Ce texte, fut publié en 1977. Par la Grâce de Dieu, certains des problèmes mentionnés ont disparu, mais malheureusement d'autres demeurent!
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LETTRE ADRESSÉE AU SAINT SYNODE
DE L’ÉGLISE ORTHODOXE SERBE
par le père Justin Popović
AU SUJET DE LA
CONVOCATION DU « GRAND CONCILE » DE L’ÉGLISE ORTHODOXE[1]
- Lettre au Saint-Synode de l’Église orthodoxe serbe
-
À Chambésy, près
de Genève s’est tenue récemment la « Première Conférence Préconciliaire »
(du 21 au 28 novembre 1976). Après avoir lui et examiné les actes et les décisions de cette Conférence, publiés par les soins du
« Secrétariat pour la préparation du Grand et Saint Concile
de l’Église Orthodoxe » à Genève, je ressens, selon ma conscience et en ma
qualité de membre de l’Église orthodoxe, sainte et catholique, bien qu’étant le
plus humble de ses serviteurs, l’impérieuse nécessité évangélique d’adresser
cette supplique à Votre Excellence et, par votre intermédiaire, au Saint-Synode
des Évêques de l’Église orthodoxe serbe, afin de vous faire part de mes tristes
observations, de mes douloureuses constatations et de mon anxiété quant aux
préparatifs de ce futur Concile. Je prie Votre Excellence, ainsi que les autres
Évêques, d’écouter avec un zèle évangélique et de prendre en considération ce
cri de détresse d’une conscience orthodoxe qui, Dieu soit loué, n’est
aujourd’hui ni unique, ni isolée dans le monde orthodoxe, lorsqu’il est
question de ce Concile.
1. Il ressort des
actes et décisions de cette « Première Conférence Préconciliaire »
ainsi nommée et tenue, je ne sais pourquoi, à Genève, où il n’y a pas plus que
quelques centaines de fidèles orthodoxes, qu’une nouvelle liste de thèmes pour
le futur « Grand Concile » de l’Église orthodoxe y a été préparée et
définie. Il ne s’agit plus de ce que l’on avait appelé les « Conférences
panorthodoxes », comme cela était le cas à Rhodes et par la suite, ni d’un
« Pro-Synode », comme il en était question encore récemment, mais de
la « Première Conférence Préconciliaire », qui amorce l’étape
précédant immédiatement la réunion de ce Concile Œcuménique. En outre, cette
Conférence a cessé de travailler sur la base de la « liste des
thèmes » retenue lors de la première Conférence Panorthodoxe de Rhodes en
1961 et élaborée jusqu’en 1971. Elle a effectué la « révision » de
cette liste et en a dressé une nouvelle pour le Concile. Il semble toutefois
que cette liste ne soit pas non plus définitive, mais qu’elle sera probablement
modifiée et complétée. La Conférence a également révisé la
« méthodologie » retenue jusqu’ici dans l’élaboration et la
préparation finale des thèmes du Concile : elle a raccourci tout le
« processus », en raison de la hâte évidente de certains qui désirent
tenir ce Concile le plus rapidement possible. Car, selon la déclaration
expresse du métropolite Méliton[2],
qui présidait cette Conférence, le Patriarcat de Constantinople et certaines
autres Églises encore, sont pressées de « convoquer » et de tenir ce
futur Concile, qui doit être de « courte durée » et n’examiner qu’
« un nombre limité de questions ». De plus, selon les paroles mêmes
de Méliton : « Le Concile doit
approfondir les problèmes brûlants qui empêchent le bon fonctionnement de
l’enchaînement du système (tou syneirmou tou systematos) des Églises locales
qui devraient fonctionner comme une Église orthodoxe unique… » (Actes,
p. 55). Ceci nous amène à nous poser cette question : Que signifie tout
cela, pourquoi cette hâte, et où mène-t-elle ?
2. La question de
la préparation et de la réunion d’un nouveau « Concile Œcuménique »
de l’Église orthodoxe n’est ni nouvelle, ni récente, dans ce siècle de
l’histoire de l’Église qui est le nôtre. Cette question fut déjà soulevée du
temps du malheureux patriarche de Constantinople Mélèce Metaxakis, célèbre et
présomptueux moderniste, réformateur et créateur de schismes au sein de
l’Orthodoxie lors du prétendu « Congrès panorthodoxe » de
Constantinople en 1923[3]
(il avait été alors proposé de réunir le Concile à Niš, en Yougoslavie, en
1925 ; mais Niš n’est pas situé « sur le territoire du Patriarcat
Œcuménique » et le Concile n’a pas eu lieu, probablement pour cette
raison). Il semble que Constantinople se soit approprié, en général, le
monopole de tout ce qui est « panorthodoxe » :
« Congrès », « Conférences », « Pro-synodes »,
« Conciles ». Ensuite, en 1930, la « Commission Préparatoire des
Églises orthodoxes » se réunit au monastère athonite de Vatopaidi, où elle
définit la « liste des thèmes du futur Pro-synode orthodoxe », lequel
aurait dû aboutir ultérieurement à la convocation du Concile Œcuménique[4].
Après la seconde
guerre mondiale, ce fut l’avènement du Patriarche de Constantinople Athénagoras
avec ses « Conférences panorthodoxes » de Rhodes (encore une fois
exclusivement sur le territoire du Patriarcat de Constantinople). La première
d’entre elles, en 1961, a donné le départ aux préparatifs du « Concile
panorthodoxe », qui devait être précédé d’un « Pro-synode ».
Elle confirma le fameux « agenda » du « Pro-synode »,
préparé à l’avance par Constantinople : huit grand chapitres, environ
quarante thèmes principaux et deux fois de paragraphes et de sous-paragraphes[5].
Après la deuxième et la troisième conférence de Rhodes (1963 et 1964), eut lieu
la « Conférence de Belgrade » en 1966. Appelée d’abord
« Quatrième Conférence Panorthodoxe » (cf. Glasnik, revue officielle du Patriarcat de Serbie, N°10/66, ainsi
que les documents publiés en grec, qui lui donnèrent le même nom). Cette
conférence fut reléguée ensuite au rang de « Commission
Inter-orthodoxe », afin que la conférence suivante, convoquée sur le
« territoire » de Constantinople (au centre orthodoxe du Patriarcat
Œcuménique, à Genève-Chambésy) en 1968 fût proclamée « Quatrième
Conférence Panorthodoxe ». Les organisateurs de cette conférence, à
l’évidence impatients, se hâtèrent d’abréger le chemin restant à parcourir
jusqu’au Concile et ne retinrent que les six premiers « thèmes » de
la liste considérable de Rhodes (qui était pourtant leur création et non celle
de quelqu’un d’autre) et définirent une nouvelle « procédure » de
travail. Un nouvel organisme fut formé à cette occasion, la « Commission
Préparatoire Inter-orthodoxe », ayant pour mission de
« coordonner » le travail à effectuer sur les différents thèmes.
C’est alors que fut ouvert le « Secrétariat pour la préparation du
Concile » ; ce fut en réalité la nomination d’un évêque de
Constantinople, avec pour résidence le centre susmentionné, tandis que les
propositions tendant à affecter d’autres membres orthodoxes à ce Secrétariat étaient
rejetées. Selon le souhait de Constantinople, cette « Commission
préparatoire » et ce « Secrétariat » se réunirent au mois de
juin 1971, dans ce même centre de Genève. À cette occasion furent examinés et
« conciliés » entre eux les rapports présentés sur les six thèmes en
question, qui ont ensuite été publiés en plusieurs langues, mais qui ont subi,
comme du reste tous les travaux précédents de préparation du Concile, une
critique sans merci des théologiens orthodoxes. Lesdites critiques (parmi
lesquelles je rappelle mon mémorandum, adressé en son temps par Votre
Excellence, et avec Votre soutien, au Saint-Synode de l’Église Orthodoxe Serbe,
mémorandum qui reçut ensuite le soutien de nombreux théologiens et qui fut
publié en plusieurs langues dans le monde orthodoxe[6]
ont probablement fait que la décision de la « Commission
Préparatoire » de Genève au sujet de la convocation de la « Première
Conférence préconciliaire » en 1972, dans le but d’effectuer la
« révision » (anatheorisis)
de la liste des thèmes établie à Rhodes, n’ait pas été réalisée dans les délais
prévus, mais avec un retard important.
Ce n’est qu’en
novembre 1976 qu’aura lieu cette « Première Conférence Préconciliaire »,
cela va de soi, sur le « terrain » de Constantinople, à Genève-Chambésy.
Ainsi qu’il apparaît de ces actes et
décisions publiés récemment, que
j’ai étudiés, cette Conférence a « révisé » la liste de Rhodes, de la
façon suivante : les délégations participant par l’intermédiaire de leurs
commissions n’ont retenu que dix thèmes pour le Concile (dont trois seulement
des six qui avaient été primitivement choisis !), tandis que trente autres
thèmes, non retenus à l’unanimité, ont été adressés « à certaines Églises
en vue de leur étude spécifique », en tant que « problématique de
l’Église orthodoxe » (en réalité, complètement étrangère à l’Orthodoxie),
ces thèmes pouvant par la suite faire l’objet d’un « examen
orthodoxe » et éventuellement être introduits sur la liste. Comme nous
l’avons dit, cette Conférence a modifié le « processus » et la
« méthodologie » de l’étude des thèmes et des préparatifs du
Concile ; les organisateurs constantinopolitains et certains autres ont,
je le répète, insisté pour que ce Concile soit convoqué « le plus rapidement
possible ». Il est évident pour tout orthodoxe que cette « Première
Conférence Préconciliaire » n’a rien apporté de nouveau ni d’essentiel,
mais qu’elle introduit de nombreuses âmes et consciences orthodoxes dans les
labyrinthes de plus en plus complexes où les entraînent les ambitions de
certains, en raison desquelles, semble-t-il, on prépare depuis 1923 le Concile
Œcuménique, auquel aujourd’hui on travaille avec tant de hâte.
3. Toute cette
« problématique » actuelle au sujet des thèmes du futur Concile,
l’incertitude et le changement dans leur choix, leur définition, leur « thématisation »
artificielle, leur modification et leur rédaction successives, tout cela
n’indique pour toute conscience véritablement orthodoxe qu’une seule
chose : à savoir qu’il n’existe, à l’heure actuelle, aucun thème réel et
urgent nécessitant la convocation d’un nouveau Concile œcuménique de l’Église
orthodoxe. Si, cependant, il existe un thème méritant de faire l’objet de la
convocation et de la réunion d’un Concile œcuménique, les organisateurs de toutes
ces « Conférences » et les rédacteurs de ces « listes »
récentes et précédentes n’en sont alors absolument pas conscients. Car, s’il en
était autrement, comment expliquer que, depuis la Réunion de Rhodes en 1961
jusqu’à celle de Genève en 1976, la « thématique » et la
« problématique » de ce futur Concile aient constamment été
modifiées ? On modifie leur nombre, l’ordre du jour, le contenu et même le
critère de la « liste des thèmes » qui doivent faire l’objet de l’étude
d’un corps ecclésial aussi important et aussi exceptionnel que furent et que
doivent être tous les saints Conciles Œcuméniques de l’Église orthodoxe !
En fait, tout ceci manifeste et démontre non pas seulement une simple
inconséquence, mais surtout l’incapacité évidente ainsi que la méconnaissance
de l’Orthodoxie de la part de ceux qui, en ce moment, dans une telle situation
et de cette façon, imposent aux Églises orthodoxes leur « Concile »,
leur ignorance et leur incapacité de ressentir et de comprendre ce qu’a
signifié et ce que signifie toujours un Concile œcuménique véritable pour
l’Église orthodoxe et pour la plénitude de ses fidèles en Christ. Car, s’ils le
ressentaient et s’ils le comprenaient, ils sauraient tout d’abord que dans
l’histoire et dans la vie de l’Église orthodoxe, aucun Concile, et d’autant
plus l’événement exceptionnellement pneumatophore que constitue un Concile Œcuménique, n’a jamais
recherché artificiellement et inventé des thèmes pour ses travaux et ses
sessions ; qu’il n’a de plus jamais été convoqué au préalable de telles
« conférences », « congrès », « pro-synodes » et
autres réunions factices, complètement étrangères à la tradition conciliaire de l’Orthodoxie qui les
ignore, et qui sont copiées sur les organisations occidentales étrangères à
l’Église du Christ. La réalité historique est évidente : les saints
Conciles convoqués par la volonté de Dieu avaient toujours pour objet un seul
ou, tout au plus, deux ou trois problèmes d’une actualité brûlante, posés par
les grandes hérésies et les schismes qui altéraient la vraie foi, déchiraient
l’Église et mettaient sérieusement en danger le salut des âmes humaines, le
salut du peuple orthodoxe de Dieu et de toute la création Divine. C’est
pourquoi les Conciles œcuméniques avaient toujours un caractère christologique,
sotériologique, ecclésiologique, ce qui signifie que leur thème central, leur
message unique, évangélique et suprême, a toujours été : Jésus-Christ le
Dieu-homme et notre salut en Lui, notre déification en Lui. Oui, oui, oui, Lui,
le Fils Unique de Dieu, Consubstantiel et Incarné, Lui qui est tout entier dans
le Corps de l’Église, Lui qui est la Tête éternelle du Corps de l’Église, pour le salut et la déification de l’homme,
Lui qui est tout entier dans l’Église par la grâce du Saint-Esprit et par la
vraie foi en Lui, la Foi orthodoxe.
C’est là la
thématique véritablement orthodoxe, apostolique et patristique, la thématique
immortelle de l’Église du Dieu-homme incarné, pour tous les temps, passé,
présent et futur. Seule cette thématique peut faire l’objet d’un éventuel
Concile Œcuménique à venir de l’Église orthodoxe, et non pas une « liste
de thèmes » scolastico-protestante, qui n’a aucun rapport substantiel avec
l’expérience et la vie spirituelle de l’Orthodoxie apostolique à travers les
siècles, mais qui n’est en réalité qu’une série de théories anémiques
humanistes. La catholicité éternelle de l’Église orthodoxe et de tous ses
Conciles Œcuméniques réside dans la Personne du Dieu-homme Christ, qui renferme
toutes choses, avec ce thème et cette réalité orthodoxes, avec ce mystère et
cette réalité uniques du Dieu-homme, sur lesquelles est bâtie et vit l’Église
orthodoxe du Christ et tous ses Conciles Œcuméniques, qu’il convient de se
présenter devant la terre et le ciel, et non pas avec les thèmes scolastico-protestants
que soumettent les « délégués » et les « délégations »
ecclésiastiques de Constantinople et de Moscou qui, en ce moment critique et
pénible de l’histoire, se posent en « meneurs » et en
« représentants » de l’Église orthodoxe dans le monde.
4. Dans les actes de
la dernière « Conférence Préconciliaire » de Genève, comme ceux des
réunions similaires antérieures, il
apparaît clairement que la « délégation ecclésiastique » de
Constantinople ne diffère guère de celle de -, en ce qui concerne la
problématique et les thèmes qu’elles proposent respectivement comme objet des
travaux du futur Concile. Elles ont les mêmes thèmes, presque le même langage,
la même mentalité, des ambitions semblables. Mais cela n’est pas étonnant. Car
en fait, qui « représentent-elles ? » Quelle est l’Église et
quel est le peuple de Dieu qu’elles représentent en ce moment, l’une et
l’autre ? La hiérarchie de Constantinople, lors de presque toutes ces
réunions panorthodoxes, est composée principalement de métropolites et
d’évêques titulaires, donc de pasteurs sans ouailles et sans responsabilité
pastorale concrète devant Dieu et devant les fidèles ; qui
représente-t-elle et qui représentera-t-elle au futur Concile ? Parmi les
représentants officiels du Patriarcat Œcuménique de Constantinople ne figurent
même pas les hiérarques des Îles grecques, où vit un véritable troupeau de
fidèles orthodoxes, ni les hiérarques des diocèses grecs d’Europe et
d’Amérique, sans parler des autres évêques orthodoxes : russes,
américains, japonais, noirs africains, qui ont derrière eux de nombreux fidèles
orthodoxes et des théologiens confirmés. D’autre part, les délégations
actuelles du Patriarcat de Moscou représentent-elles réellement la Sainte et Grande
Église russe avec ses millions de martyrs et de confesseurs de la foi que Dieu
seul connaît ? Il ressort de ce que déclarent et soutiennent ces
« délégations » lorsqu’elles sortent d’Union soviétique, qu’elles ne
portent pas le véritable esprit, ni n’expriment la véritable position de
l’Église orthodoxe russe et de ses fidèles ouailles orthodoxes car, le plus
souvent, ces « délégations » obéissent à César plutôt qu’à Dieu,
tandis que l’Évangile nous enseigne d’obéir
à Dieu plutôt qu’aux hommes (Actes V, 29).
Au demeurant, une
telle « représentation » des Églises orthodoxes aux réunions
panorthodoxes de Rhodes et de Genève est-elle vainement juste et orthodoxe ?
Les initiateurs constantinopolitains de ce principe de
« représentation » des Églises orthodoxes au Concile, et ceux qui
acceptent un tel principe qui, selon leur théorie, est conforme au
« système de l’autocéphalie et de l’autonomie » des Églises locales,
ont oublié qu’un tel principe est en fait contraire à la tradition conciliaire de l’Orthodoxie. Ce principe de
« représentation » a malheureusement été accepté par les autres
représentants orthodoxes, par certains en silence, par d’autres à la suite de
vaines protestations, oubliant ainsi que l’Église orthodoxe, de par sa nature
et sa structure dogmatiquement immuable, est épiscopale et centrée sur
l’évêque. Car l’évêque et l’ensemble des fidèles autour de lui sont
l’expression et la manifestation de l’Église en tant que Corps du Christ, particulièrement dans la sainte Liturgie :
l’Église n’est apostolique et catholique que par les évêques qui sont à la tête
des communautés ecclésiales vivantes – les évêchés. Cependant, les autres
formes de l’organisation ecclésiale de l’Église orthodoxe qui ont été créées au
cours de l’histoire et qui, par conséquent, peuvent changer, telles que
métropoles, archevêchés, patriarcats, pentarchie, autocéphalie, autonomie, et
autres, dans la mesure où elles ont existé et où il en existera, n’ont pas et
ne peuvent avoir d’importance et de pouvoir décisifs dans le système conciliaire de l’Église orthodoxe. De
surcroît, elles peuvent même constituer un empêchement au bon fonctionnement de
la concilia rite, si elles repoussent et refoulent le caractère et la structure
épiscopale de l’Église et des Églises. Sans aucun doute, c’est là principale
différence entre l’ecclésiologie orthodoxe et l’ecclésiologie papale.
S’il en est ainsi,
comment pourront alors être représentées par le principe des
« délégations », c’est-à-dire par un nombre identique de
« délégués », l’Église tchèque et l’Église roumaine, par
exemple ? Ou même : l’Église russe et l’Église de
Constantinople ? Quels fidèles représentent les uns et quels fidèles représentent
les autres ? Ces derniers temps, le Patriarcat de Constantinople a ordonné
un grand nombre d’évêques et de métropolites, dans la plupart des cas
titulaires et fictifs. Ce sont probablement là des préparatifs en vue
d’assurer, par le nombre des titres, la majorité des voix pour les ambitions
néo-papistes du Patriarcat de Constantinople au futur « Concile
Œcuménique ». D’autre part, les Églises zélées dans leur mission
apostolique, telles que la Métropole américaine, l’Église russe hors-frontières,
l’Église japonaise et d’autres, n’auront pas un seul représentant !
Est-ce là la Concilia
rite de l’Orthodoxie ? Que sera ce Concile Œcuménique de l’Église
orthodoxe du Christ ? Déjà au cours de cette conférence de Genève, le
métropolite Ignace de Lattaquié, représentant le Patriarcat d’Antioche, a
constaté avec douleur : « Je ressens une certaine inquiétude, car on
porte atteinte à l’expérience conciliaire (to synodikon vioma) qui constitue le
fondement de l’Église orthodoxe ».
5. Malgré cela,
Constantinople et certains autres ont hâte de convoquer un tel Concile, et
c’est surtout à leur incitation et sur leur insistance que cette
« Première Conférence Préconciliaire » décidera « que le Concile
soit convoqué le plus rapidement possible », qu’il « soit de courte
durée » et qu’il « prenne en considération un nombre limité de
thèmes ». Les dix thèmes votés sont ensuite cités, les quatre premiers
étant : la diaspora, l’autocéphalie et les conditions de sa
proclamation, et les diptyques,
c’est-à-dire l’ordre dans les Églises orthodoxes.
En outre,
l’objectivité évangélique nous oblige à remarquer que la conduite du
métropolite Méliton, qui présidait cette « Conférence Préconciliaire »,
a été despotique et non-conciliaire. Cela ressort à chaque page des Actes publiés
de cette Conférence. Il y est dit clairement et de façon péremptoire :
« Ce saint et grand Concile de l’Église orthodoxe ne doit pas être
considéré comme l’unique concile qui exclurait la convocation d’autres saints
et grands Conciles » (Actes, pp. 18, 20, 50, 55 et 60).
Au sujet de tout cela
et à cause de tout cela, à une conscience évangéliquement vigilante se pose une
question brûlante : que veut-on en fait par ce Concile convoqué à la hâte
et ainsi « mis en scène » ?
Excellences, je
ne peux me libérer de l’impression et de la conviction que derrière tout cela
se cache le seul et unique désir des personnalités connues de l’actuel
Patriarcat de Constantinople, à savoir que ce Patriarcat, qui a la primauté
d’honneur dans l’Orthodoxie, cherche à imposer définitivement ses conceptions
et sa conduite aux Églises orthodoxes autocéphales et, en général, au monde
orthodoxe, ainsi qu’à toute la diaspora orthodoxe, en sanctionnant sa
domination néo-papiste par un « Concile œcuménique ». C’est pourquoi,
parmi les dix sujets choisis pour le Concile, les quatre premiers sont
justement ceux qui dévoilent le désir de Constantinople de soumettre à sa
domination toute la diaspora orthodoxe – et ceci veut dire le monde entier – et
de se réserver le droit exclusif d’accorder l’autocéphalie et l’autonomie
à toutes les Églises orthodoxes du monde en général, actuelles et futures, leur
accordant par la même occasion l’ordre et le rang de son choix (c’est là justement la question des diptyques, qui ne signifie pas
seulement « l’ordre de la commémoration au cours de la Liturgie »,
mais également l’ordre des Églises dans les Conciles, etc.).
Je m’incline
devant les mérites séculaires de l’Église de Constantinople et devant la croix qu’elle porte aujourd’hui, qui
n’est ni légère, ni facile à porter et qui, de par la nature même des choses,
est la croix de toute l’Église, comme le dit l’Apôtre : « Un membre
souffre-t-il ? Tous les membres souffrent avec lui ». De même, je
connais et je reconnais l’ordre canonique et la primauté d’honneur (ta presveia
tis timis) de Constantinople parmi les Églises orthodoxes locales, égales en
droits et en honneur. Mais il serait contraire à l’Évangile de permettre à
Constantinople, à cause des difficultés dans lesquelles elle se débat
actuellement, de pousser toute l’Orthodoxie au bord de l’abîme, comme cela
s’est déjà produit une fois, lors du pseudo-concile de Florence – ou bien
d’entériner canoniquement et dogmatiquement certaines formes historiques qui, à
un moment donné, pourraient, au lieu d’être des ailes, devenir des chaînes pour
l’Église et sa présence transfiguratrice dans le monde. Soyons sincères :
on ressent dans la conduite des représentants du Patriarcat de Constantinople
de ces dernières décennies la même inquiétude malsaine et le même état d’esprit
spirituellement maladif qui, au XVème siècle, ont conduit l’Église à la
trahison et à la honte de Florence. De même, la ligne de conduite de l’époque
de la domination turque serait-elle un modèle pour tous les temps ?
L’époque de Florence et de la domination turque fut périlleuse pour
l’Orthodoxie. Aujourd’hui, la situation est encore plus dangereuse. En effet, à
cette époque, Constantinople était un organisme vivant, avec plusieurs millions
de fidèles, qui surmonta rapidement une crise imposée de l’extérieur, ainsi que
la tentation de sacrifier la Foi et le Royaume de Dieu au royaume terrestre.
Aujourd’hui, en revanche, Constantinople a des métropolites sans fidèles, des
évêques qui n’ont personne à surveiller (epi-skopos : celui qui inspecte,
examine) et qui, comme tels, voudraient encore tenir entre leurs mains la
destinée de toute l’Église ! Aujourd’hui, il ne peut et il ne doit y avoir
de Florence, d’aucune sorte. On ne peut non plus comparer l’époque actuelle à
l’époque difficile de la domination turque. Il en est de même avec le
Patriarcat de Moscou. Pourrait-on permettre que ses difficultés, ainsi que les
difficultés des autres Églises locales se trouvant sous le joug du communisme
athée, déterminent l’avenir de l’Orthodoxie ?
La destinée de
l’Église n’est plus et ne peut plus être entre les mains d’un empereur ou d’un
patriarche byzantin ou de quelque puissant de ce monde que ce soit, ni même
entre les mains de la « Pentarchie » ou des
« autocéphalies » étroitement comprises. Par la puissance de Dieu,
l’Église se ramifie en un grand nombre d’Églises de Dieu locales avec des
millions de fidèles, parmi lesquels nombreux sont ceux qui, de nos jours, ont
scellé de leur sang leur apostolicité et leur fidélité à l’Agneau. À l’horizon
sont apparues de nouvelles églises
locales, telles que les Églises japonaise, africaine, américaine, qu’aucune
« super-Église » de type papal ne peut priver de leur liberté dans le Seigneur (cf. 8ème
canon du IIIème Concile Œcuménique), car ce serait là porter atteinte à
l’essence même de l’Église. Sans toutes ces Églises locales, il est impensable
de résoudre quelque problème ecclésial sérieux et d’importance panorthodoxe que
ce soit, d’autant plus le problème qui concerne directement, à savoir celui de
la diaspora. La lutte séculaire de l’Orthodoxie contre l’absolutisme romain fut
une lutte pour la liberté de
l’Église locale en tant que catholique, c’est-à-dire entière, totale, possédant
la plénitude. Nous engagerions-nous aujourd’hui sur la voie de la Rome déchue,
ou sur celle d’une « deuxième » ou « troisième » Rome
semblables à la première ? Constantinople qui, au cours des glorieux
siècles passés, s’est opposée avec une attitude si orthodoxe, en la personne de
ses saints et grand hiérarques, de son clergé et de son peuple, à la tutelle et
à l’absolutisme du Pape de Rome, souhaite-t-elle aujourd’hui ignorer les
traditions conciliaires de
l’Orthodoxie pour les remplacer par les succédanés néo-papistes de la
« deuxième », de la « troisième » ou de je ne sais quelles
Rome ?
6. Excellences,
nous tous orthodoxes ressentons et comprenons à quel point la question de la
diaspora orthodoxe est importante aujourd’hui pour toute l’Église orthodoxe en
général, et pour chacune des Églises orthodoxes en particulier. Cette question
peut-elle être résolue, comme le veulent Constantinople ou Moscou, sans
consultation et sans participation du peuple croyant orthodoxe, de la
hiérarchie, des pasteurs et des théologiens de cette même diaspora qui
s’accroît de jour en jour ? Il n’y a pas de doute, le problème de la
diaspora orthodoxe revêt une importance toute exceptionnelle et il se pose pour
la première fois dans l’histoire de l’Église avec une acuité telle qu’il serait
vraiment nécessaire de convoquer à ce sujet un Concile véritablement œcuménique de tous les évêques orthodoxes, mais
vraiment de tous les évêques orthodoxes de toutes les Églises orthodoxes. Un
deuxième problème que devrait traiter aujourd’hui un Concile véritablement
œcuménique de l’Église orthodoxe est, à notre avis et à notre sens, le problème
de « l’œcuménisme ». Ce
serait, en fait, un problème ecclésiologique, c’est-à-dire le problème de
l’Église en tant qu’organisme divino-humain seul et unique qui, comme tel, est
mis en doute par le syncrétisme œcuménique contemporain. À ceci est également
lié le problème de l’homme, auquel
le nihilisme des idéologies contemporaines, et particulièrement celui des
idéologies athées, creusent une tombe sans salut. Ces deux problèmes ne peuvent
trouver une solution juste et orthodoxe que sur la base de la thématique
divino-humaine des anciens et véritables Conciles Œcuméniques. Toutefois, je
laisse de côté cette question pour l’instant, afin de ne pas surcharger la
présente supplique par un nouveau problème et de ne pas l’étendre démesurément.
Au demeurant,
bien que le problème de la diaspora soit très important et douloureux pour
l’Orthodoxie d’aujourd’hui, les conditions existent-elles pour réunir un
Concile qui apporterait à ce problème une solution juste, orthodoxe et conforme
à l’enseignement des Pères de l’Église ? Toutes les Églises orthodoxes
sont-elle en mesure d’être représentées librement, sans pression aucune, et
d’être réellement présentes au Concile Œcuménique[7].
Les représentants de nombre d’entre elles, et particulièrement de celles qui se
trouvent sous le joug athée, sont-ils vraiment libres d’exposer et de défendre
des positions orthodoxes ? Une Église qui renie ses Martyrs, peut-elle
être le témoin fidèle de la Croix du
Golgotha et peut-elle porter l’esprit et la conscience catholique de l’Église
du Christ ? Avant que n’ait lieu le Concile, il convient de se poser la
question de savoir si la conscience de millions de néomartyrs blanchis par le
sang de l’Agneau pourra s’y exprimer. La réalité historique en témoigne :
chaque fois que l’Église était sur la croix, chacun de ses membres était appelé
à témoigner de la Vérité et non à discuter de problèmes imaginaires ou à
résoudre sur un principe faux des problèmes réels, « pêchant en eau
trouble » en vue de réaliser certaines ambitions. Ne faudrait-il pas
réfléchir à ce fait : tant que l’Église était persécutée, il n’y avait pas
de Conciles Œcuméniques, ce qui ne veut pas dire que l’Église de Dieu
n’agissait pas et ne vivait pas alors conciliaire ment. Ce fut même sa période
la plus riche et la plus fructueuse. Plus tard, lorsque se réunit le Premier
Concile Œcuménique, les évêques martyrs, couverts de plaies et de cicatrices,
éprouvés par le feu de la souffrance, purent y venir et y témoigner librement
du Christ, comme de leur Seigneur et Dieu. Leur esprit se manifestera-t-il
cette fois-ci, autrement dit, les évêques contemporains qui leur sont
semblables, pourront-ils avoir la parole au Concile prévu, pour que le Concile
pense vraiment dans l’Esprit Saint et parle et décide en Dieu, ou bien la
parole appartiendra-t-elle à eux qui ne sont pas libres des forces de ce monde
et de ce siècle ? Prenons, par exemple, le groupe des évêques de l’Église
russe hors-frontières qui, malgré toutes leurs faiblesses humaines, portent sur
eux les plaies de leur Seigneur et de l’Église russe, fuyant dans le
« désert » des persécutions qui ne sont en rien inférieures à celles
de Dioclétien : ils sont à l’avance exclus de toute participation au
Concile par Moscou et par Constantinople et, de ce fait, sont condamnés au
silence. Ou bien les évêques de Russie et d’autres pays officiellement athées,
qui ne pourront ni participer, ni parler, ni décider librement au cours de ce
Concile. Ne parlons même pas des possibilités dont disposent ces évêques et
leurs Églises pour se préparer convenablement à un événement aussi grand et
aussi important. Cela indique clairement que la conscience martyre de l’Église
ainsi que celle du plérôme ecclésial ne pourront pas s’exprimer à ce Concile,
mais que l’accès de celui-ci leur sera rendu impossible, de la même façon que
l’on a interdit la présence d’un témoin exceptionnel de cette conscience à
l’assemblée de Nairobi (je pense à Soljénitsyne).
À un moment où le
Seigneur Jésus-Christ et la Foi en Lui sont crucifiés sur une croix plus
terrible que toutes les précédentes, laissons de côté la question de savoir à
quel point il est normal que Ses disciples cherchent à déterminer lequel
d’entre eux sera le premier et, au moment ou Satan convoite non seulement le
corps, mais aussi l’âme de l’homme et du monde, alors que l’homme est menacé d’autodestruction,
que les disciples du Christ se préoccupent des mêmes problèmes, et cela de la
même manière, que les idéologies anti-chrétiennes contemporaines, qui vendent
le Pain de Vie pour un plat de lentilles ?
7.
Douloureusement conscient de ce qui précède, ainsi que de la situation de
l’Église orthodoxe contemporaine et de l’état du monde en général, qui ne s’est
pas essentiellement modifié depuis ma première supplique au Saint-Synode (en
mai 1971), je suis contraint par ma conscience d’adresser ce nouveau cet appel
et ce cri de détresse filial au Synode des Evêques de l’Église orthodoxe serbe
martyre : que notre Église serbe s’abstienne de participer aux préparatifs
du soi-disant « Concile Œcuménique » et surtout au
« Concile » lui-même. Car si un tel Concile avait lieu – que Dieu
nous en garde – on n’en peut attendre que schismes, hérésies, et la perte
d’âmes innombrables. Vu dans la perspective de l’expérience apostolique et
historique que nous ont transmise les Pères de l’Église, un tel Concile, au
lieu de guérir, ouvrira de nouvelles plaies sur le corps de l’Église et lui
occasionnera de nouveaux problèmes et de nouvelles souffrances.
Je me recommande
aux saintes prières apostoliques des Pères du Saint-Synode des Évêques de
l’Église orthodoxe serbe.
En la veille de
la fête de St Georges 1977
[1]
La présente traduction est parue dans le supplément au N°88 du
« Messager » de l’Église orthodoxe russe hors-frontières, à Genève.
[2]
Il s’agit du métropolite de Chalcédoine Méliton (Khatzis, + 1989) (ndt).
[3]
Les actes de ce Congrès ont été publiés en grec : Actes et décisions du
Congrès panorthodoxe de Constantinople (10 mai – 8 juin 1923). Constantinople,
1923.
[4]
Egalement publié en grec : Actes de la Commission Préparatoire des Saintes
Églises Orthodoxes, tenue au saint monastère de Vatopaidi, sur le Mont Athos
(8-23 juin 1930), Constantinople 1930.
[5]
Il ressort des Actes de la Première
Conférence de Rhodes publiés par le Patriarcat Œcuménique en grec, en 1967,
que cette liste avait été préparée à l’avance par la Commission des théologiens
de Constantinople et approuvée par le Synode de cette Église.
[6]
La traduction grecque de notre mémorandum de 1971 a été publiée dans diverses
revues à Athènes et dans une brochure tirée à part ; la traduction russe
est parue dans Le Messager de l’A.C.E.R. N°100,
Paris, et la traduction française dans Contacts
N°76, Paris 1971, et dans Le Messager de l’E.R.H.F. N°63, Genève 1971.
[7]
Ne voyons-nous que les « délégations » et les
« représentations » de certaines Églises orthodoxes aux Conférences
tenues jusqu’à présent, sont très souvent composées de politiciens, de
diplomates, de non-théologiens, tandis que les véritables représentants de ces
Églises en sont absents ? Il faut encore constater le fait suivant :
si les Églises orthodoxes qui envoient de telles délégations ont accepté en
silence les décisions de ces conférences, cela ne signifie pas qu’elles soient
entièrement d’accord avec celles-ci, mais que, malgré cela, elles se taisent
et, ceci est l’essentiel, leur plérôme, le clergé et le peuple, demeurent
silencieux.
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