Icône de tous les saints
L'Eglise d’Orient et d’Occident célèbrent
la fête de Tous les Saints (1). […]Dieu a dit: Soyez saints; car je suis saint!
Vous auriez beau être prince, souverain, ou prélat; si vous n'êtes pas saint,
aux yeux de Dieu vous ne serez rien. Au contraire, soyez le dernier des hommes,
le plus humble et le plus méprisé; si vous êtes saint, vous serez tout, car
vous participerez à la béatitude de Dieu; et, suivant la belle expression de
l'Ecriture, vous serez comme des dieux. Les saints peuvent être divisés en quatre
classes: 1° Dieu; 2° la Mère de Dieu; 3° les neuf chœurs des anges; 4° les six
chœurs des hommes parvenus à la sainteté (2).
Tous ces saints sont autant de
maîtres éloquents qui nous enseignent la sainteté et nous apprennent à l'aimer
et à l'estimer par-dessus tout. Saint Ambroise dit: « Le plus beau titre que
nous puissions donner à Dieu, c'est de l'appeler saint [Hébreu: Ha Qadoch].
Sous l'ancienne Loi, le Grand Prêtre portait au front une plaque d'or où
étaient gravés ces mots: Le Seigneur est saint. Les prophètes, pour distinguer Yaveh,
le vrai Dieu, des faux dieux, l'appelaient le Saint d'Israël. Et Dieu Lui-même,
en annonçant à David la venue future d'un Messie, jura, dit l'Ecriture, par Sa
sainteté. »
Par ce serment, Dieu nous fait
voir qu'à Ses yeux il n'y a rien au-dessus de la sainteté. — Plus tard, quand
Dieu le Père envoya Son Fils dans le monde, Il Le fit naître dans la condition
la plus humble et la plus pauvre; mais en même temps Il Le revêtit de sainteté,
comme d'un apanage inséparable de Sa divinité. L'ange dit à Marie: « L'Etre
saint qui naîtra de toi sera appelé Fils de Dieu. » Enfin, la troisième personne
de la Sainte Trinité s'appelle simplement le Saint-Esprit, comme pour indiquer
que la sainteté est l'attribut essentiel, le caractère distinctif de la nature
divine.
Parmi tous les êtres créés et
terrestres, la Mère du Seigneur est le seul qui soit toujours resté
parfaitement saint. […]Son corps même a eu l'insigne honneur d'être porté au
ciel, parce qu'il fut la demeure et l'instrument docile d'une âme parfaitement
sainte: c'est pour quoi aussi nous l'invoquons en disant: Sainte Marie, Mère de
Dieu…
Les anges sont des esprits
bienheureux, dont l'unique occupation consiste à louer Dieu et à contempler ses
perfections infinies. Le prophète Isaïe nous fait savoir en quels termes les
anges chantent les louanges du Très-Haut; il dit: « Les séraphins entouraient
son trône, en chantant alternativement: Saint, saint, saint. » Huit cents ans
plus tard, l'apôtre saint Jean, dans l'Apocalypse, nous apprend que les termes
de leur cantique n'avaient pas changé; il dit: « Ils chantaient sans cesse:
Saint, saint, saint.» Pourquoi ce refrain sublime et éternel? Parce que la
sainteté étant l'attribut essentiel de la divinité, l'on ne saurait mieux louer
Dieu qu'en l'appelant saint. De même, les anges eux-mêmes n'ont rien qui soit
supérieur à leur sainteté.
Entre les anges et les démons il
y a un abîme incommensurable: c'est que les premiers sont saints, et que les
autres ont depuis longtemps cessé de l'être. Il y eut guerre entre Lucifer et
les mauvais anges, d'un côté, saint Michel et les bons anges, de l'autre; les
premiers s'étant révoltés contre Dieu, les autres soutenant l'autorité de Dieu,
et combattant les anges rebelles. La victoire étant demeurée aux bons anges,
Lucifer et ses complices perdirent leur sainteté, et devinrent des démons; au
contraire, la sainteté des bons anges fut confirmée et rendue inaltérable, en
récompense de leur fidélité.
Dieu, en privant les mauvais
anges de la sainteté, leur laissa cependant quelques-uns de leurs autres
attributs, par exemple l'intelligence; mais c'était pour leur châtiment; car
elle ne sert qu'à leur faire mieux comprendre l'immensité de la perte qu'ils
ont faite en perdant la sainteté. D'un autre côté, les autres attributs des
bons anges, par exemple leur beauté incomparable, n’ont de valeur que par leur
sainteté (3).
Passons aux hommes. Tout ce que
les saints ont fait et souffert, ils ne l'ont fait que pour la sainteté. La foi
et l'espérance inébranlables des Patriarches, l'inspiration et les lumières
surnaturelles des Prophètes, le zèle ardent des Apôtres, la constance héroïque
des martyrs, la piété et les mortifications admirables des confesseurs, la
chasteté des vierges, sont autant de ruisseaux limpides qui tous découlent
d'une source unique, de leur sainteté.
Ainsi nous voyons Abraham, le
glaive dans une main, le feu dans l'autre, prêt à immoler son fils unique et à
l'ensevelir sous ses propres cendres… Pour l'empêcher d'accomplir ce cruel sacrifice, il faut
l'intervention d'un ange. Et quel puissant motif a pu le déterminer à immoler
ce fils sur qui reposaient tant d'espérances? C'était la crainte de perdre la
sainteté, en désobéissant à Dieu.
Le prophète Isaïe fut scié en
deux; Daniel fut jeté dans la fosse aux lions. Les apôtres saint Pierre,
Philippe et André furent crucifiés; saint Paul décapité, saint Barthélemy écorché,
saints Matthieu et Thomas tués à coups de flèches, saints Simon et Thaddée
coupés en morceaux […]Pourquoi tant d'horribles souffrances? Pourquoi tous ces
supplices, recherchés avec ardeur, endurés avec amour? C'était pour se
sanctifier, et pour sanctifier les autres. Et la multitude innombrable des autres
martyrs, que n'ont-ils pas souffert?
Les uns furent suspendus par les
cheveux, ou par un pied, ou par les pouces; les autres furent flagellés avec
tant de cruauté que tout leur corps n'était qu'une plaie; d'autres furent
broyés sous une meule; d'autres furent forcés d'avaler du plomb fondu;
d'autres, enduits de poix, de résine et de soufre, flamboyèrent comme des
torches vivantes; d'autres encore furent placés sur des sièges de fer
incandescents, ou consumés dans des fours ou des fournaises, ou brûlés vifs
dans l'huile bouillante; d'autres furent écartelés par des animaux, ou par des
branches d'arbre; plusieurs furent cousus dans des sacs, avec des serpents et
des chiens, puis jetés à la mer...
Or qu'est-ce qui leur donnait la
force d'endurer tous ces horribles supplices, non seulement avec constance,
mais encore avec joie? C'était le désir de conserver leur sainteté, et de la
perpétuer éternellement. Les Pères et les Docteurs de l'Eglise étaient la lumière
du monde et le sel de la terre: comme des cierges bénits qui brûlent sur
l'autel, éclairant les fidèles en se consumant, ces grands génies usaient leurs
forces, et se consumaient eux mêmes, pour éclairer et sanctifier les hommes.
Les écrits immortels des
Athanase, des Basile, des Chrysostome, des Jérôme, des Augustin, […], des
Hilaire, qu'est-ce autre chose que la fleur de leur esprit et la sainteté
distillant goutte à goutte de leurs âmes?… Quels efforts persévérants ne leur
a-t-il pas fallu faire pour acquérir une telle science, une aussi vaste
érudition! Quelles n'ont pas dû être leurs prières et la sainteté de leur vie,
pour soutenir et sanctifier leurs travaux! Que de labeurs n'a-t-il pas fallu! Que
de veilles et de sueurs pour enrichir ainsi les trésors scientifiques de
l'Eglise, et pour travailler aussi abondamment à la sanctification des âmes!
Par d'autres voies les
anachorètes atteignirent le même but, la sainteté. Quels hommes et quels
saints, que les Paul, les Hilarion, les Antoine, les Macaire, et tant d'autres!
C'étaient des arbres célestes, plantés dans le désert par la main des anges.
Morts au monde, ils ne vivaient plus que pour Dieu et pour le Ciel. Ils
habitaient des grottes et des cavernes; et, quand ils en sortaient, ils
ressemblaient à des spectres plus qu'à des êtres animés. Leurs corps étaient
semblables aux racines pâles et tortueuses dont ils se nourrissaient. Et
pourtant leur existence fut loin d'être paisible: le démon, l'ennemi éternel du
bien et de la sainteté, les poursuivait sans relâche pour les faire tomber dans
ses pièges; ils en triomphaient par la prière, la méditation et par une
mortification incroyable.
Quelques-uns passaient les nuits
en prières: depuis le coucher du soleil jusques à son lever, ils priaient sans discontinuer. Il y eut même
des solitaires aériens: ceux-ci passaient leur vie sur une haute colonne,
élevés entre ciel et la terre, par exemple, saint Siméon stylite.
Voilà à quel prix ces âmes
héroïques achetaient la sainteté. Le chœur le plus beau et le plus aimable de
la légion innombrable des saints est celui des vierges. Que n'ont-elles pas
fait et souffert pour la sainteté! Quelles étaient et leur dureté pour elles
mêmes, et leur vigilance continuelle! Quel était leur mépris du luxe, de la
richesse, des plaisirs et des pompes mondaines! Fiancées de Jésus Christ, elles
repoussaient avec dédain les propositions de mariage les plus brillantes.
Sainte Edithe, une princesse,
fille d’un roi d’Angleterre, préféra le cloître au mariage; sainte Pétronille,
obtint par ses prières de mourir trois jours avant l'époque fixée pour son
mariage. Sainte Maxellende de Cambrai fut poignardée au pied des autels, par son propre fiancé, au
moment où elle refusait de prononcer le oui sacramentel. Sainte Brigitte et
[d’autres vierges], étaient fort belles, et par conséquent exposées à
d'interminables demandes en mariage. Alors, contrairement à ce que font
ordinairement les femmes qui ne prisent rien tant que la beauté, elles prièrent
Dieu de leur enlever un bien qui ne pouvait que leur nuire, et Celui à qui l'on
plaît par la beauté de l'âme seulement, les rendit aussi laides qu'elles
avaient été belles. Elles haïssaient leur chair, comme un instrument ou une occasion
de péché, et parce qu'elles la haïssaient, elles la traitaient comme autrefois
les tyrans traitèrent les martyrs. Telle sainte disait: « Souffrir ou
mourir. » Telle autre ajoutait: « Oui, souffrir, mais non
mourir. » Et pourquoi ces vierges innocentes, qui n'avaient point de
péchés graves, exerçaient-elles contre elles-mêmes tant de rigueurs?… Ah! c'est
qu'elles savaient ce que veut dire être saint, et qu'elles voulaient devenir de
plus en plus saintes.
D'autres saints demeurèrent
chastes et continents, toute leur vie, quoiqu'ils fussent engagés dans les
liens du mariage. Tels furent, entre autres, […] le roi saint Edouard et son
épouse sainte Edithe; saint Julien et sainte Basilisse. Pourquoi ces saints
époux se sont-ils soumis à une continence perpétuelle, non obligatoire? Parce
qu'ils voulaient à ce prix conquérir la sainteté. En général, tous les saints
ont suivi une voie opposée à celle que suit le commun des hommes: ils ont
renoncé non seulement à tout ce qui est défendu par la loi de Dieu, mais encore
aux plaisirs permis, aux jouissances de l'amour-propre ou non seulement Satan
et le monde, avec leurs pompes et leurs œuvres, mais encore les affections
naturelles, lorsqu'elles n'étaient pas épurées et sanctifiées par un mobile
surnaturel. Pourquoi? parce qu'ils voulaient devenir saints. De tout cela il
résulte que la sainteté est quelque chose de grand et de sublime. Et pourtant
l'obtention de ce grand bien n'est pas très difficile. En effet, pour devenir
saint, il n'est pas absolument nécessaire de se vouer à la chasteté
perpétuelle; ni de mener la vie ascétique et pénitente des solitaires; ni de
passer les jours et les nuits à étudier les Livres saints; ni de mourir martyr;
ni d'aller prêcher l'Evangile aux sauvages du Nouveau Monde.
Pour être saint, une seule chose
est nécessaire: une bonne conscience, ou un cœur pur. Quel est le siège du vrai
bonheur? C'est le cœur.
Quel est le siège de la véritable
sainteté? C'est encore le cœur.
Quelle est la chose qui nous
appartienne le plus entièrement? Le cœur!
Eh bien, c'est dans le cœur que
Dieu a placé les conditions de notre sainteté, comme il y a placé la source et
le foyer de la vie. Que vous soyez pauvres ou riches: si vous avez un cœur pur,
vous parviendrez à la sainteté. Si vous êtes riches, soyez charitables et
bienfaisants; et vous pourrez devenir saints comme saint Jean l'Aumônier. Si
vous êtes pauvres, tellement pauvres que ‘vous soyez réduits à demander l'aumône;
vous pourrez encore devenir saints, comme saint Alexis, l’homme de Dieu. […]
Tertullien prétendait que les
empereurs et les rois ne pouvaient devenir saints; mais c'était une erreur. […]
en témoigne saint Edouard, roi d'Angleterre… Il est vrai que les princes sont plus
exposés que les autres hommes à pécher; mais d'un autre côté ils peuvent aussi
faire plus de bien; et il faut croire que Dieu les assiste plus puissamment par
Sa grâce. Il en est de même des dignités ecclésiastiques. Il y a des saints qui
se sont sanctifiés en portant la mitre, ou la pourpre; d'autres, en refusant
tous les titres, toutes les dignités. Saint Grégoire-le-Grand […] ne fut pas
moins saint que les saints qui renoncèrent à leurs charges…
Dans chaque état, le plus saint
sera toujours celui qui a le cœur le plus pur. De tous temps, les cours des
princes, foyers de corruption, d'orgueil, de mensonge et d'envie, ont été
regardées comme un séjour impropre à nourrir la sainteté; et pourtant l'on pourrait
citer un saint pour chacun des emplois qui sont à remplir près des souverains.
Saint Léger a été majordome et ministre; saint Eloi, argentier, c'est-à-dire
ministre des finances; saint Hyacinthe, premier chambellan; saint Wandrille,
grand-écuyer; […]; saint Hubert, grand veneur; saint Sébastien, chef des
Prétoriens, c'est-à-dire commandant des gardes du corps de l'empereur romain;
saint Anastase, secrétaire d'état; saint Germain, conseiller d'état; saint
Denys, ministre; saint Fulgence, trésorier; saint Ambroise […] avocat; saint
Anastase, juge; saint Basilide, huissier; saint Cyriaque, bourreau.
L'état militaire est plus
nuisible encore à la sainteté que l'atmosphère viciée des cours; et pourtant
l'on pourrait avec les guerriers parvenus à la sainteté (presque tous martyrs)
former plusieurs légions. Sous le règne des empereurs Dioclétien et Maximinien,
10.000 soldats furent crucifiés; sous le même règne, la Légion Thébaine,
comptant 6666 hommes, fut d'abord décimée, et puis massacrée sans pitié
jusqu'au dernier soldat. « La racine de tout péché, dit l'Apôtre, c'est la
cupidité. » Or quel marchand n'est plus ou moins cupide et intéressé? Et
cependant cette profession aussi compte ses saints: […] saint Fulgence, et
plusieurs autres.
Les professions manuelles, où
domine le travail assidu, sont par cela même plus favorables à la sainteté;
aussi y comptons-nous un grand nombre de saints. En première ligne nous trouvons
saint Joseph et les apôtres. […] Saint Symphorien sculpteur; […] saint Flore,
saint Andronic et saint Eloi ont été orfèvres; saint Dunstan, maréchal ferrant;
saint Marcien, armurier; […] les
frères saint Crépin et saint Crépinien, cordonniers; […] saint Onufre,
tisserand; […] saint Isidore, et saint Cyriaque laboureurs; […].
Il est écrit: « Si votre œil est
pur, tout votre corps sera pur. » On peut dire de même: Si votre cœur est pur
et saint, toute votre âme sera pure et sainte, quelle que soit d'ailleurs
l'élévation ou la bassesse de votre condition. Et tous les hommes, même les
pécheurs, peuvent prétendre à la pureté du cœur, c'est-à-dire à la sainteté. […]
Si parmi vous il s'en trouve un qui soit entré dans cette église comme pécheur,
il pourra en ressortir saint. Le lépreux de l'Evangile se prosterna devant le
Sauveur, et lui dit: Seigneur, si Tu le veux, Tu peux me guérir! Le Seigneur
répondit: Je le veux, sois guéri. Et aussitôt le lépreux fut guéri.
Avec la même facilité, et même
plus facilement encore, vous pouvez guérir du péché, qui est la lèpre de l'âme,
si vous le voulez. Pour cela, vous n'avez qu'à répondre oui à une question: Vous
repentez vous d'avoir offensé la bonté et la majesté infinies de Dieu? Vous
repentez-vous d'avoir été si ingrats envers Celui Qui vous a créés, et Qui vous
a rachetés au prix de Son Sang?
Si à cette question vous répondez sincèrement, du fond de
votre cœur oui, alors votre cœur est déjà pur. Donc, pour devenir saint,
il suffit d'un seul mouvement du cœur, d'un seul acte de contrition parfaite et
d'amour.
Faites en ce moment ces deux
actes, et persévérez dans les mêmes sentiments jusques à la fin de votre vie; et
la sainteté vous sera assurée, ainsi que la félicité éternelle.
d’après
A. STOLZ
LEGENDES
OU VIE DES SAINTS
1867
Notes:
(1) En Orient, tous les saints sont célébrés le Dimanche
après la Pentecôte. La fête de Tous-les-Saints, ou la Toussaint, fut instituée en
Occident par le Pape orthodoxe Boniface IV, en 607, lors de la dédicace du Panthéon.
(2) Les six chœurs des saints
sont: les Patriarches, les Prophètes, les Apôtres, les Martyrs, les Confesseurs
et les Vierges.
(3) «Le beau n'est que la splendeur
du vrai», a dit Platon.
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