La Sainte
Trinité.
Icône par Alla Mestchereva
.
-Est-ce que
l'iconographie est devenue comme l'une des facettes de votre profession?
-C’était la
volonté de Dieu, et elle a sa préhistoire. Vers l'année 1994, une crise globale est intervenue dans ma vie: d'abord une crise de création, je ne pouvais pas
peindre de tableaux; deuxièmement, l'objet de mon amour m'a quitté, claquant bruyamment la
porte; troisièmement, j'ai presque arrêté de respirer à cause de l'asthme. Mais
surtout, j'ai compris que tout ce trousseau de malheurs était le résultat de mon
ancienne vie orageuse.
Mais le Seigneur ne nous abandonne jamais. Voyant que je
ne pouvais pas dépasser cela sans l'église de Dieu, le 6 Février, jour de la fête
de la Bienheureuse Xénia, j'ai littéralement rampé jusques à sa chapelle, je suis restée debout pendant les offices avec beaucoup de difficulté, et ensuite je me suis sentie beaucoup mieux.
Lorsque, finalement, j'ai arrêté de me sentir comme une invalide à moitié
morte, et que j'ai commencé à respirer plus ou moins normalement, la question s'est
posée: Comment dois-je vivre à partir de maintenant? Dois-je changer de profession à vingt-neuf ans? Mais la peinture n'était pas seulement une
profession pour moi: onze ans durant, j'avais travaillé comme une obsédée seize heures
par jour afin de devenir peintre. Si je devais changer de métier cela voudrait
dire que tous mes travaux et sacrifices avaient été vains, et que toute ma vie jusques à
ce point n'avait pas de sens.
Un jour que j'avais entendu parler de Diviyevo et de saint Séraphim de Sarov, j'ai décidé d'aller vers lui pour la réponse à ma
question intérieure, bien que je n'avais pas la moindre idée de ce qu'était un
monastère, ou un pèlerinage.
J'y suis allée avec un ami. Nous sommes arrivés à
Nijni-Novgorod, sans complications, mais alors... Au lieu d'une agréable
balade de trois heures dans un bus confortable nous sommes restés treize heures dans
un embouteillage gigantesque en raison d'une tempête de neige féroce. A peine
cette torture sur la route avait-elle cessé, que la torture des congères a commencé: pour
la première (et je l'espère, la dernière) fois de ma vie, je suis tombée dans la
neige jusques au cou.
Je me
souviens des premiers jours dans le monastère comme d'un cauchemar. C'était très
dur. Mais c'est là que je suis née de nouveau. La femme avec qui nous séjournions et avec qui nous avons établi des relations d'amitié pendant les deux semaines que nous fûmes à Diviyevo, m'a demandé un jour: "Eh bien, tu es une artiste. Tu pourrais peut-être me peindre la Bienheureuse* Xénia?" Cette demande s'est avérée être
absolument providentielle.
Père Vladimir Chichkine est venu vers moi personnellement
dans l'église quand il a vu ma confusion. J'ai expliqué ma situation et il m'a
dit qu'il ne me bénissait pour peindre une icône "juste comme ça", car c'est
quelque chose qui doit être étudié, et donc il m'a donnée la bénédiction pour aller au groupe de
travail iconographique d'André Zaproudny à Tver.
Il me l'a dit, puis s'est enfui vers ses occupations. Je lui ai demandé, alors qu'il s'enfuyait, "Batiouchka**, et que faire à propos de mes parents ?! Après tout, ils sont musulmans, ils ne comprendront pas,
et ne me laisseront pas aller à une ville étrangère…" Il a juste
agité la main tout en marchant et a dit," Le Seigneur en prendra soin." Père Vladimir s'est avéré avoir raison: Le Seigneur a pris soin d'eux afin que mes parents acceptent tranquillement la nouvelle que j'allais
étudier à Tver. C'est vrai, je ne leur ai pas dit exactement que c'était une école
d'arts ecclésiastiques. Ayant commencé à cheminer sur la voie de l'Orthodoxie et d'une
nouvelle profession, j'ai toujours ressenti pour moi l'aide et de la Providence de Dieu.
-Aviez-vous
déjà pensé à vous comme iconographe auparavant? En tant qu'artiste, vous avez
probablement toujours admiré les œuvres de Théophane le Grec, ou d'André
Roublev?
-Avant même que j'ai été baptisée, en 1991 probablement, j'étais à une exposition du Musée
russe: Kandinsky, Malevitch, Goncharev, Chagall, Philonov... Mais ces
peintures n'étaient pas ce qui m'a bien étonnée à l'époque... j'aimais aussi tout
cela -mais plutôt les icônes russes de la collection de Nikodim Kondakov, célèbre historien de l'art. C'était une fête, un sentiment indicible de
paradis et d'émerveillement, et je me suis promenée pendant une longue période,
comme abasourdie.
Je suis retournée à cette exposition dix fois juste pour ces
icônes, parce Chagall, à la vérité, n'est pas intéressant, même la
troisième ou la quatrième fois. J'ai été étonnée par la maîtrise avec laquelle ces
icônes ont été peintes. J'ai vu le paradis en elles. Et c'était une découverte
pour moi, parce que pendant l'époque soviétique il était de coutume de regarder les icônes russes avec condescendance. Bon, la Renaissance italienne, c'est
quelque chose, mais une icône, bien sûr, c'est agréable, mais…
Cette
admiration des icônes vécut en moi toutes les années suivantes et elle est devenue quelque chose comme une clé qui un jour, ouvrit la porte du monde de
l'Orthodoxie. C'est probablement ce qui a déterminé mon style festif actuel.
-Lorsque vous avez commencé à peindre des saints, les tentations sont-elles survenues, ou bien tout s'est-il passé en
douceur et d'une manière bénie?
-La première icône j'ai peinte était la "Flagellation de saint Georges." Le
groupe de travail a ensuite peint deux iconostases pour une église
biélorusse et un autel dédié à saint Georges. Puis j'ai peint la Trinité
pour l'iconostase de Diviyevo. En général, il y avait surtout des tentations
liées à la peinture d'icônes. Je ne me souviens pas de miracles, mais de tentations surtout. Surtout quand vous peignez une image pour aller derrière
le saint autel, une croix ou un iconostase.
J'ai peint ma première icône d'autel au début des années 2000 pour l'église de saint Serge de Radonège à
Sertolov, région de la province Vsévolojskovo de Léningrad. Je venais à peine de
commencer mon travail quand j'ai réussi à me casser une côte. Je ne pensais pas
à prendre des analgésiques, et les médecins ne le mentionnèrent pas. La planche de l'icône était immense et lourde, et j'ai dû la soulever, la retourner, la prendre depuis le chevalet, la porter à la table, puis revenir à nouveau sur le chevalet.
Batiouchka
voulait cette icône peinte dès que possible et ne considèra pas que j'avais
besoin d'un congé maladie au moins pour un temps après la fracture. En
raison de la douleur physique constante, j'étais constamment dans un état
de grande faiblesse, et peut-être est-ce la raison pour laquelle l'icône s'est avérée belle et priante. Tout
le monde dit cela.
Les deux premières icônes pour mon premier iconostase
étaient très difficiles à faire, quelque chose se passait toujours, puis ce fut un peu plus facile, mais ce n'est jamais allé en douceur. L'une de ces
icônes a exsudé plus tard du myrrhon.
Une icône représente le monde supérieur. Nous
oublions parfois que l'Amour du Christ y est présent. Nous
représentons un monde complet d'Amour harmonieux, qui ne peut pas être
triste, attristant ou sombre: tout cela est humain. L'Orthodoxie est la
joie de la communion avec Dieu. C'est pourquoi nous glorifions Dieu, car Il
nous a apporté la Bonne Nouvelle de l'Amour. Cela est reflété dans les icônes.
La
protection de notre Très Sainte Mère de Dieu
et toujours Vierge Marie.
Icône par Alla Mestchereva
Version française Claude Lopez-Ginisty
d'après
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Notes:
* Titre généralement donné aux Fols-en-Christ, qui n'a aucun rapport avec la nomenclature des saints dans les églises hétérodoxes d'Occident.
** id est Petit Père: terme affectueux par lequel certains fidèles s'adressent à un prêtre.
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