"Dans la confusion de notre époque quand une centaine de voix contradictoires prétend parler au nom de l'Orthodoxie, il est essentiel de savoir à qui l'on peut faire confiance. Il ne suffit pas de prétendre parler au nom de l'Orthodoxie patristique, il faut être dans la pure tradition des saints Pères ... "
Père Seraphim (Rose) de bienheureuse mémoire

lundi 22 décembre 2008

VIE DU SAINT HIEROMARTYR LUC DE TSERMNITSA




VIE DU SAINT HIEROMARTYR LUC DE TSERMNITSA 

Le saint hiéromartyr Luc (Voukmanovitch) naquit le 14 octobre 1907 dans la famille d’un ouvrier du bâtiment, au village de Utrg, dans le district de Tsermnitsa, au Monténégro. Son père Nicolas prit la décision d’émigrer aux Etats-Unis d’Amérique, afin d’être à même de nourrir ses nombreux enfants, qui restèrent au Monténégro avec leur mère. Grâce à cela, trois de ses fils, dont Luc, purent étudier à l’université. Luc entra à la faculté de théologie, à Belgrade, après avoir terminé le séminaire à Cetinje. Alors qu’il étudiait à l’université, de grands malheurs frappèrent la famille Voukmanovitch : en peu de temps, moururent le frère aîné, la sœur, puis le père. La mère demanda à Luc d’abandonner les études et de rentrer à la maison, afin de se marier et de commencer à travailler pour soutenir économiquement la famille et payer les études du frère cadet Svetozar. 

Luc obéit, revint dans son village natal, se maria, puis, peu après, reçut la prêtrise. Deux ans après le mariage naquit son premier fils, Tchédomir, puis ensuite encore un fils et deux filles. 

Dans le diocèse, le Père Luc était considéré comme « l’un des meilleurs élèves du séminaire et l’un des prêtres les plus zélés ». Malgré son jeune âge, il parvint, selon le métropolite Gabriel, son évêque et futur patriarche de Serbie, à gagner le respect et l’affection de la population.
En 1931, il fut l’objet d’un attentat : pendant la Grande Entrée de la Liturgie, alors que le père Luc sortait du sanctuaire, un malade mental du nom de Iovan Steptchevitch tira sur lui au revolver à trois reprises. La première balle atteignit l’épaule, la seconde, le ventre. Le père Luc parvint à se maintenir debout et à revenir devant l’Autel pour y déposer les Dons, après quoi il tomba à terre et perdit connaissance. Le prêtre, grièvement blessé, fut conduit à l’hôpital, où il fut opéré. Le détail mentionné constitue déjà un trait distinctif de saint Luc : étant grièvement blessé, il ne se préoccupa pas de lui-même, mais de préserver les Dons.

Bien que l’on ne connût jamais exactement les motivations de l’attentat, le métropolite Gabriel considérait que, derrière cet acte, se cachaient les communistes. Il convient de mentionner que le père Luc était un brillant polémiste, attaquant de front l’idéologie marxiste. Il consacra à cette question quelques articles, son doctorat, ainsi qu’un certain nombre de causeries. Le biographe du saint, le moine Paul, écrit qu’à « cette époque, il avait écrit la critique la plus sérieuse et la mieux argumentée de la philosophie matérialiste ».

Par la grâce de Dieu, le père Luc se remit de ses blessures et reprit ses activités sacerdotales. En 1936, il fut élu secrétaire de l’association des prêtres du diocèse métropolitain du Monténégro. Cette association avait pour but l’aide matérielle aux clercs pauvres et à leurs familles.

En 1937, le père Luc prit part à la lutte contre le concordat que l’Etat yougoslave voulait conclure avec le Vatican et qui octroyait aux catholiques-romains yougoslaves des droits plus étendus qu’aux membres des autres religions. Le Patriarche Barnabé de Serbie s’engagea décisivement contre ce projet. Il décéda peu après cela, dans des circonstances non élucidées, et le bruit circula dans la population qu'il avait été empoisonné. Des manifestations massives contre le concordat, auxquelles participèrent de nombreux évêques et prêtres, commencèrent, mais furent violemment réprimées par le gouvernement. A cette époque, le père Luc organisait des discussions publiques, écrivait des articles, parlait à la radio, condamnant sans ambages le concordat et les réactions du pouvoir. Il était, au demeurant, un grand admirateur de S. Nicolas (Vélimirovitch), l’un des principaux ennemis du concordat.

En raison de ses prises de position, le père Luc fut destitué de sa fonction de secrétaire de l’association des prêtres. Toutefois, l’Etat finit par interrompre la procédure de ratification du concordat, et le trouble cessa dans le peuple orthodoxe. Mais, pour le père Luc, les difficultés ne faisaient que commencer.

Ses ennemis rédigèrent des plaintes contre lui et, y prêtant foi, Mgr Gabriel, son ancien évêque diocésain devenu patriarche, ordonna de lui faire quitter ses fonctions d’enseignant au séminaire de Cetinje, ce qui aggrava fortement la situation matérielle de sa famille. Toutes les demandes que le père Luc adressa au Saint-Synode et au Patriarche, restèrent sans réponse. Peu de temps après, il fut transféré à Gostivar, dans l’ex-république yougoslave de Macédoine. Toutefois, le père Luc trouva une place de catéchète au collège de Skoplje. C’est à cette époque, qu’il réussit à s’inscrire à la faculté de théologie de l’Université de Belgrade. En 1940, il y défendit sa thèse.

La dernière période de la vie du saint hiéromartyr fut celle de la seconde guerre mondiale. Elle est décrite dans les mémoires du père Luc, sous le titre de « Ma vie dans la servitude ». 

En avril 1941, les Allemands et les Bulgares occupèrent l’ex-république yougoslave de Macédoine et, en mai de la même année, il rentra au Monténégro, où il avait fait partir au préalable sa famille. Là, au début du mois de juin 1941, il refusa de signer « l’acte de loyauté » que lui proposèrent les occupants italiens. Il condamna également la décision de l’assemblée populaire monténégrine du 12 juin 1941, proclamant l’indépendance du Monténégro, à l’initiative et avec le soutien des occupants. S. Luc, en même temps, luttait contre les partisans communistes qui, à la fin de 1941 et 1942, « au nom de la révolution », assassinèrent un grand nombre de personnalités connues au Monténégro qui ne soutenaient pas leur mouvement.

La guerre civile fratricide en Serbie se répercuta sur la famille du père Luc : ses deux frères, Djuro, qui mourut peu après, était communiste et son frère cadet Svetozar (surnommé « Tempo ») devint l’un des plus grands personnages du parti communiste yougoslave. Lorsque, pendant la guerre, leur mère demanda à Svetozar : « Qu’adviendra-t-il de Luc, si vous êtes les vainqueurs ? », celui-ci répondit : « Tu le sais bien, nous le fusillerons ». Or, il reconnaissait qu’il avait reçut son instruction universitaire uniquement grâce à son frère qui, à l’époque, lui donnait la moitié de ses revenus de prêtre. Plus tard, après la chute du communisme, Svetozar écrivit un livre « Ma famille », où il consacra deux cents pages à son frère. Il donne dans ce livre un détail intéressant : lorsqu’ils lurent ensemble « Les frères Karamazov » de Dostoïevsky, il approuvait Ivan Karamazov , tandis que le Père Luc soutenait Aliocha.

De 1941 à 1944, le père Luc, avec sa famille, vivait à Cetinje, enseignant au séminaire. A cette époque, il rendait souvent visite aux détenus des prisons et camps de concentration italiens, les aidant et les soutenant. Au début de 1944, le père Luc fut arrêté par les occupants en raison de ses discours contre eux. Toutefois, il ne fut incarcéré que quelques jours, car le métropolite Joannice du Monténégro obtint sa libération. 

Fin novembre 1944, lorsque la victoire des communistes était déjà évidente, tous ceux qui étaient restés fidèles au Roi Pierre II, alors en exil, s’enfuirent du Monténégro et arrivèrent en Slovénie. Avec eux partit également le père Luc et son fils aîné Tchédomir, âgé alors de quatorze ans. En traversant la Bosnie Herzégovine, ils durent faire face aux hordes de partisans et aussi d’oustachis croates, si bien que bon nombre d’entre eux n’arrivèrent pas en Slovénie.

A la fin du mois de mai 1945, le groupe dans lequel se trouvait le père Luc et son fils arrivèrent à quinze kilomètres de la ville de Kamnik. Là les dirigeants du groupe prirent la décision suivante : ceux qui pourraient être accusés de meurtres accomplis durant la guerre devaient regagner, par l’Autriche, l’Europe Occidentale ; aux autres, on recommandait de se rendre aux vainqueurs communistes. A ce moment, le commandant des partisans de Tito avait publié une décision selon laquelle les adversaires des communistes seraient graciés dans la mesure où ils n’auraient pas été convaincus de meurtres.

Le groupe, dans lequel se trouvaient Père Luc et son fils, se rendit aux partisans slovènes. Après avoir été désarmés, on les parqua dans la forêt, non loin de la ville. Pas plus d’une dizaine de partisans entouraient ce groupe composé d’environ un millier de personnes. Trois jours après arriva sur place la cinquième brigade prolétarienne du Monténégro, sous le commandement de Sava Bouritch. On effectua le recensement de tous ceux qui s’étaient rendus, inscrivant non seulement leur nom et année de naissance, mais aussi leur profession. Ce jour-là, le Père Luc vint voir le commandant du 3è bataillon de la brigade prolétarienne, Marko Djourovitch, qu’il connaissait avant la guerre. Celui-ci prit avec lui Tchédomir, le fils du père Luc, et le faisant passer pour son coursier, l’envoya au quartier général du bataillon, lui sauvant ainsi la vie. Là, on lui donna de la nourriture et on lui indiqua où il dormirait. 

Le jour suivant, on ordonna à ceux qui s’étaient rendus de constituer des colonnes. La liste des membres de l’une de ces colonnes, formée de soixante personnes, fut établie par les communistes eux-mêmes. Parmi ces personnes se trouvait le Père Luc. Tous furent liés et envoyés dans une destination inconnue des autres : ce qui les attendait était évident.

Le soir, vers 20h30, on entendit des tirs par salves, et ensuite des coups de révolver. Tchédomir comprit alors ce qui était arrivé à son père.

Le jour suivant, le jeune garçon fut affecté à la 5è brigade prolétarienne. On demanda alors aux soldats de la brigade qui était volontaire pour enterrer « ceux-là ». Tchédomir se porta volontaire, sachant que parmi « ceux-là » se trouvait son père. Mais on ne le lui permit pas. Plus tard, un soldat, avec lequel il était devenu ami, lui raconta que tous les fusillés, parmi lesquels se trouvait S. Luc, furent enterrés dans une fosse commune, qui avait été creusée à l’avance.

Bien plus tard, en 1958, Tchédomir rencontra par hasard Marko Djouritch, ancien commandant du 3è bataillon de la brigade prolétarienne, qui accomplit les exécutions en Slovénie. Celui-ci lui dit qu’il n’avait rien pu faire pour sauver son père, étant donné que l’ordre de fusiller celui-ci était venu « d’en-haut ». 

Le père Luc a été glorifié avec de nombreux autres hiéromartyrs par l’Eglise Orthodoxe Serbe en l’an 2000. Sa mémoire a été fixée au 4/17 juin. Il convient de mentionner que le métropolite Joannice du Monténégro, et la quasi-totalité des prêtres (une centaine) de cette région, ont été assassinés par les communistes.

Version française: Bernard Le Caro


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