"Dans la confusion de notre époque quand une centaine de voix contradictoires prétend parler au nom de l'Orthodoxie, il est essentiel de savoir à qui l'on peut faire confiance. Il ne suffit pas de prétendre parler au nom de l'Orthodoxie patristique, il faut être dans la pure tradition des saints Pères ... "
Père Seraphim (Rose) de bienheureuse mémoire

samedi 30 octobre 2010

Clark Carlton: L'enseignement de l'Eglise et le prétendu "palamisme"


Григорий Палама

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La première chose que nous devons comprendre à propos du palamisme, est qu'il n'y a absolument rien de tel. Le palamisme est une invention de penseurs catholiques (Je ne vais pas les appeler théologiens) qui voulaient justifier leur propre  hérésie en donnant à ce qui est l'enseignement incontestable et traditionnel de l'Eglise orthodoxe une étiquette exotique, le transformant en un "isme" conditionné par l'histoire. Tous ce que saint Grégoire a fait, a été d'exprimer l'enseignement séculaire de l'Eglise dans le cadre de la controverse contemporaine sur la nature des méthodes de prière hésychaste. Derrière tous les discours sur l'omphaloscopie (le fait de se regarder le nombril!) et la vision des lumières, il y a une distinction fondamentale que les théologiens orthodoxes ont fait depuis au moins le temps de saint Athanase.

En un mot, l'enseignement est le suivant: dès le début, les humains ont eu deux expériences très différentes de Dieu. D'une part, Dieu est perçu comme étant radicalement différent, tellement entièrement à part de nous-mêmes, que nous ne pouvons même pas nous référer à Lui en utilisant des mots comme être et existence d'une manière directe et sans équivoque. "Mes pensées ne sont pas vos pensées, et mes voies ne sont pas vos voies", dit le Seigneur. Le terme technique pour ce sens de la distance de Dieu par rapport à nous, est la transcendance.

D'autre part, nous, les humains, au moins certains d'entre nous, avons également l'expérience de Dieu comme quelqu'un de plus proche de nous que nous-mêmes. Le christianisme est la religion de l'Emmanuel, qui signifie "Dieu avec nous." Saint Pierre nous dit que nous devons devenir, "participants de la nature divine." Le terme technique pour la proximité de Dieu est "immanence".

L'orthodoxie est la religion de à la fois/et, et non pas d'ou bien/ou bien. En cela, je veux dire que l'orthodoxie a toujours affirmé à la fois la transcendance absolue et infranchissable de Dieu, et sa présence immédiate et sa communion avec l'homme, au point même de nous rendre participants de Sa vie même.

L'hérésie, d'autre part, est presque toujours la religion du tout ou rien. J'ai déjà dit qu'il y a deux sortes d'hérésies. Les hérésies enthousiastes sont reliées à un personnage charismatique qui décide qu'il ou elle a une relation spéciale avec Dieu, et décide de jouer au prophète auto-proclamé. Montanus a été l'une de ces figures. On dit que ses disciples auraient convertis et baptisés au nom du Père, du Fils, et du Seigneur Montanus. Joseph Smith, et les charismatiques les plus modernes, entreraient aussi dans cette catégorie.

Le deuxième type d'hérésies, et celles-ci sont beaucoup plus communes, sont les hérésies rationalistes. La plupart des grands "ismes" qui ont affligé l'Eglise au cours des siècles, depuis le sabélianisme jusques au calvinisme, ont été de ce type.

Ce que toutes ces hérésies ont en commun, c'est la détermination de la part de leurs hérésiarques de faire que l'expérience de Dieu se conforme à une structure rationnelle. En d'autres termes, ils supposent tous que Dieu est supposé être intelligible pour nous.

Permettez-moi d'illustrer par l'histoire de la doctrine de la Trinité. Nous savons que depuis le début, l'Église a confessé sa foi en, et baptisé, au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Nous savons aussi que l'Église, qui est le nouvel Israël, croyait qu'il y avait, et qu'il ne pourrait y avoir qu'un seul Dieu, non pas trois. Ainsi, l'Église a confessé que nous connaissons le Divin, en tant que trois personnes distinctes, et comme être éternel et tout-puissant.

Mais ce à la fois/et, ne fonctionnait pas avec le prêtre romain, Sabelius. 1+ 1 +1 n'est pas égal à 1. Vous voyez, il s'attendait à ce que Dieu se conforme à la raison humaine et à la logique mathématique. Donc, il a résolu ce dilemme logique en traitant les personnes comme de simples modes d'un seul Dieu, un peu comme un Dieu jouant des rôles différents à des moments différents, mais toujours le même Dieu derrière le masque.

Un peu plus tard, Arius eut exactement le même problème, mais puisque le sabélianisme avait été vaincu, il a dû trouver une solution différente. Alors il a rétrogradé le Fils et l'Esprit pour en faire des êtres créés. Cela a laissé l'unité mathématiquement simple de l'être divin intacte. Mais, cela a  fait un mensonge de l'expérience de l'Eglise. Car elle a toujours adoré le Christ comme Dieu. Ainsi, l'arianisme a finalement été rejeté.

Toute la fameuse clause de l'homoousios du credo de Nicée ne fait d'affirmer que le Christ est à la fois une personne distincte de la personne du Père, et qu'Il est en même temps, d'un même être, d'une même essence ou nature, que le Père. En d'autres termes, la Trinité est à la fois trois et un.

Maintenant, la distinction entre l'essence et les énergies de Dieu, que les catholiques romains aiment appeler palamisme, mais qui en fait, est présente tout au long de l'histoire de la pensée orthodoxe, n'est rien d'autre qu'une convention linguistique pour affirmer que Dieu est à la fois transcendant et immanent. L'enseignement concernant la Lumière Incréée, qui est un corollaire de cette distinction, affirme simplement que, lorsque les saints expérimentent la gloire de Dieu, ils connaissent rien moins que Dieu Lui-même, mais Il reste encore tout à fait invisible et inaccessible dans Sa nature profonde.

La gloire de Dieu, et en effet Sa grâce, ne sont pas des intermédiaires créés, mais Dieu, Lui-même. Lorsque l'homme participe de cette grâce, il est tout à fait littéralement divinisé, mais jamais, jamais, ni dans cette vie, ni dans le siècle à venir, l'homme ne se transforme en la nature de Dieu. Dieu est à la fois participable (si c'est un mot qui existe) en fonction de ses activités ou ses énergies, mais totalement transcendant par nature. L'homme, à son tour, devient divinisé par la grâce, mais il demeure à jamais une créature. C'est ce que saint Basile voulait dire quand il disait que l'homme était une créature avec l'ordre de devenir Dieu.

Ceux qui nient cette distinction, cependant, le font pour le motif qu'elle viole la simplicité divine, ce qui est une façon hypocrite de dire qu'elle viole la rationalité de l'homme. Dieu doit être ou bien l'un ou bien l'autre, pas à la fois/et. Mais la nature divine n'est pas, et ne peut être, l'objet de la cognition humaine. Un Dieu qui ne peut être compris par la raison humaine, n'est pas du tout un Dieu. Ou, pour dire les choses d'une autre manière, Dieu n'est pas soumis aux principes de non-contradiction, ou du tiers exclu.

Dans ses traités, saint Grégoire suit une méthode d'argumentation que Saint-Marc le Moine et d'autres avaient utilisée pendant des siècles. Il demandait rhétoriquement, "Que faire si la foule des ou bien/ou bien a raison" Si les énergies divines ou activités ne sont pas Dieu Lui-même, mais des choses créées, alors l'homme ne peut avoir aucune communion réelle avec Dieu. Notre relation avec Lui reste purement extrinsèque. Ceci, bien sûr, est la position des musulmans, et aussi de certaines formes de protestantisme. On ne peut jamais devenir des dieux par la grâce, ou participants de la nature divine, ou véritablement cohéritiers avec le Christ. Nous restons simplement des serviteurs.

D'autre part, si les énergies divines ou les activités sont identiques à la nature divine, alors y participer est en quelque sorte participer à la nature divine elle-même. La seule fin logique de cette ligne de pensée concevable est le panthéisme. En effet, le christianisme occidental a oscillé entre les deux conclusions au cours des mille dernières années.

Pourtant, ces deux scénarios, pour employer une expression que j'ai utilisée plus haut, font un mensonge de l'expérience de l'Eglise. Les saints savaient qu'ils faisaient l'expérience de Dieu, Lui-même, et non des intermédiaires créés, mais ils savaient aussi, en même temps, combien inépuisable et inaccessible est ce Dieu, dans Son moi le plus intime.

Ainsi, nous avons deux choix. Nous pouvons accepter à la fois/et, et les paradoxes et les contradictions logiques qui en découlent, ou nous pouvons sacrifier l'expérience vivante de l'Eglise sur l'autel de notre raison déchue, faisant que Dieu Se conforme à nos normes de rationalité.

Le vrai problème ici, comme je l'ai déjà dit, vient du fait que les gens insistent pour faire de la théologie avec des livres, plutôt que d'un chapelet. Il n'y a rien d'ésotérique, voire de mystique, à propos de l'enseignement de l'Église sur l'essence et les énergies de Dieu. C'est tout simplement la manière de l'Eglise de préserver là le a fois/ et, et de préserver ainsi la possibilité que nous puissions découvrir cette vérité par nous-mêmes en suivant la voie ecclésiale de la pénitence, de l'obéissance et de la prière.

Et maintenant, que notre grand Dieu et Sauveur, Jésus-Christ, par les prières de saint Innocent d'Alaska, du bienheureux Staretz Sophrony (Sakharov) et de saint Grégoire Palamas, aie pitié de nous tous, et nous accorde-nous une belle entrée en Son royaume éternel.

Version française Claude Lopez-Ginisty
d'après
transcription du programme

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