Ne faire ni le mal ni le bien par la force.
*
"Le Christ est sur la croix, nu; Sur Sa tête, une
couronne d'épines; Des pointes, perçant Ses chevilles et Ses poignets,
l'attachent au bois; Son corps est plein de sang et de meurtrissures, il ne
sécrète que de la sueur et le grognement silencieux de la chair souffrante. Il
a été giflé, on a craché sur Lui, Il a été bousculé, frappé, on s’est moqué de
Lui, Il est monté au Calvaire et plus d'une fois est tombé sous le fardeau de
l'instrument de tourment. Maintenant, Il attend une agonie et une mort
honteuse, lente, atroce, sous le double signe de la moquerie et de la malédiction.
Il est entouré, sur le terreau répugnant de la colline au bord de la ville,
uniquement par des personnes hostiles et un certain nombre de curieux
indifférents, amateurs habituels d’exécutions capitales et de cruautés
publiques.
À sa droite et à sa gauche, deux autres croix, chacune
avec sa proie, deux voleurs, deux meurtriers - deux délinquants communs, de
sorte que l'humiliation puisse être encore plus infâmante. C'est l'heure du
midi, le soleil brûle, la soif - l'essence de ce mode de destruction - a
commencé à se manifester et tout n'est qu’inutilité, défaite, désespoir,
douleur, épuisement. Comme si cela ne suffisait pas, voici les scribes, les sages,
les pharisiens, les sadducéens, les hérodiens, les anciens, toute la coterie
des gagnants; Et ils secouent judicieusement leurs têtes grises; Avec pitié et
ironie, ils Le raillent, ils se moquent de Lui, ils L'invitent à descendre de
la Croix et à les convaincre; Eux, selon toutes les apparences, demandent
seulement ceci: voir et croire.
Oh non, le voleur à gauche lance ses remarques
aussi, il Le provoque, il Le ridiculise, il L'insulte. Celui de droite,
cependant, ne le fait pas: celui de droite, bien qu'il soit crucifié et
tourmenté et dans l'horrible attente, trouve le répit et le pouvoir de
réprimander celui qui est haineux et il trouve aussi l'altruisme et la
magnanimité et la noblesse pour dire des paroles apaisantes et respectueuses à
son prochain. Il ne peut pas l'aider, il ne peut pas le détacher et le retirer
de la Croix, il ne peut pas au moins changer sa terrible situation, il ne peut
pas adoucir son châtiment, il ne peut pas raccourcir son agonie, il ne peut pas
intervenir dans le déploiement implacable de la scène de crucifixion.
Rien, il ne peut rien faire d’autre que de supporter
aussi, lui-même, l'agonie, jusqu'à la fin de la nuit. Et pourtant, lui qui est
indigne et impuissant, que lui est-il donné d’entendre? "Aujourd'hui, tu seras
avec moi au Paradis."
Pourquoi cette promesse extraordinaire et totalement miraculeuse?
Pourquoi lui -coupable, condamné, lui
qui est sans pouvoir ou moyen de guérison- pourquoi lui est-il donné d'entrer
dans le Paradis avec le Maître, alors que le juste Noé, le Patriarche Abraham (Celui
qui a reçu la promesse), Moïse (celui qui a donné la loi), le Prophète Isaïe
(celui qui a proclamé la venue dans la chair du Libérateur), le roi David, tous
les prophètes et tous les hommes sages de l'antiquité, et tous les philosophes en
qui l'Esprit-Saint résidait partiellement, et le Précurseur et Baptiste Jean,
sont encore en enfer? Pourquoi cet honneur incomparable, cette Grâce sur grâce,
pourquoi cette inégalité? Aujourd'hui, comment expliquer le caractère totalement
étonnant de cette récompense? D'où cela vient-il? Aujourd'hui, avec moi, au
paradis! Il y a une urgence dans ces mots, un élan, une plénitude, une
excitation qui ne peut que susciter l'étonnement. Certains ont cherché à
comprendre en se référant à la qualité du Bon Larron, dans son partage de la
souffrance du Seigneur.
Oui, il a été rendu digne de l'honneur sans pareil
d'être soumis à la même peine que le Christ et de se trouver à quelques mètres
de la Sainte Croix dans les derniers moments de sa vie. Oui, il est naturel que
le Seigneur ait ressenti un sentiment de pitié, de sympathie et de bonne
volonté envers un compagnon de souffrance. D'autres invoquent la dignité de
l'homme, son comportement résigné et sa décence envers le Christ, par
opposition à la fureur et au blasphème de l'autre larron. Oui, il y a une dose
de vérité et de logique ici aussi. Mais cela ne me semble pas être les véritables
explications.
Quelque chose d'autre me paraît essentiel, un acte (ou mieux, une
attitude) apparemment destiné à être facilement négligé et décisif: le voleur
ne pouvait rien faire, mais il pouvait atténuer et adoucir cette atmosphère étouffante
d'ammoniaque, de mal, d'hypocrisie et de venin. C'est-à-dire, qu’il a
réconforté le Crucifié irréprochable par une bonne parole! Oui, ce simple vieux
syntagme, cette petite phrase courte, spécifique à la manière ancestrale de
parler de nos paysans, constitue l'explication la plus plausible pour la
promesse faite par le Seigneur, pour sa plénitude, son immédiateté et son urgence.
Une bonne parole - et ce fut suffisant! Comme un baume curatif, comme un remède
total, un miracle.
Ces
quelques paroles de respect, d'affection, de défense, de confiance, de
sympathie, ont soudain tout changé et transformé la sinistre terre gaste [vaine],
le fétide Golgotha, l'espace empoisonné par l'injustice, la cruauté et la
vengeance, en un coin d'humanité, une antichambre du Paradis. Aujourd'hui, avec
Moi, au Paradis: parce que toi aussi, dans ce désert (comme Mon serviteur, T. S.
Eliot, l'appellera un jour [in The Waste
Land : la terre gaste/ ou la terre vaine]) de colère et de ruse, tu as
introduit une goutte de rosée. Parce que, en regardant ta propre calamité, tu
M'as vu, tu M'as compris de manière intuitive, tu M'as reconnu et tu n’as n'as
pas hésité à prendre Mon parti, à M'adorer, à Me dire des paroles qui ont
atteint Mon âme et apporté du miel en Mon cœur, te faisant vraiment participer
à Mes souffrances. Tu ne t’es pas enfermé dans ta propre douleur, isolé dans
l'égocentrisme trop naturel d'un homme sans espoir.
Tu
ne t’es pas plaint pour toi-même, tu as pleuré pour moi. Tu as manifesté de la
compassion, de la bonté et de la douceur d'âme pour essayer de consoler et d’apaiser
ton prochain.
Par une maigre parole pitoyable, tu as transformé ce Golgotha
et toute cette tête en train de se tordre et toutes leurs «hochements de tête»,
cette odieuse mascarade de cauchemar, et cet endroit souillé en un jardin.
Comme la femme pécheresse, tu M'as oint avec l'huile précieuse de la
miséricorde et de l'attention pour l’affliction de ton prochain. Tu m'as donné
à boire - au sens figuré, et pourtant pas moins intensément - cette coupe d'eau
froide dont j'ai dit qu'elle ne resterait pas sans récompense. Et nous aussi,
nous devons également suivre l'exemple de Dismas [nom du Bon Larron, ndt) et percevoir quel prix une bonne parole
peut avoir dans certaines circonstances.
De
l’argent et de l’or, nous n’en avons pas toujours à donner, ni des objets, ni des
biens, ni pratiquement rien de spécial. Cela signifie-t-il que nous sommes
destinés à ne rien faire, à rester paralysés alors, indifférents, notre esprit
absent, comme gens de glace et de pierre? Sourds, aveugles, avec nos pensées
ailleurs? Loin, errant dans les régions de solitude fortifiée et introvertie?
En
tout temps et partout, malgré les circonstances les plus défavorables et les
plus adverses, il reste quelque chose à faire: au malheureux près de nous, on
peut dire une bonne parole. Cet acte libre et inefficace (d'un point de vue
pratique), ce «surplus», cette inutilité n'est pas une parole vide, mais bonne.
La bonne parole du Larron à droite embaume l'air empoisonné du Golgotha et,
comme la douce brise qui, sur l’Horeb, a proclamé à Élie l'approche du
Tout-Puissant, elle remplit l'âme humaine du Sauveur de paix et douceur.
Constantin
Noica [Philosophe, père du hiéromoine Raphaël de Maldon, disciple du startez
Sophrony de bienheureuse mémoire, ndt] a souligné les trésors philosophiques du
discours roumain. L'expression d'une bonne parole peut servir de guide pour
nous aider à comprendre la nature spirituelle de notre discours. Ce recours est
toujours à notre disposition: par une bonne parole, nous pouvons apporter de la
rosée à l'âme la plus désolée d'un être humain.
Ne
perdons pas, chaque fois que cela nous est offert, l'occasion d'essuyer la sueur du visage des
persécutés, comme la miséricordieuse Véronique le fit, ou de soulager l'âme d'un
crucifié par une parole de réconfort et de communion, comme le Bon Larron."
Version
française Claude Lopez-Ginisty
D’après
Daruind Vei Dobandi
(En donnant, vous recevrez),
Editura Dacia, Cluj-Napoca,
Roumanie, 1997.
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