Cette piété si caractéristique de toutes les couches de la société en Sainte Russie, avait disparu rapidement à partir du 19ème siècle dans l'intelligentsia de la haute société, lorsque Dieu fit se lever dans l'Eglise, dans ce même milieu, un véritable auteur ascétique, l'évêque Ignace Briantchaninov. En lui étaient combinées une éloquence de style rare et une compréhension profonde de la lutte inhérente à la vie chrétienne grâces auxquelles il fut capable d'inspirer beaucoup d'âmes aveuglées par les idées "éclairées" de l'Occident, pour les faire revenir au bercail salvifique de l'Église.
L'évêque Ignace fut un auteur prolifique, le plus connu dans le monde Orthodoxe anglophone pour son travail magistral, l'Arène ( The Arena), dans lequel il instruit avec maestria ceux qui sont dans l'arène du combat spirituel - dont il est lui-même sorti vainqueur avec gloire. [...]
Né dans une famille noble de riches propriétaires fonciers, l'évêque Ignace fut envoyé dans sa jeunesse à l'École Militaire de Saint-Pétersbourg, institution célèbre sous le patronage du Tzar Nicholas Premier. C'était un étudiant brillant, mais son coeur n'était pas à ses études. Seulement quelques années après la remise du diplôme d'ingénieur, il tomba sérieusement malade et se servit de cette excuse pour demander sa libération de l'armée.
Attiré par la religion dès son jeune âge, il fut alors capable de réaliser son rêve d'enfant de s'engager dans la vie monastique. Il passa quatre ans dans des monastères différents comme novice, en établissant un lien étroit avec le staretz Léonide d'Optina, avant d'être tonsuré dans un petit monastère près de son Vologda natal et il fut ensuite ordonné prêtre.
Il se passa peu de temps, cependant, avant que le Tzar ne se renseignât sur l'officier dont on se souvenait comme d'un cadet doué. En apprenant ce qu'il était devenu, le Tzar lui envoya les instructions suivantes :
"Je vous aime encore; vous êtes endetté envers moi, pour l'éducation que je vous ai donnée et pour mon amour envers vous. Vous n'avez pas voulu me servir dans la position que j'avais destinée pour vous, mais vous avez choisi plutôt de suivre la voie de vos propres désirs; dans ce cas, remboursez-moi votre dette dans cette voie. Je vous donne l'Ermitage de Saint Serge. C'est mon souhait que vous viviez là et le transformiez en un monastère exemplaire pour toute la Russie."
La dette au Tsar fut payée intégralement... En assumant la charge de l'Ermitage localisé à la périphérie de Saint-Pétersbourg, le jeune hiéromoine construisit bientôt un monastère avec trois églises, de grands logements et il y eut un grand nombre de moines qui s'y établirent. En 1857, après 24 ans comme higoumène de l'Ermitage Saint Serge, il fut ordonné évêque du Caucase et de la Mer Noire. Seulement quatre ans plus tard cependant, il prit sa retraite et consacra le reste de sa vie à la compilation des textes sur la vie ascétique et à préparer pour la publication différents articles qu'il avait écrits au fil des années. En outre, il entretint une correspondance étendue avec ses enfants spirituels. Il mourut en 1867 dans l'isolement qu'il avait désiré depuis sa jeunesse.
Ornement raffiné de monachisme orthodoxe, l'évêque Ignace a enseigné la vie monastique, non seulement dans ses écrits ascétiques et théologiques, mais par sa vie-même qui présente un merveilleux exemple d'abnégation et de lutte avec les péchés, les épreuves et les maladies. Ses nombreux travaux écrits incluent "Expériences de la Vie Ascétique" (5 Volumes) "Patericon", "Une Parole sur la Mort", et bien d'autres œuvres. Le hiérarque l'a admis lui-même : "La source de mes écrits doit être trouvée chez les Pères; ils appartiennent aux Pères de l'Église Orthodoxe..."
Les expériences de la Vie Ascétique sont un travail d'une grande importance. "Ce n'est pas mon travail," affirme le hiérarque, "C'est pourquoi je suis capable d'en parler si librement. Je fus seulement l'instrument de la clémence de Dieu envers les chrétiens orthodoxes contemporains qui avaient le besoin désespéré d'avoir une exposé très clair des principes du combat chrétien"... Les Expériences peuvent être lues à la place de la Philocalie, car ils sont plus simples à comprendre.
Ses nombreuses lettres sur des sujets différents et au contenu varié, ont à mon avis une grande valeur. Comme le feu, elles enflamment les coeurs froids. Comme la lumière, elles pénètrent l'obscurité des pensées pécheresses. Elles contiennent de l'énergie, en appelant au podvig et en apportant une douce consolation longtemps espérée pour tous ceux qui sont dans la peine...
Dans les Expériences, on lit l'enseignement de nos Pères sur la vie intérieure dans le combat [spirituel]. Cet enseignement diffère de celui des auteurs d'Occident, car les Pères Saints amènent au repentir et à pleurer sur ses péchés, alors que les occidentaux mènent souvent au plaisir spirituel et à l'autosatisfaction...
"J'ai passé ma vie entière dans la maladie et les épreuves, mais sans épreuves, comment peut-on être sauvé ? La maladie est envoyée par Dieu à la place des combats, et pour compenser les manques de nos combats. Je vois que ma santé malade est un cadeau de Dieu - Son épitimie, Sa miséricorde..."
Comme fondement de ses Expériences, on peut citer aussi les remarquables paroles suivantes : "L'orthodoxie est la connaissance véritable de Dieu et l'adoration vraie de Dieu. L'Esprit est la gloire de chrétiens. Où l'Esprit est absent, il n'y a aucune Orthodoxie. Il est essenfial pour son salut d'appartenir à l'Église Orthodoxe. Hors de l'obéissance à l'Église, il n'y a ni humilité, ni discernement spirituel …"
"Qu'est-ce que la mort ? - l'âge par lequel commence notre vraie vie. Un homme ne devrait pas désespérer, quelques grands que soient ses péchés, car un homme n'est pas sauvé par ses bonnes actions, mais par sa foi en Christ le Sauveur; seulement ses actes devraient manifester sa foi... Pensez donc au grand Apôtre Pierre lui-même qui a pleuré si amèrement..."
"La prière chasse les pensées répugnantes et nous emplit de la jubilation... Il ne faut pas céder au découragement. Au contraire, il faut remercier Dieu des épreuves comme d'un signe d'élection en prévision de la béatitude éternelle. La gratitude amortit non seulement l'aiguillon acéré du chagrin, mais elle remplit le coeur de celui qui est reconnaissant d'une consolation céleste et spirituelle. Nulle part on ne peut trouver une telle consolation, si ce n'est dans la patience qui est née de l'humilité. L'humilité consiste à nous considérer nous-mêmes dignes des peines par lequels la Providence de Dieu permet que nous soyons visités. Les épreuves furent toujours le lot de ceux qui sont sur la voie du salut..."
"Rien et personne ne peuvent arracher des mains de Dieu une âme consacrée à Son service. Car, à une telle âme, Dieu donne pour le temps de son pèlerinage terrestre, une voie étroite pavée d'épreuves et de privations diverses, parce qu'il est impossible de venir à Dieu par une voie large..."
"Le monde est dans un état de tromperie spirituelle et manifeste une affinité pour ceux qui sont dans le même état. Mais il méprise et rejette ceux qui servent la Vérité..."
"La connaissance du Sauveur et l'acquisition conséquente de la béatitude éternelle, sont le bonheur premier de l'homme sur terre et son seul trésor..."
"Le temps passe de plus en plus vite et l'heure de notre entrée dans l'éternité se rapproche. Profitez de vos jours sur terre pour vous y préparer. Une telle préparation dissipe les chagrins temporels et apporte la consolation, en indiquant par là-même que cette préparation est effectivement une préparation pour la béatitude..."
"On ne doit jamais, pour aucune raison, être découragé, car nous sommes dans les mains de la Providence de Dieu. Notre souci doit être d'être vrais devant le Seigneur. Et le Seigneur révèle expressément les faiblesses de celui à qui Il veut accorder Son don de discernement. Car le début de l'illumination d'une âme est la perception de ses propres péchés et de son insignifiance..."
"Arrêtez de faire des prosternations pour un temps; la maladie a pris leur relai. Mais n'arrêtez pas de prier avec une grande componction."
"Le Seigneur peut vous enseigner l'humilité, la source de tout calme. De l'humilité, la paix et la quiétude s'écoulent dans le coeur. Si on nous donne la coupe de souffrances, acceptons-la comme la coupe du salut, comme une promesse de joie éternelle. Celui qui refuse les épreuves, rejette aussi le salut. Dieu permet au Diable de nous frapper pour notre salut et pour notre humilité."
"Mon désir sincère est de finir mes jours quelque part dans la solitude et l'anonymat, dans la vigilance spirituelle et le repentir. Il ne faudrait pas se tromper avec de fausses attentes d'une longue vie terrestre... Tout passe, tant le bon que le mauvais, et ni les humains ni les démons, ne peuvent vaincre ce que Dieu ne leur permet pas de vaincre.
Toutes ses lettres et essais dans les Expériences sont effectivement et profondément édifiantes et émouvantes. Elles sont écrites avec le cœur et sont pénétrées par la vraie foi et l'humble piété qui distinguaient cet auteur si hautement révéré pendant toute sa vie.
Aie pitié, ô Seigneur, de cet auteur et ascète zélé de bienheureuse mémoire, et par lui, aie aussi pitié de nous - ballottés sur les vagues de péché dans cette mer tempétueuse de la vie.
Version française Claude Lopez-Ginisty
d'après Archiprêtre Nicholas Deputatov
Champion of the Srena/ Bishop Ignatius Brianchaninov
Orthodox America
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