiennes » présente, traduits par Pierre Maraval, deux « éloges » de saint Grégoire de Nysse.
L’ « éloge » est un genre littéraire ancien très codifié, dont le but est de présenter des personnages remarquables – dans le cadre du christianisme, des saints – sous l’angle presque exclusif de leurs vertus (c’est-à-dire en faisant peu de place aux éléments biographiques et historiques), comme des modèles à suivre et des exemples à imiter ; son but est donc l’édification morale ou spirituelle.
L’Éloge de Grégoire le Thaumaturge a vraisemblablement été prononcé à l’automne 379 dans la province du Pont, à l’occasion de la fête du saint, et a connu par la suite un succès considérable dans les milieux monastiques. L’Éloge de saint Basile – le frère de Grégoire de Nysse – probablement le 1er janvier 381 devant la communauté de Grégoire.
Pour Basile et Grégoire de Nysse, saint Grégoire le Thaumaturge (214 – ca 270) était un modèle qui leur tenait particulièrement à cœur. Il était, comme eux, un membre d’une riche famille, qui avait reçu une éducation supérieure, celle qui permettait alors d’accéder dans l’Empire aux plus hautes fonctions, mais, comme eux aussi, il avait renoncé à tous ces avantages pour adopter un mode de vie chrétienne parfaite, avant de devenir évêque.
Pour Grégoire de Nysse, son frère Basile de Césarée, qui avait suivi le même chemin, était pareillement un modèle, raison pour laquelle il lui a consacré un éloge semblable.
Dans les deux éloges, le modèle proposé est épiscopal, mais d’un genre particulier, celui de l’évêque-moine, que son choix d’une vie ascétique et solitaire a préparé à recevoir la charge épiscopale et à l’exercer avec l’excellence qu’elle requiert. Dans les deux éloges, Grégoire se sert de l’exégèse typologique, pour invoquer Moïse comme la figure annonciatrice et le modèle des deux saints dont la vie est analogue à celle de Moïse en ses trois stades : éducation, contemplation, direction du peuple. Comme Moïse, Grégoire le Thaumaturge et Basile ont choisi de renoncer à la carrière mondaine à laquelle les destinait leur naissance et leur culture profane, et ont vécu un temps dans la solitude et l’ascèse, se consacrant à la maîtrise des passions et à la contemplation que cette dernière rend possible. Tous deux, comme Moïse dans la nuée du Sinaï, ont connu par une révélation surnaturelle le fondement divin des dogmes qu’ils ont par la suite défendus et exposés, n’étant pas de simples docteurs instruits en théorie, mais des phares et des illuminateurs diffusant la lumière reçue d’en-haut dans l’expérience spirituelle d’une vie sainte. Leur activité épiscopale a été une longue succession de luttes pour guérir de leurs erreurs ceux qu’ils ont eu la responsabilité d’enseigner et pour défendre la vraie foi. Grégoire le Thaumaturge a lutté contre les païens idolâtres et Basile le Grand contre les hérétiques ariens. Cette lutte les a assimilés aux martyrs, car ils ont été exposés à l’hostilité et aux menaces de leurs ennemis. Leurs combats se sont accompagnés de miracles qui ont donné un caractère charismatique à leur activité épiscopale.
Dans ses éloges, saint Grégoire de Nysse souligne fortement le rôle de l’évêque comme didascale (enseignant), formateur des âmes pour en faire des réceptacles de Dieu, mais aussi comme défenseur de la foi, qui est un garant de l’orthodoxie à proportion de la connaissance dont Dieu l’a gratifié dans une expérience liée intimement à sa propre vie ascétique.
Selon saint Grégoire de Nysse, le modèle ainsi défini doit inspirer le choix de tout évêque. L’Éloge de Grégoire le Thaumaturge en donne un exemple avec l’élection sur le siège de Comane la Pontique d’Alexandre le Charbonnier, qui était un artisan sans éducation, mais avait choisi de vivre dans la pauvreté, l’humilité, la continence, le mépris du corps, la recherche de la vertu avant toute chose, ce qui lui permettait de proférer un discours plein de sagese et d’intelligence, même s’il n’était pas paré des fleurs de la rhétorique. Saint Grégoire de Nysse reviendra sur ce point dans sa Vie de Moïse, en observant que ce qui s’est passé autrefois avec Moïse se retrouve dans l’économie de l’Église : comme tous les chrétiens ne sont pas à même de pénétrer dans l’intelligence des mystères, « ils choisissent quelqu’un parmi eux qui soit apte à percevoir les choses divines et ils lui prêtent volontiers l’oreille ensuite, jugeant digne de foi tout ce qu’ils entendent de celui qui a été initié aux secrets divins ». Il ajoute que, malheureusement, on n’observe pas cela dans beaucoup d’Églises ; aussi, dans sa lettre aux prêtres de Nicomédie, qui devaient élire un nouvel évêque, il leur rappelle que leur choix doit porter sur celui qui « n’a d’yeux que pour les choses de Dieu et qui n’élève son regard vers aucune de celles dont on se préoccupe en cette vie ».
Le modèle épiscopal illustré par saint Grégoire le Thaumaturge et saint Basile le Grand, qui sait combiner les vertus de la vie monastique avec le souci d’une pastorale active n’était pas le plus répandu dans l’épiscopat de cette époque (les lois, depuis Constantin, avaient donné aux évêques un prestige social considérable), et beaucoup étaient souvent plus mondains que religieux. C’est pourquoi Grégoire de Nysse s’en est fait l’ardent promoteur.
Grégoire le Thaumaturge et Basile n’étaient cependant pas seulement des modèles pour les évêques : ils l’étaient également pour les moines. Ils illustraient par leur mode de vie les principales vertus monastiques – le mépris du monde, la pauvreté, la chasteté, l’humilité. Ils étaient aussi, par ces mêmes vertus et par leur charité, des modèles pour tous les chrétiens. « Sa vie vertueuse, en resplendissant pour nos âmes à la manière d’un phare, grâce à la commémoration, est une voie vers le bien », écrit Grégoire de Nysse à propos de saint Grégoire le Thaumaturge. Et il conclut l’éloge de saint Basile en rappelant que la vraie louange du saint consiste à imiter ses vertus.
Pierre Maraval, qui a réalisé comme d’habitude une excellente traduction, l’a introduite, en bon spécialiste de saint Grégoire de Nysse, par une introduction très complète sur l’histoire, la nature et le message de ces deux textes.
Jean-Claude Larchet
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