À l’occasion de l’exposition des icônes du moine Grégoire Kroug au Centre culturel orthodoxe russe du quai Branly, un magnifique catalogue intitulé, « Un prophète de la beauté incréée, le moine Grégoire (Kroug) », a été réalisé par la commissaire de l’exposition, Émilie van Taack, et publié par les éditions du Diocèse de Chersonèse. Ce volume de 340 pages et de grand format (21×30 cm), bilingue français-russe, présente en des reproductions d’une qualité parfaite (les photos ont pour la plupart été prises par Fabian Da Costa) la quasi totalité des icônes exposées.
Dans sa préface, Mgr Nestor, qui était encore évêque du diocèse de France de l’Église russe lors de l’organisation de l’exposition, note que « les icônes de Grégoire Kroug sont contemporaines, mais en même temps intemporelles », et qu’ « elles ne laissent pas indifférent », mais qu’ « elles témoignent, elles prêchent, elles prophétisent, sans paroles, par leur évidente vérité et beauté – celle du monde incréé –, et par la vérité de la vie de leur auteur ».
La parole est donnée également à Claire Vigne-Dumas, qui a coordonné à la Direction régionale des affaires culturelle d’Île de France, un comité d’experts qui a attribué le label « Patrimoine du XXe siècle » à deux églises dont le Père Grégoire Kroug a réalisé les fresques : celle du skit du Saint-Esprit, à Le Mesnil-Saint-Denis en Yvelines, et celle de Notre-Dame de Kazan à Moisenay en Seine-et-Marne. Elle note : « Le style très sobre du Père Grégoire, nourri par une connaissance très sûre de la tradition iconographique, est fondé, me semble-t-il, sur les canons de la peinture russe dans sa période la plus accomplie, des XVe – XVIIe siècles. Cependant sa pratique de peintre n’ignore rien des recherches de la peinture contemporaine européenne, cherchant à se “dégager de la tyrannie du réel” selon les mots de Joan Miro, et à exprimer l’essence du vivant. Sa démarche d’iconographe, l’amène à épurer la forme, rechercher l’essence du geste pour en souligner la dynamique au moyen de la force de la ligne. Les figures étirées, telles celles de l’Anastasis de Moisenay, touchent par la solidité de la composition, le sens de l’essentiel dont tout élément anecdotique est exclu, et l’économie de la couleur réduite à l’essentiel. »
Un texte de Catherine Aslanoff, fille de Vladimir Lossky et filleule du Père Grégoire (qui avait déjà été publié dans deux recueils consacrés à l’iconographe), rappelle les épreuves intérieures qu’il a dû affronter dans les premières années de la seconde guerre mondiale, qui lui ont valu un bref internement à l’hôpital Saint-Anne, qu’il a surmontées avec l’aide de son Père spirituel, le Père Serge Chévitch, et qui furent pour lui une expérience analogue à celle de la traversée de l’enfer par saint Silouane, lui permettant de passer « des ténèbres à la lumière » et d’acquérir un niveau spirituel exceptionnel marquant toute sa production iconographique ultérieure.
C’est précisément ce lien que l’introduction d’Émilie van Taack, intitulée « Le Père Grégoire Kroug, un prophète de la beauté incréée », s’attache à mettre en valeur, notant d’emblée que « le moine iconographe Grégoire fut dès sa vie sur terre unanimement reconnu comme une personnalité hors du commun » et que « lorsqu’il devint moine, sa dimension spirituelle fut aux yeux de tous celle d’un grand mystique ». « Le Seigneur a accordé le Père Grégoire à notre génération comme une icône du peintre d’icône », note-t-elle encore, soulignant tout à la fois la source intérieure, suscitée par la vie ascétique et constituée par la grâce, de son œuvre, et le caractère spirituel de la liberté qui la caractérise bien qu’elle respecte en tout point les exigences de la plus pure tradition iconographique orthodoxe.
Le corps de l’ouvrage est ensuite constitué par les reproductions des œuvres exposées, classées chronologiquement, mais rassemblées par strates qui correspondent, selon la présentation de chacune d’elles que fait la commissaire de l’exposition, à autant d’étapes de la vie intérieure de l’iconographe, passant progressivement, comme il a été dit, des ténèbres à la Lumière.
Le premier chapitre rappelle les débuts de la vie du Père Grégoire, qui naquit en 1908 à Saint-Péterbourg d’un père luthérien d’origine suédoise et d’une mère russe originaire de Mourom, étudia le piano et la peinture, émigra en Estonie en 1921 où il prit la nationalité estonienne, continua sa formation artistique, se convertit à l’Orthodoxie en 1927, à l’âge de 19 ans, et vint à Paris en 1931 pour approfondir sa pratique picturale à l’académie fondée par la fille de Tolstoï.
Puis sont évoqués: sa découverte de l’icône; sa participation à la confrérie Saint-Photius visant à diffuser l’Orthodoxie en France dans le respect de ses particularités culturelles profondes héritées de son passé orthodoxe du premier millénaire (et en conséquence la tentative de mise au point d’une iconographie se situant dans l’esprit de l’art roman); puis l’apprentissage d’une iconographie puisée aux meilleures sources russes et byzantines, dans une recherche menée en commun avec Léonide Ouspensky; et enfin après les épreuves précédemment mentionnées, le développement d’une iconographie à l’identité forte, s’approfondissant en relation étroite avec une croissance spirituelle personnelle caractérisée par une illumination de plus en plus grande, produisant des icônes et des fresques manifestement inspirées, habitées par la grâce, chaleureuses, profondes, interpellant et appelant immédiatement à la prière celui qui les regarde.
Cet ouvrage magnifique est disponible au kiosque de l’exposition, mais c’est évidemment celle-ci qu’il faut d’abord et à tout prix visiter (elle durera jusqu’au 30 juin), car les reproductions, bien qu’excellentes, ne donnent qu’une faible impression des œuvres exposées, dont certaines sont de très grande taille, tandis que d’autres sont des miniatures. Organisée par Émilie van Taack de façon très professionnelle, à la manière de celles des grands musées, cette exposition, qui a déjà attiré un large public, rassemble des œuvres visibles dans plusieurs églises de Paris et de ses environs, mais aussi venues de Normandie ou de Lyon, d’Italie ou du Liban, ou appartenant à diverses collections privées, et qu’il ne sera sans doute plus possible de revoir ensemble.
Une visite guidée de l’exposition est organisée tous les dimanches à 16h, mais sont prévues aussi des visites des différents sites de Paris et de la région parisienne où l’on peut voir les fresques du Père Grégoire dont seules quelques photos sont présentes parmi les icônes exposées.
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Jean-Claude Larchet
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