"Dans la confusion de notre époque quand une centaine de voix contradictoires prétend parler au nom de l'Orthodoxie, il est essentiel de savoir à qui l'on peut faire confiance. Il ne suffit pas de prétendre parler au nom de l'Orthodoxie patristique, il faut être dans la pure tradition des saints Pères ... "
Père Seraphim (Rose) de bienheureuse mémoire

lundi 8 juillet 2019

Hiéromoine Irenei (Pikovsky) : UN MIRACLE DE COURAGE DES FIDÈLES

Photo : culture.ru


Au Nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit !
Aujourd'hui, [6 juillet n.s.] nous commémorons l'icône de la Mère de Dieu de Vladimir. La présente fête, dédiée à cette icône miraculeuse, a été établie en commémoration de la délivrance de Moscou de l'invasion d'Ahmed Khan.
En 1480, Ahmed Khan décida de punir Moscou, qui avait refusé de rendre hommage à la Grande Horde. Il se rendait même à l'embouchure de l'Ougra, l'affluent gauche de l'Oka, lorsque les troupes russes l'ont arrêté. S'ils avaient traversé la rivière, les cavaliers d'Ahmed auraient pu atteindre Moscou après trois ou quatre traversées. Les guerriers russes, cependant, avaient franchi tous les gués et les routes, et après trois jours de tirs croisés, la dite grande halte sur la rivière Ougra [en russe : Стояние на реке Угре] commença. Tandis que les deux parties se préparaient intensément à cette bataille cruciale, le peuple russe, debout devant l'icône de la Mère de Dieu de Vladimir, offrait ses prières au Seigneur et à la Sainte Génitrice de Dieu, se souvenant de son intercession lorsque Moscou fut sauvée de l'armée de Tamerlan en 1395.
Icône de la Mère de Dieu de Vladimir
Lorsque le fleuve commença à geler et que l'armée russe craignit que les Mongols ne le traversent sur la glace, le prince Ivan III ordonna que les troupes se retirent dans la ville de Borovsk afin qu'elles prennent une meilleure position et se préparent pour la bataille clé. Les guerriers de la Horde attendaient le gel - qui arriva tôt cette année-là - se vantant que toutes les routes vers la Russie seraient ouvertes pour eux, quand le fleuve serait couvert de glace.
Soudain, Ahmed commença à reculer précipitamment vers la Grande Horde. Les historiens soviétiques considéraient cela comme la tactique militaire d'Ivan III. Le prince impliqua son allié, le Khan criméen Mengli Giray, dans la bataille ; il attaqua la Podolie, distrayant les forces polonaises et faisant en sorte qu'une importante troupe russe assiège la capitale non protégée de la Grande Horde. On peut émettre l'hypothèse que l'armée Tatare manquait de vêtements chauds ou de nourriture pour les chevaux. Mais un contemporain de l'époque, l'auteur du Conte de la GrandeHalte, explique la retraite d'Ahmed par un glorieux miracle accompli par la Sainte Génitrice de Dieu : "Après le retrait de nos troupes de la rive, les Tatars, saisis par la peur, commencèrent à fuir car ils pensaient que les Russes s'étaient retirés pour les contourner1. La Grande Horde fit face à des troubles quand Ahmed est revenu. Il fut bientôt assassiné par Ibak, le Khan  de Nogai, et le pays fut en proie à une guerre civile.
Pendant ce temps, le prince Ivan rentrait sain et sauf à Moscou, après s'être réconcilié avec ses frères après des années d'inimitié. La grande résistance sur le fleuve Ougra marqua la fin du joug Tatar-Mongol, l'Etat russe se renforça et acquit sa pleine souveraineté.
Certains peuvent prétendre que ce n'était pas un miracle, que c'était une simple coïncidence et une bonne politique militaire. Mais si l'on regarde de plus près le climat du pays, on peut supposer que la halte de l'Ougra aurait pu avoir un résultat différent.
Très peu de membres de la noblesse étaient déterminés à défendre leur patrie. Beaucoup de ceux qui étaient les plus proches du prince lui conseillèrent de sauver sa vie en s'enfuyant, quittant les terres de Moscou pour que  les Tatars les pillent. Le chroniqueur réprimande lourdement les conseillers "riches et costauds" du Grand Prince pour leur cœur faible et leur recherche d'intérêts personnels, et appelle les boyards, qui percevaient les impôts, les "suceurs de sang chrétiens". Bien qu'ils fussent chrétiens orthodoxes, ils se comportaient moins bien que les Tatars, et "aimaient plus les femmes que leur foi chrétienne et leurs églises orthodoxes ; ils acceptaient de trahir leur foi parce que la malice les avait rendus aveugles. " [2]
Après avoir envoyé sa femme, la princesse byzantine Sophia, et mis le trésor de l'Etat dans un lieu sûr, le Grand Prince avait aussi des doutes. C'est pourquoi le père spirituel patriote du monarque, l'archevêque Vassian de Rostov, se tourne vers Ivan III dans sa Lettre à l'Ougra, lui demandant de ne pas avoir peur des myriades de Tatars et de ne pas penser dans son cœur : "J'ai une femme, des enfants et une grande richesse ; s’ils envahissent ma terre, je m'installerai dans un lieu différent."Au contraire, l'archevêque inspira le Prince à se repentir de ses péchés et, comme Josué et d'autres juges de l'Ancien Testament, à compter sur Dieu, devenant le bon pasteur de l'Évangile qui donne sa vie pour les brebis (Jean 10 : 11). Le Seigneur envoie des anges et des saints pour aider ceux qui Le supplient de les aider. Si l'un des guerriers périt, sa mort dans un combat contre les Hagaréniens impies sera considérée comme un martyr, ses péchés seront pardonnés et ils demeureront dans le Royaume céleste.
« O, fils braves et courageux de la Russie", implore l'auteur du Conte de la halte de l'Ugra, efforcez-vous de défendre votre patrie, la terre russe, de l'incrédulité. N'ayez pas peur de donner votre vie pour ne pas voir vos maisons pillées, vos femmes et vos enfants maltraités, comme d'autres terres glorieuses ont souffert des Turcs... Ils sont morts et ont ruiné leur patrie, leur terre et leur pays, et ils errent dans des pays étrangers, condamnés, châtiés et méprisés pour leur manque de courage.. »[4]
Les appels urgents, lancés par les patriotes, ont dû avoir leur effet. Un fils et un frère du Grand Prince, qui étaient en charge des troupes dans la zone de combat, ne battirent pas en retraite face à l'ennemi dominant. Bientôt le Grand Prince les rejoignit. Bien qu'il n'y ait pas eu de guerre à grande échelle, les forces russes se révélèrent gagnantes dans le Grand Halte sur le fleuve Ougra.
Néanmoins, "l'inconscient ne doit pas glorifier leur folie en disant:'Nous avons livré la terre russe avec nos propres armes', comme le chroniqueur définira plus tard les événements, en disant que c'est le Seigneur qui a sauvé le peuple russe. "Ni un ange, ni un homme ne nous ont sauvés, mais le Seigneur lui-même nous a sauvés par l'intercession de la Très Pure Génitrice de Dieu et de tous les saints. » [5]
Le saint archevêque Vassian a écrit que le Sauveur et Sa Mère très pure ont sauvé la terre russe à plusieurs reprises, lorsque le peuple s'est tourné vers la repentance et la prière. Mais pour "le désespoir et la foi faible", le Seigneur, au contraire, a toléré les invasions de bandits comme Batu Khan. [6]

Le miracle de l'intercession de la Mère de Dieu a même été ignoré par un certain nombre de chroniques. Le résultat miraculeux de cette bataille potentiellement sanglante ressemble à une coïncidence heureuse. Mais même si nous mettons de côté l'intervention surnaturelle de Dieu, nous voyons combien les deux positions morales sont différentes. D'un côté, certains sont prêts à fuir comme des lâches et à laisser leurs compatriotes tomber entre les mains du bandit, en prenant soin de leurs biens personnels ; de l'autre, ils donnent leur vie pour leur foi, leur famille et leur patrie, espérant en Dieu et dans le Royaume céleste.
Cependant, ils vivent tous deux dans le même pays et parfois dans la même ville. Ils utilisent tous deux des choses dont nous avons besoin pour notre vie mortelle. Mais ils ont leurs propres objectifs, très différents, pour cet usage. [7.] Les citoyens de la cité terrestre recherchent la gloire parmi les gens et le bonheur terrestre. Les citoyens de la cité de Dieu sont prêts à se contenter de peu dans cette vie terrestre pour avoir à l'avenir des richesses célestes. Les citoyens de la ville terrestre mettent les choses de côté pour les jours de pluie. Les citoyens de la ville de Dieu sont prêts à donner leur vie pour leur prochain et pour des étrangers, méprisant la peur de la mort.
Les citoyens de la cité de Dieu sont le levain qui fait lever toute la pâte (1 Corinthiens 5:6), une ville située sur une colline (Matthieu 5:14). Ils sont appelés à être la lumière du monde, reflétant la lumière de la Vérité Divine.
Le miracle que nous commémorons aujourd'hui est un exemple élevé de courage chez les fidèles. C'est un rappel à leurs descendants que nous devons nous efforcer de sauver notre patrie en période de troubles dans tout le pays. Mais, en appliquant tous nos efforts et nos compétences professionnelles, nous devons nous rappeler que c'est Dieu Qui sauve l'homme.
Que le Seigneur, par les prières de Sa très pure Mère, préserve notre patrie des ennemis et renforce notre foi afin que nous, gardés par cette foi, nous ayons le courage d'agir non seulement dans les moments difficiles pour notre nation, mais aussi dans notre vie quotidienne, quand il dépend de nousque la justice, la miséricorde et l'amour puissent se multiplier dans le monde.
Amen !
Version française Claude Lopez-Ginisty
D’après
ORTHOCHRISTIAN
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NOTES: 
1 Le texte est cité d’après la compilation Pour la Terre Russe ! Œuvres littéraires de la Rus' antique des XI-XVe siècles (en russe). Moscou : Russie soviétique, 1981. Ressource électronique : http://www.spsl.nsc.ru/history/descr/leto1480.htm[consulté le 5 juin 2016].
2 Ibid.
3 Citation tirée de "Lettre de Vassian Rylo à la halte de l'Ougra." (en compilation en russe). Moscou, 1990. pp. 347-345. Ressource électronique : http://halkidon2006.orthodoxy.ru/i/303.htm[consulté le 6 juillet 2016].
4 Le texte du Conte de la Halte sur l'Ougra est tiré de "Œuvres littéraires de la Rus' ancienne de la seconde moitié du XVe siècle", traduction de J.S.Lourie (en russe). Moscou, 1982. pp. 514-521. Ressource électronique : http://www.pravoslavie.ru/3430.html[consulté le 5 juin 2016].
5 Ibid.
6 Voir Conte de la Halte de la rivière Ougra par Vassian Rylo. (compilation en russe). Moscou, 1990. pp. 347-355. Ressource électronique : http://halkidon2006.orthodoxy.ru/i/303.htm[consulté le 6 juillet 2016].
7 Saint Augustin d'Hippone. La Cité de Dieu. Livre 19. Chapitre 17. (dans la version russe). Ressource électronique : http://azbyka.ru/otechnik/Avrelij_Avgustin/o-grade-bozhem/_Avgustin/o-grade-bozhem/[consulté le 6 juillet 2016].

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