"Dans la confusion de notre époque quand une centaine de voix contradictoires prétend parler au nom de l'Orthodoxie, il est essentiel de savoir à qui l'on peut faire confiance. Il ne suffit pas de prétendre parler au nom de l'Orthodoxie patristique, il faut être dans la pure tradition des saints Pères ... "
Père Seraphim (Rose) de bienheureuse mémoire

lundi 20 mars 2017

Père Stephen Freeman: Conséquences du faux œcuménisme



En réfléchissant à une question théologique, je m'engage souvent dans des expériences de pensée. Les Pères pourraient l'appeler une forme de theoria, mais je ne présumerai pas d'utiliser ce mot pour moi-même. Mais ce que je fais, c'est un effort concerté pour tester des hypothèses non examinées. Je regarde un ensemble différent d'hypothèses et je me demande, "Et si c'était vrai?" Le résultat à plusieurs reprises donne une impasse. Mais la connaissance des impasses peut être tout aussi utile que d'autres informations. Cependant, à l'occasion, le résultat est un véritable aperçu, même une prise de conscience qui montre que les hypothèses qui ont encombré un problème, sont en fait fausses et inutiles.

Penser dans la modernité exige de nombreuses expériences de ce genre. Car la modernité n'est pas une période de temps (même si elle prétend l'être). C'est un ensemble d'hypothèses sur le monde, sur les êtres humains, sur l'histoire, sur presque tout. Et dans presque tous les cas, tout ceci est faux. C'est une attaque contre les enseignements les plus fondamentaux du christianisme classique. J'ai écrit précédemment qu'il ne peut pas exister de "christianisme moderne". C'est aussi contradictoire que le christianisme bouddhiste ou le christianisme hindou. La modernité est sa propre religion.

Tout récemment, je me suis penché sur la question de l'Église dans la modernité. Car le monde moderne a complètement repensé la question de l'Église chrétienne, et l'état actuel des choses en est le résultat. Les chrétiens modernes en particulier, ont en grande partie perdu la capacité de penser l'Église comme "Une", afin que ceci ne soit pas une unité d'abstraction vague et nébuleuse. Cela contraste totalement avec l'unité très concrète des premiers Pères qui ont proclamé l'Eglise "Une, sainte, catholique et apostolique".


Entreprenons donc une expérience de pensée.

Imaginez-vous au quatrième siècle. Il n'y a qu'une seule Église, et cette Église est Une. Elle est unie dans la foi, l'enseignement, la pratique, la Communion, etc. Elle n'est pas parfaite (une telle chose n'a jamais existé), mais elle est Une. Si quelque chose ou quelqu'un conteste cette foi unie, l'enseignement, la pratique, la communion, etc., il est lui-même interdit de communion. Cela ne se produit pas seulement dans les grands Conciles Œcuméniques, mais dans la province de chaque évêque et de chaque synode des évêques. Les grands Conciles ne sont nécessaires que parce que l'Église est Une.

Cependant, commencez à réfléchir. Considérez comment le verset, "l'Église est la plénitude de Celui Qui remplit tout en tous" (Ephésiens 1:23) [id est le Christ], et ce que cela signifie. Dans cette expérience du quatrième siècle, vous ne pouvez pas seulement réfléchir à ce sens dans l'abstrait, mais la Coupe même que vous buvez, et tout ce que vous connaissez concrètement comme l'Eglise, y est inclus aussi. Ce n'est plus le "truc" de l'Église interchangeable avec d'autres choses. Tout dans la vie de l'Église porte cette même plénitude. Vous mangez la plénitude et vous respirez la plénitude. Quand vous pensez à l'Église, votre conscience n'est pas troublée et votre sentiment d'appartenance est inébranlable.

Nous allons poursuivre l'expérience. Considérons le mot union et ses apparentés: union, communion, participation (cela fonctionne en grec), etc. Cette union signifie un partage et une participation, mais elle porte aussi le sens du terme Un. Quand vous pensez à l'union avec Dieu (et c'est le sens de tout acte sacramentel de l'Église), vous pensez et vous comprenez l'union avec l'Eglise. Le Dieu Un est connu dans l'Église Une.

Et maintenant, revenons au présent.

La pluralité des Eglises (sic) rend impossible pour la plupart des gens de penser le concept de l'Eglise comme étant Une dans autre chose qu'un sens abstrait. "Nous sommes un seul corps", ne peut pas être dit ou pensé le plus sérieusement du monde. Et ainsi le mot même "Une" commence à subir des changements. La Communion (l'Eucharistie) n'est pas une vraie communion. Elle peut être considérée comme une sorte de relation spéciale ou d'expérience de Dieu, mais si nous pensons qu'elle inclut une véritable communion avec Son Corps, l'Église, ce sentiment d'ironie revient et la véritable Communion disparaît nécessairement.

Beaucoup, bien sûr, insistent fortement sur une sorte de réalité invisible appelée "l'Église". Mais l'Église se compose uniquement de personnes dont aucune n'est abstraite. Vous ne pouvez pas être en communion avec ceux qui ne vous considèrent pas en communion avec eux, ou alors la communion devient une forme de viol spirituel. "Nous sommes un" devient une menace ou une affirmation coercitive. Bien sûr, il est facile d'avoir communion avec des gens invisibles et imaginaires. Mais quoi que ce soit, ce n'est pas là l'Église.

Ainsi, l'union et la communion sont largement exclues du vocabulaire des chrétiens modernes. Ils sont souvent offensés par le refus de "l'hospitalité" eucharistique. Visiter une église orthodoxe pendant l'Eucharistie, c'est aussi vous entendre dire que vous n'êtes pas en communion, et que quelque chose se trouve entre vous et la Communion avec l'Église. La politesse de la plupart des groupes chrétiens contemporains crée une fausse communion, une participation à une version minimaliste de la foi, marquée par des astérisques, des avertissements, et ... de l'ironie.

Il y a également un aspect cosmique à tout cela, et des conséquences pour la façon dont nous pensons à beaucoup de choses d'une grande importance. Car l'Église Unique est aussi les prémices de la Création Unique. C'est l'œuvre unique de Dieu "rassemblant toutes choses" (Ephésiens 1:10). Ce même travail d'union qui est le "mystère caché des siècles" est obscurci dans les abstractions verbales d'une ironique unité modernisée.

Ce que nous devons arrêter et voir, c'est que les églises du monde moderne ont été dépouillées de leur héritage divin. Les chrétiens dans le monde contemporain sont simplement submergés par les divisions et la diversité des groupes religieux.

Il est tout à fait compréhensible que des théories alternatives apparaissent qui cherchent à donner un sens aux choses. La première est l'idée de l'Eglise "invisible". Cette explication, sous ses divers aspects, ne fait que regarder tout le gâchis, et elle dit que la vérité est autre chose, obscurcie par le péché humain. "Nous sommes un!" devient une affirmation qui nie nos multiples divisions. Mais en les niant, elle les relativise aussi, et rend les réalités concrètes de notre existence ecclésiastique peu importantes, car après tout, si nous sommes réellement un, alors qu'est-ce que toutes ces divisions signifient ou bien importent-elles réellement?

Plus subtile que cela, c'est ce que cette abstraction fait au sens de l'unité et de l'union. Notre culture a maintenant passé près de deux siècles à traiter l'unité chrétienne comme une notion abstraite, manifeste, tout au plus, comme amitié. Et cela a eu un effet concomitant sur le sens de l'union et de l'unité ailleurs. Le fait que notre culture puisse décrire une relation de même sexe comme une "union" en est un exemple particulièrement flagrant. Car une telle union ne peut avoir aucune véritable expression concrète. Mais notre culture, poussée par une fausse idéologie de l'unité, ne peut pas penser pourquoi une telle relation n'est pas une union. "Ils s'aiment", nous dit-on. Le sentiment dépasse la réalité.

Je cite cet exemple en partie pour démontrer combien la malformation des mots et du sens peut être dévastatrice. L'Union n'est pas quelque chose qui se réalise par une généralisation de plus en plus grande - elle est de plus en plus particulière et spécifique. En rencontrant le Christ, nous ne sommes finalement pas invités à faire quelque chose. On nous demande de faire une chose, de tout notre cœur et de notre âme: nous mourons. Et nous ne mourons pas "en général." L'amour est tout à fait spécifique et concret, ou bien il n'est rien du tout.

Et ainsi, je vous amène au point essentiel. Ce que j'écris douloureusement sur le sens de l'union et de l'Église unique ne consiste pas à discuter du statut des diverses "églises" chrétiennes. Il n'y a ni accusation, ni calomnie. Il s'agit plutôt de ramener le sens de "l'Église Une" à sa juste place, avec toute la douleur et le scandale qui y sont associés. L'Église Une est finalement trouvée dans une Coupe, et là, seulement par le vrai repentir et l'acceptation de la plénitude de la foi. Et si nous ne sommes pas là, alors au moins nous devons le dire et le crier vers Dieu. Il donne la Grâce aux humbles et résiste aux orgueilleux. Il est au-delà de l'arrogance de dire que nous sommes Un, quand nous ne le sommes pas. Il ne peut y avoir de Communion dans un mensonge, ou bien seulement une communion de mort.

Le Christ a prié pour que nous "puissions tous être Un", comme Lui et le Père sont Un. Cela ne peut pas être une notion vague et éphémère. Cela doit être réel, vrai, concret et sans ironie. Mais le Christ n'a pas prié en disant "qu'ils soient tous Un un jour..." Sa prière n'était pas l'expression d'une réalité espérée. C'est Sa propre grande prière eucharistique dans laquelle l'Église devient Une. Car ce qu'Il demande, le Père l'accorde. De même que nous prions pour que le Saint-Esprit "fasse de ce Corps le Très précieux Corps de notre Seigneur, Dieu et Sauveur Jésus-Christ", l'Eglise est devenue Une dans cette prière eucharistique du Christ Lui-même.

C'est une prière qui aura effectivement un accomplissement eschatologique: "Toutes choses seront rassemblées en une seule..." Mais en Christ, l'Eschaton est déjà venu. Nous pouvons manger et boire de ce "Un" et devenir la Vie de Ce "Un" accompli dans ce monde. Mais cela ne sera pas vrai si nous choisissons de déformer la signification même de ce mot.

Version française Claude Lopez-Ginisty
d'après
Pravoslavie.ru

Aucun commentaire: