"Dans la confusion de notre époque quand une centaine de voix contradictoires prétend parler au nom de l'Orthodoxie, il est essentiel de savoir à qui l'on peut faire confiance. Il ne suffit pas de prétendre parler au nom de l'Orthodoxie patristique, il faut être dans la pure tradition des saints Pères ... "
Père Seraphim (Rose) de bienheureuse mémoire

mardi 12 juin 2018

Jean-Claude LARCHET: Recension: Anton Odaysky, « “L’exploit de toute une vie”. Saint Luc de Crimée »




Anton Odaysky, « L’exploit de toute une vie ». Saint Luc de Crimée (Valentin Voïno-Iassenetski), professeur, médecin, archevêque, confesseur, collection « Patrimoine », Cerf, 2018, 300 p.

L’archevêque Luc de Crimée – appelé aussi Luc de Simféropol – (1877-1961), a été canonisé comme saint local de Crimée en 1995 et comme saint de l’Église orthodoxe russe tout entière en août 2000. C’est un saint très vénéré en Russie, mais aussi en Grèce et dans divers pays orthodoxes, où de nombreux fidèles lui sont redevables de guérisons miraculeuses accomplies après son décès en 1961 et qui continuent à se produire actuellement.

Né d'un père catholique d’origine polonaise appartenant à une famille aristocratique, Valentin Felixovitch Voïno-Iassenetski, après avoir été d’abord attiré par la peinture, entreprit des études de médecine et devint chirurgien. Il exerça pendant treize ans dans plusieurs hôpitaux de campagne, tout en entreprenant des recherches sur l’anesthésie locale à Moscou, qui aboutirent en 1916 à une thèse qui fut aussitôt primée par l’Université de Varsovie. En 1919, il fut nommé médecin-chef à l’hôpital de Tachkent et professeur d’anatomie topographique et de chirurgie opératoire à la faculté de médecine de cette ville. À la fin de l’année 1919, son épouse décéda d’une tuberculose pulmonaire. Il confia la garde de ses quatre enfants à une infirmière de son service. Pris tous les samedis et les dimanches par son activité de chirurgien, le futur évêque ne pouvait jusque-là assister que très rarement aux services liturgiques et, avoue-t-il, ne respectait guère les carêmes; mais il commença alors à fréquenter une fraternité et à assister tous les dimanches soir aux réunions sur des thèmes bibliques organisées par un prêtre de la ville de Tachkent où il résidait alors. Après une prise de parole lors de l’une de ces réunions, l’évêque du diocèse, qui était présent, lui demanda de devenir prêtre, ce qu’il accepta aussitôt. Il fut ordonné peu de temps après ; l’évêque le nomma comme quatrième prêtre de la cathédrale en le chargeant de la prédication. Il continua cependant à exercer parallèlement sa quadruple activité de médecin-chef, de chirurgien opérant jour et nuit, de professeur de médecine et de chercheur, se spécialisant dans le domaine de la chirurgie des plaies purulentes. En 1923, devant le danger représenté par le développement de « l’Église vivante », créée et soutenue par le pouvoir, il fut élevé à l’épiscopat par l’évêque Innocent de Tachkent, et ordonné en secret à Samarkand ; cette ordination fut entérinée par le patriarche Tikhon. Après avoir célébré sa première liturgie pontificale à la cathédrale de Tachkent, il fut arrêté par la Guépéou. Ce fut le début d’une période de onze ans d’emprisonnements et d’exils. Il fut tout d’abord déporté, jusqu’en 1926, dans un village perdu du cercle polaire arctique, puis de 1930 à 1933 à Arkangelsk, et enfin en 1937, en Sibérie, alors que le régime déportait plus de deux cent mille évêques et membres du clergé. La guerre survenant, il fut réquisitionné en 1941 pour exercer les fonctions de chirurgien-chef dans un hôpital d’évacuation à Krasnoïarsk, et reçut en 1943 une décoration officielle reconnaissant le « vaillant travail » qu’il y avait accompli. En 1946, il reçut le prix Staline pour le traité sur la «Chirurgie des plaies purulentes » qu’il avait mis au point au cours de onze années d’exils. La même année, il fut transféré au siège archiépiscopal de Simféropol en Crimée et bénéficia de la relative paix concédée à l’Église par l’État dans la période qui suivit la guerre. Il resta pendant quinze ans, jusqu’à son décès en 1961, l’archevêque de cette ville, dans la cathédrale de laquelle ses reliques sont conservées.

Ce qui permit à Mgr Luc de rester en vie tandis que beaucoup d’autres évêques moururent pendant cette longue période de persécutions, c’est qu’il renonça formellement, en 1933 à servir comme évêque puis refusa plusieurs fois des sièges épiscopaux vacants, ne voulant pas abandonner l’exercice de la chirurgie (à la fin de sa vie, Mgr Luc perçut cet attachement à la chirurgie comme une passion et s’en repentit). Mais il fut préservé aussi grâce à ce travail de chirurgien, réussissant des opérations particulièrement difficiles, guérissant plusieurs personnalités de maladies graves, mais aussi se rendant très populaire et s’acquérant de nombreux défenseurs auprès du grand nombre de personnes qu’il avait soignées.

Digne successeur des saints médecins anargyres, se dépensant sans compter pour opérer et soigner les nécessiteux dans les conditions les plus précaires et avec un équipement des plus sommaires, Mgr Luc fut en même temps un confesseur courageux de la foi : il donnait ses cours à l’université avec sa soutane et sa croix pectorale au mépris des interdictions administratives très strictes édictées par l’État communiste ; il refusait d’enlever l’icône qu’il avait placée dans sa salle d’opération ; lorsqu’il opérait, il priait préalablement pour patient, traçait avec l’iode le signe de la croix sur le corps de celui-ci, bénissait ses assistants et invoquant l’aide de Dieu pour que l’opération réussisse. Il bénissait publiquement toutes les personnes qui s’approchaient de lui. Il se montra prêt à s’immoler au sommet d’un amas d’icônes en feu afin d’empêcher la destruction d’une église. Il célébrait la Liturgie partout où il passait ou demeurait au cours de ses exils. Résistant à la politique antireligieuse de l’État soviétique, il ordonnait des prêtres et tonsurant des moines et des moniales. Il prenait en tant qu’évêque les décision qui s’imposaient, encourant le risque d’être persécuté, emprisonné, exilé, ce qu’il fut en effet.

Aux étapes cruciales de son existence, la Providence divine se manifesta clairement à Mgr Luc, en lui indiquant la conduite à tenir au moyen de certaines paroles de l’Écriture Sainte qu’il lisait ou entendait et qui prenaient en son for intérieur un relief particulier.

Deux ouvrages sur saint Luc ont déjà paru en français : son Autobiographie, restée inachevée, publiée au éditions du Cerf dans la collection « Le sel de la terre » en 2001 sous le titre Voyage à travers la souffrance, et le livre de l’Archimandrite Nektarios Antonopoulos, L’archevêque Lucas Voïno-Yasenetski, saint prélat et chirurgien (1877-1961), paru aux éditions Arkondariki à Athènes en 2011.Le présent ouvrage est plus complet que les précédents. Il expose de manière développée la vie du saint, jusqu’au transfert de ses reliques et au récit de miracles qui ont suivi son décès, et il comporte de nombreuses précisions sur le contexte historique et les personnalités avec lesquelles saint Luc fut en relation. L’ouvrage comporte de nombreuses photos, que malheureusement leur trop petit format rend souvent illisibles.

L’auteur, le Père Anton Odaysky, est recteur de la paroisse russe Saint-Michel-Archange de Cannes, mais aussi ingénieur informatique à Sophia Antipolis. Sa formation scientifique le rend particulièrement sensible aux travaux scientifiques de saint Luc et aux modalités de sa pratique en tant tant que chirurgien. On aurait cependant préféré que l’Annexe, consacrée à une présentation des méthodes chirurgicales de saint Luc pour soigner les maladies purulentes locales, fût remplacée par un aperçu de ses enseignements spirituels et d’extraits significatifs de ses sermons, dont 11 volumes ont paru en Russie mais qui restent totalement inconnus du public français. On reste en attente d’un livre sur saint Luc qui, au-delà du récit des événements de sa vie certes exemplaire mais désormais bien connue, mette davantage en valeur sa spiritualité.


Jean-Claude Larchet

Aucun commentaire: