-Staretz, nombreux sont ceux qui nous disent: "Vous vivez au paradis".
Eh bien, vous feriez mieux de dire une prière pour ne pas perdre l'autre paradis... [id est celui du Ciel]. Je serais consolé, si les laïcs étaient impressionnés par votre développement spirituel, sans que vous ne vous en aperceviez (à cause de votre progrès spirituel) et sans vous forcer pour cela, mais plutôt, cela devrait arriver seul - naturellement et en interne. Essayez de ne pas vous perdre vous-mêmes dans des questions perdues, de sorte que vous ne perdiez pas le Christ. Autant que possible, essayez d'atteindre une conscience monastique. Vivez spirituellement comme des moniales, n'oubliez pas le Christ, afin qu'Il se souvienne de vous. Je n'ai pas l'intention de vous affliger - seulement de vous aider, de vous soutenir. Essayez de distinguer l'esprit séculier qui, quand il pénètre dans le monachisme attriste le Christ Lui-même, et rejetez-le comme un esprit étranger.
Malheureusement, l'esprit du monde séculier est également entré dans de nombreux monastères, parce que certains Pères de notre temps canalisent le monachisme dans un canal séculier, et les âmes ne sont pas guidées vers l'esprit de grâce patristique. Je vois un esprit anti-patristique qui prévaut dans les monastères de nos jours; ils n'acceptent pas ce qui est bon et patristique, c'est-à-dire qu'ils ne vivent pas patristiquement, mais au lieu de cela, ils abaissent toutes leurs élévations spirituelles faites au nom de l'obéissance et du retrait de sa volonté personnelle, et ils obéissent à leurs volontés séculières respectives. De cette façon, ils ne font plus aucun progrès, parce qu'ils ont invité la tentation - l'esprit séculier - à partager leur cellule cénobitique. Nous n'avons pas le droit d'interpréter les commandements de Dieu de la manière qui nous plaît, nous n'avons pas non plus le droit de présenter le monachisme comme nous le voulons. C'est une chose de reconnaître nos faiblesses et de demander humblement la miséricorde de Dieu, mais pour moi, le plus grand mal est qu'il y a ceux qui considèrent l'esprit séculier comme un "progrès", alors qu'ils devraient le percevoir comme une chute et devraient le vomir afin d'être spirituellement purifiés, pour que l'Esprit Saint vienne rapidement. C'est l'Esprit Saint qui sanctifie, informe et soutient les âmes.
Il y a aussi ceux qui disent: "Nous devons présenter notre culture". Quelle culture devrions-nous présenter? La culture séculière? Normalement, nous devrions présenter notre culture spirituelle, notre progrès spirituel. Où est notre progrès spirituel? Nous ne devrions pas dépasser les laïcs dans le progrès profane. Les laïcs sont tourmentés par le progrès séculaire, les moines encore plus! Nous avons besoin de courir beaucoup plus vite "spirituellement", afin que les séculiers puissent également faire quelque chose. Même si nous faisons ce qu'un laïc très spirituel fait, même cela ne sera d'aucune aide, parce que les gens n'auront qu'un laïc très spirituel comme exemple. Nous avons besoin de les surpasser. Un moine ne devrait pas avoir ces progrès séculiers comme objectif. Ce serait insulter le monachisme. Un moine qui pense d'une manière séculière a manifestement perdu son chemin; bien qu'il se soit engagé pour le Christ, son âme se tourne vers le monde. Avec le développement séculier -qui est considéré comme un progrès- le monachisme est conduit à la décomposition spirituelle. Il y a tant de choses qui ont été perdues dans le monachisme aussi - de la même manière que dans le monde, quand l'honneur et le respect sont perdus et sont considérés comme de simples conventions! C'est pourquoi je sens que je vais exploser! J'ai envie de partir pour la montagne! Quand une personne n'a pas vécu quelque chose de sublime, elle ne se soucie pas tant de la vie spirituelle qu'elle mène à sa manière propre. Mais pour celui qui est forcé de vivre de cette manière, avez-vous une idée du genre de torture que c'est? Si le Christ devait me rendre digne de vivre la vie que je veux vivre - dans l'isolement - et de mourir bravement, je considèrerais que c'est comme mourir au front. Maintenant, cela vaut la peine de mourir, cela vaut la peine de donner un témoignage, d'offrir un sacrifice, seulement pour n'avoir pas, par amour, calomnié les Pères Saints...
Ne devrions-nous pas faire une pause pour réfléchir un peu sur les Pères Bénis que nous lisons constamment, où ils vivaient et comment ils ont vécu? Le Seigneur avait dit: " Les renards ont des tanières, mais le Fils de l'Homme n'a pas où reposer Sa tête!" Quelle déclaration extraordinaire! Et avez-vous remarqué à quel point ils se sont efforcés d'imiter le Christ en vivant dans des grottes? Ils pouvaient sentir la joie du Christ en toutes choses, parce qu'ils avaient imité le Christ en toutes choses. Toute leur attention était centrée. Les Saints Pères avaient fait du désert leur régime spirituel, et pourtant aujourd'hui, nous le transformons en une organisation politique séculière. L'Eglise du Christ fuit dans le désert, pour être sauvée, et nous avons transformé le désert en une organisation politique séculière, de sorte que les gens sont scandalisés, que les gens ne sont pas aidés et n'ont rien à atteindre. C'est l'immense danger que je peux voir en ces années difficiles que nous vivons. Même si nous avons plus de raison de vivre monastiquement de nos jours -afin d'avoir la force divine- malheureusement nous sommes altérés par l'esprit séculier et nous sommes de plus en plus faibles. En d'autres termes, nous chassons notre esprit, ne laissant que notre carcasse vide.
Aujourd'hui il y a des moines qui vivent superficiellement le monachisme: ils ne fument pas, ils vivent chastement, ils lisent la Philocalie, ils font toujours référence aux Pères. Cela est similaire au comportement séculier, avec ceux qui s'abstiennent de mensonges, qui se signent, qui vont à l'église et quand ils grandissent, prêtent une attention particulière aux questions morales. Et je pense que cela est tout ce qu'il faut… Eh bien, c'est ce qui se passe dans certains monastères aussi, et les laïcs sont attirés d'abord, mais quand ils ont appris à mieux connaître, ils réalisent que ces moines ne sont pas différents des gens qui vivent dans le monde, parce qu'ils ont conservé l'esprit séculier dans son intégralité. Si les moines fumaient, lisaient les journaux, parlaient de sciences politiques, alors les gens les éviteraient, dans la mesure où ils seraient tout comme les laïcs du dehors, le monachisme ne serait pas terni.
Lorsqu'un moine est devenu spirituellement affaibli, avec quoi peut-il sensibiliser une personne qui vit dans le siècle? Si vous laissez une bouteille d'alcool pur ouverte, il perdra toute sa saveur. Il ne tuera pas les germes, ni ne s'allumera avec une flamme. Si vous essayez de l'utiliser sur une mèche, il gâtera la mèche. La même chose arrive avec un moine, s'il ne fait pas attention: il chassera la grâce divine, et il ne lui restera que son habit de moine. Il sera comme l'alcool qui a perdu sa saveur. Il ne sera pas en mesure de "cautériser" le Diable! "Pour les moines, les anges sont la lumière, aux gens du monde, les moines sont la lumière"! Eh bien, il ne sera pas même de la lumière par la suite. Avez-vous une idée du caractère destructeur de la conscience séculaire? Si cet élément spirituel quitte le monachisme, il n'y aura plus rien. Parce que "si le sel perd sa saveur", il n'est pas approprié, même pour le fumier. Alors que les ordures peuvent devenir du fumier, le sel ne peut pas être utilisé comme du fumier; et si vous l'utilisez sur une plante, il la fanera. Notre époque est une ère où le monachisme doit rayonner. Cet état présent pourri a besoin de ce "sel". Si les monastères ne maintiennent pas une conscience séculaire, mais préservent l'état spirituel, ce serait leur plus grande offrande à la société. Ils n'auraient même pas besoin de parler ou de donner toute autre chose, parce que leur manière même de vivre "parlerait" pour eux. Et c'est ce dont le monde a besoin aujourd'hui.
Avez-vous vu le point que l'Eglise catholique a atteint? je me souviens, il y a des années, j'étais au monastère de Stomiou à Konitsa, quelqu'un m'a apporté une coupure de journal qui écrivait: "Trois cents nonnes ont protesté, de ne pas être autorisées à regarder un film dans un cinéma, et parce que leurs jupes devaient être longues et pas arriver au genou…" J'ai été tellement exaspéré quand j'ai lu cela, que je me suis écrié: "Mais, pourquoi ont-elles voulu devenir religieuses, en premier lieu?" L'article de journal mentionnait à la fin qu'elles ont finalement rejeté leurs habits de nonnes. Bien que, à en juger par leur manière de penser, elles avaient rejeté l'essentiel, bien avant leur habit monastique. Une autre fois, j'ai remarqué une religieuse catholique qui n'était pas différente d'une femme du monde. Elle était censée faire un travail missionnaire, mais elle était totalement… Eh bien, comme certaines jeunes dames très séculières. Nous ne devons pas permettre que l'esprit européen nous infiltre nous aussi; nous ne devons pas atteindre cet état aussi.
-Staretz, se débarrasser de la mentalité séculière, cela semble être une chose très difficile.
-Ce n'est pas difficile, il faut juste être sur le qui-vive. Se rappeler constamment ce qu'Arsène le Grand a dit: "Pourquoi êtes-vous sortis (du monde)?" Nous essayons d'oublier pourquoi nous sommes venus au monastère. Tous les gens commencent, plus ou moins bien, mais ils ne finissent pas bien parce qu'ils oublient pourquoi ils sont allés au monastère.
-Staretz, tu as dit que l'esprit séculier infiltre le monachisme et la guidance spirituelle est perdue. Le véritable esprit du monachisme sera-t-il préservé?
-Ce n'est qu'une tempête qui passe, Dieu ne le permettra pas.
-Staretz, une pensée m'a traversé l'esprit: est-ce que des lieux monastiques qui conservent le courant spirituel existent encore?
Quel malheur, s'ils n'existaient pas! Il y a des moines qui vivent très spirituellement, sans bruit. Il y a des âmes dans chaque monastère, dans chaque Cathédrale etc… Ce sont ces âmes isolées qui font que Dieu nous tolère...
Version française Claude Lopez-Ginisty
d'après
(Source: Elder Paisios «Epistles», by «Evangelist John the Theologian Publications», pp.44-46).
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