"Dans la confusion de notre époque quand une centaine de voix contradictoires prétend parler au nom de l'Orthodoxie, il est essentiel de savoir à qui l'on peut faire confiance. Il ne suffit pas de prétendre parler au nom de l'Orthodoxie patristique, il faut être dans la pure tradition des saints Pères ... "
Père Seraphim (Rose) de bienheureuse mémoire

lundi 24 août 2015

"La seule voix avec laquelle un chrétien orthodoxe a le droit de parole est la voix de l'Eglise:" (9 et fin)




- Diriez-vous qu'il y a des exceptions notables? Qui aimeriez-vous que nous lisions parmi les érudits [orthodoxes] modernes?

- C'est une très bonne question. Réfléchissant pour l'instant à l'érudition orthodoxe en langue anglaise, je pense que l'une des raisons pour lesquelles le métropolite Kallistos (Ware) est si populaire, c'est qu'il parle très bien dans un langage érudit instruit, mais il insuffle dans cette langue une croyance réelle dans la théologie de l'Église. Je pense qu'il en est un exemple. 

Mais il est difficile de répondre à votre question, parce que je trouve qu'il est difficile de trouver des exemples dans le monde scientifique. C'est souvent dans le monde de ceux qui prêchent que nous les trouvons. Par exemple le métropolite Antoine de Souroge -je suis en train de relire certains de ses sermons- nous voyons aussi souvent cela dans ses œuvres; et Père Jean (Krestiankin) en russe, vous trouverez des exemples de théologie vivante. Mais je pense que le fait même que je trouve qu'il est difficile de répondre à votre question est probablement une situation révélatrice; parce que, dans mon esprit la réponse à votre question se trouve principalement chez les prédicateurs et pasteurs, et non chez les universitaires. 

Cela ne veut pas dire que nous ne disposons pas de bons universitaires. Nous avons beaucoup de savants orthodoxes fantastiques qui font un travail formidable. Mais je pense que nous sommes tous inhibés par ce qui est devenu la tradition de notre époque. Je me suis rendu coupable de cela. Ceci est quelque chose dont je suis de plus en plus conscient dans mon propre travail, et donc je deviens plus conscient de même chez les autres.

- Dans le même podcast avec le père Josiah vous avez parlé de votre travail concernant un livre sur les Catéchèses de saint Cyrille  de Jérusalem. Où en est ce livre?

- Ce livre est très, très lent à venir. Je regrette d'avoir beaucoup trop de projets en cours, et celui-ci est mon propre projet, et non pas celui de quelqu'un d'autre, et il est donc régulièrement repoussé vers le bas de la liste des priorités. J'ai vraiment l'intention de le finir; il est fait à moitié. 

Il est sur un thème que je trouve important précisément parce que je pense que saint Cyrille de Jérusalem est un merveilleux exemple de saint qui parle un langage académique pour la plupart des questions que nous avons concernant l'histoire de l'Eglise, mais qui est éminemment pasteur, comme  tous les Pères le sont en vérité; il l'est d'une manière très évidente dans toutes ses conférences catéchétiques. Donc, j'espère qu'une étude sur sa vie peut être utile pour les gens d'aujourd'hui, et je souhaite pouvoir la compléter avant de mourir -ce serait une belle chronologie! Mais nous verrons.

- Un autre récent problème que j'ai vu récemment dans le monde orthodoxe est le fait que certains blogs éminents discutent de l'universalisme (apocatastase?): pour ou contre. Et cela me rappelle certains de vos messages il y a quelques années sur votre forum Monachos sur les idées du ciel et de l'enfer. Vous avez décrit une opinion populaire,selon laquelle  "l'enfer est tout simplement le Ciel vécu différemment." Donc, il semble qu'il y ait toujours ces questions de l'au-delà et les questions de la miséricorde et de la justice et de la colère de Dieu. Pourquoi y a-t-il tant de confusion sur ces questions? Pourquoi ne sommes-nous toujours pas au clair à ce sujet, et où pouvons-nous trouver les réponses?

-Vous soulèvez une question importante et brûlante. Et vous avez raison en disant que j'ai parlé et écrit sur certaines de ces questions, et j'ai été critiqué de ne pas suivre ce qui est devenu une ligne populaire dans les discussions modernes. Une quantité énorme des discussions qui a lieu, en particulier sur l'Internet (qui ouvre en vérité une avenue de discussion infructueuse), met l'accent sur cette idée qui est devenue immensément populaire depuis le milieu des années 1980, qu'il n'y a pas de distinction entre le ciel et l'enfer- qu'ils sont un endroit qui est "vécu différemment." Cependant, cela ne se trouve tout simplement pas dans la Tradition de l'Église, sauf pour autant que j'ai jamais été capable de le discerner, dans deux paragraphes dans toute l'histoire de l'Eglise -un de saint Grégoire de Nysse et un de saint Isaac le Syrien. Deux paragraphes… des paragraphes. Pas des livres, pas des vies, mais des paragraphes.[1]

Maintenant, il y a des raisons pour que les gens désirent considérer l'au-delà de cette manière, et généralement ces raisons découlent de la peur, et d'un manque de compréhension de l'amour du Christ, de l'amour de Dieu. 

Quand nous entendons les mots que l'Église emploie constamment, comme les "feux de l'enfer", "la punition", "le jugement" - images qui sont partout dans les Écritures, partout dans la Liturgie, partout dans notre hymnographie, notre iconographie -nous n'entendons  pas ces paroles, nous ne voyons pas ces images, avec la mentalité de l'Eglise. Nous les voyons et nous les entendons avec la mentalité du vingt et unième siècle, qui les considère comme un jugement, cruel, méchant, sans charité, sans amour. Et nous, les voyant de cette manière, sentons que nous devons les expliquer pour nous en débarrasser. "Eh bien le jugement est "mesquin," nous ne pouvons pas vraiment croire dans le jugement." "L'enfer, un enfer éternel, est une cruauté, nous ne pouvons pas vraiment croire en un enfer éternel." Il y a un élan pour éviter cette cruauté apparente par une explication.

Je comprends cela. C'est peut-être même un désir pieux. Le problème est qu'il est fondé sur un malentendu. L'Eglise ne considère pas l'enfer comme une cruauté. L'Eglise ne considère pas la mort comme une cruauté, ou le jugement comme une cruauté. 

Notre tâche devrait vraiment être de ne pas en arriver à une nouvelle vision de l'au-delà qui est plus "confortable" pour nous, mais de conformer notre compréhension à celle de l'Église; de découvrir dans la langue faisant foi de l'Eglise, le témoin authentique de l'Eglise, l'amour authentique de Dieu. 

Si ce que nous découvrons dans la voix de l'Eglise, dans la langue et l'imagerie est un Dieu cruel, alors nous n'avons pas entendu correctement la voix de l'Eglise. Donc, voilà pourquoi je pense que ces questions sont vivaces. Elles ont surgi dans toutes les cultures, parce que dans chaque ère, nous ne comprenons pas. A chaque époque, la tentation est d'entendre avec les oreilles de notre temps plutôt qu'avec les oreilles de l'Église. Dans chaque génération, nous devons nous conformer à nouveau à l'Evangile, et c'est difficile. C'est un travail acharné. Mais c'est le travail qui fait gagner la vie à une âme.

Version française Claude Lopez-Ginisty
d'après
Pravoslavie.ru

NOTE:
Cette croyance est cependant bien distincte de l'apocatastase. Cette vision de l'enfer et du Paradis contestée par Père Irénei est enseignée par le Père George Metallinos, théologien de la Faculté de Théologie d'Athènes (Cf), qui cite l'Ecriture et les textes de l'Eglise à l'appui de cette thèse. Son approche, comme celle de John Romanides condamne la théorie de l'apocatastase qui inquiète à juste titre l'archimandrite Irenei ( Père John explique clairement: "La gloire incréée, que le Christ a par nature du Père, est un paradis pour ceux dont l'amour égocentrique et égoïste a été guéri et transformé en amour désintéressé. Cependant, la même gloire est  feu éternel incréé et l'enfer pour ceux qui ont choisi de demeurer dans leur égoïsme endurci.")
Théophane de Nicée ( il n'y a donc pas que saint Isaac et Grégoire de Nysse qui parlent ainsi de ce thème), enseigne que le Lumière Divine est perçue par les damnés comme feu de l'enfer. Les misothéistes (ceux qui haïssent Dieu) perçoivent la Présence de Dieu comme souffrance. Et l'enfer n'est pas un lieu, mais un état.

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