"Dans la confusion de notre époque quand une centaine de voix contradictoires prétend parler au nom de l'Orthodoxie, il est essentiel de savoir à qui l'on peut faire confiance. Il ne suffit pas de prétendre parler au nom de l'Orthodoxie patristique, il faut être dans la pure tradition des saints Pères ... "
Père Seraphim (Rose) de bienheureuse mémoire

mercredi 8 août 2018

Professeur Alexei Ossipov : Qu'est-ce que l’illusion spirituelle [Prelest en russe]?


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L’illusion spirituelle( prelest en russe, en grec, "plani") est le corrélat spirituel de l'hypertension artérielle : sa progression est lente et silencieuse, et elle passe souvent inaperçue jusqu'à ce qu'elle atteigne un stade mortel. De nos amis d'Orthochristian.com, voici deux articles sur l’illusion spirituelle qui traitent à la fois de ses dangers et des mesures préventives contre elle.
Cette discussion sur le terme "prelest" a été tirée d'une séance de questions-réponses avec le professeur Alexei Ilyich Ossipov de l'Académie théologique de Moscou à Sergiev Posad.

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Qu'est-ce que l’illusion spirituelle [Prelest]? C'est le terme lest [Russe pour "flatterie"] pris au plus haut degré. Nous pouvons flatter quelqu'un d'autre, nous pouvons nous flatter nous-mêmes ; c'est-à-dire que non seulement nous pouvons, mais nous nous flattons nous-mêmes. Qu'est-ce que ça veut dire quand on dit : "Je me flatte ?" Ce n'est pas dans le sens où j'essaie de me convaincre que je suis très bon, que je suis le meilleur au monde. Non, tu n'as même pas besoin de me convaincre, je sais que je suis bon. Et ce n'est pas du tout important pour moi que quelqu'un me critique pour quelque chose ; cette personne est simplement un imbécile, il ne comprend tout simplement pas que je suis bon. C'est de ça qu'il s'agit ! Il y a des gens stupides, c'est vrai. Qui est stupide ? Celui qui me critique. Il n'apprécie pas que je sois le meilleur au monde.
Vous savez, c'est intéressant - je vois vraiment que je fais des erreurs, que parfois je fais des choses mauvaises ; mais néanmoins, je me sens bien. Comme c'est intéressant ! Je suis bon, et ce sentiment est invincible en moi. C'est le niveau auquel je vis.
Mais j'ai décidé de faire plus que je ne le fais même maintenant ; en tant que chrétien, je vais commencer à travailler dans l'ascétisme. Je ne vais pas seulement lire les prières du matin, mais ajouter 100, 200, 300 prières de Jésus. Je lirai le Psautier dans l'après-midi, un acathiste. Je commencerai à aller à l'église plus souvent, et ainsi de suite. Je ferai beaucoup plus.
Et si je ne comprends pas ce qui se passe en ce moment, alors mon "moi", que je considère comme le meilleur au monde, commence à monter comme une pâte levée. Je commence à sentir que je ne suis pas seulement bon, mais simplement,  saint. De plus, je peux commencer à avoir des rêves inhabituels, voire des visions, des états délicieux, etc.
L’illusion spirituelle est l'état dans lequel une personne se considère comme un saint. Parfait. Digne de Dieu, digne de tous les dons de Dieu, voilà ce qu'est l’illusion spirituelle.
C'est pourquoi on l'appelle "prélest" en russe - parce que la flatterie [lest], l'autoflatterie est essentiellement présente en nous tous. Ici une personne a, ou du moins lui semble-t-il, travaillé, et par son propre travail a atteint beaucoup, acquis beaucoup, beaucoup - et elle tombe dans l’illusion spirituelle.
Dans cet état, l’illusion spirituelle est souvent associée à un état du corps très intéressant. Par exemple, Saint Ignace (Briantchaninov), évêque du Caucase et de Stavropol, écrit à propos d’un moine du Mont Athos qui lui a rendu visite à Saint-Pétersbourg. C'était l'hiver, le froid était glacial, mais le moine n'était vêtu que d'une soutane et de sandales.
"Tu n'as pas froid ?
"Non, pas du tout."
Et le moine n'a presque rien mangé. "Tu n'as pas faim ?"
"Non, pas du tout."
Saint Ignace (Briantchaninov), un génie rare, utilisait la méthode socratique... Saviez-vous que Socrate n'a jamais essayé de convaincre qui que ce soit ? Il posait toujours des questions, mais les posait d'une manière telle que l'autre personne ne pouvait pas trouver une issue. Devons-nous citer un exemple avant de parler de Briantchaninov ? Socrate a demandé à un sophiste : "Hippios, j'ai entendu dire que tu es un homme très intelligent. C'est vrai ?"
"Je le jure sur le chien, Socrate, tu as raison."
A l'époque, jurer surr le chien était le plus grand serment possible ! Pour une raison quelconque, "chien" est aujourd'hui dérogatoire. Mais un chien est l'être le plus loyal. Hippios était ravi - Socrate lui disait qu'il était un homme intelligent ! Et ses disciples étaient tous debout autour de lui.
"Eh bien, Hippios, voilà pourquoi je te le demande."
"Oui, Socrate, qu'est-ce que tu veux ?"
 "Dis-moi, Hippios, qu'est-ce que la beauté ?"
 "Socrate, tu ne comprends pas ? Eh bien, un beau cheval... tu sais ?"
 "Non, Hippios, je ne parle pas de chevaux."
 "Eh bien, une belle femme...."
 "Hippios, ne comprends-tu pas que la plus grande beauté du monde pour la déesse est le singe ? Je te demande ce qu'est la beauté ?"
 "Eh bien, Socrate, tu veux quelque chose que je ne comprends pas...."
 Il y eutt des rires tout autour. Hippios le "sage" parti dans la honte, s'est enfui.... D'ailleurs, c'est pour cela que Socrate n'aimait pas tous ces sophistes.
 Ainsi, Ignace (Branchinov), en utilisant la méthode de Socrate, demanda à ce moine du mont Athos : "Hé, comment en es-tu arrivé là ? Ce serait bien pour moi aussi ; je n'aurais pas besoin de vêtements. Je porte toujours un manteau de fourrure. Et si je pouvais manger moins.... Ignace (Briantchaninov) continue à parler de tout cela. Le moine athonite commence à lui expliquer avec chaleur comment il devait prier et ce qu'il devait faire : "Prie, place-toidevant le Seigneur Dieu, le Christ Lui-même, tu dois le prier avec ferveur !"
"Pour quoi devrais-je prier ?"
 "Pour que le Seigneur t'accorde ceci ou cela..."
 "Mais qu'en est-il des péchés ?"
 "Bien sûr pour les péchés... Oh, laisse-moi tranquille...."
 Alors saint Ignace dit au moine : "Bien sûr, je ne comprends pas ces questions, mais vous, sur le mont Athos, vous savez tout. C'est Saint-Pétersbourg, tu sais, la vie mondaine... Mais j'ai lu dans St Isaac le Syrien et Abba Dorothée - toi, tu sais, ces saints pères - ils écrivent que nous devons prier de cette façon..." Et il lui a dit comment. "Moi-même, je ne suis pas en état d'essayer de prier ainsi - je suis l'higoumène d'un monastère. Mais peut-être peux-tu essayer ?"
 "D'accord, je vais essayer."
 Il s'écoula environ trois semaines, ou un mois, et ce moine vint de nouveau rendre visite à saint Ignace. Et saint Ignace lui dit : "Tu resteras dans la maison d'hôtes. Je te conseille de rester au premier étage."
 "Pourquoi ?"
 "Eh bien, juste au cas où. Et si des anges venaient soudainement t’emporter ?"
 "Tu sais, Père archimandrite, c'est vrai ! J'ai eu ces mêmes visions quand les anges ont voulu m'emmener directement au Mont Athos..."
 "Oui, c'est pour ça que je te dis ça. Et si des anges t’emmènent et te lâchent accidentellement quelque part sur le chemin ? Il vaut mieux que tu restes au premier étage."
 Un mois plus tard, ce moine apparut à nouveau à la porte de saint Ignace dans très en colère. "Qu'est-ce que tu m'as fait ?"
 Il est arrivé avec un manteau de fourrure, des bottes de feutre, et a dit qu'il avait commencé à avoir froid et à manger beaucoup. "J'ai prié comme tu m'as appris, et maintenant je ne peux plus faire ce que j'ai fait auparavant." En général, il était fait pour être attaché.
 Eh bien, on peut voir  les fruits de l’illusion spirituelle. Il s'avère qu'il y a la vraie prière, et il y a la fausse prière. Apparemment, c'est comme ça. Il y a la bonne voie, qui conduit la personne là où elle commence à se voir elle-même. Et il y a le chemin inverse, qui tend à couvrir le véritable moi d'une personne, et elle ne voit plus rien de mal en elle-même - pas d'insuffisances, pas d'erreurs ; elle ne voit que la sainteté totale. C'est l’illusion spirituelle. Elle s'accompagne souvent de sensations de nature physique, comme le montre l'exemple ci-dessus.
 Il y a un Athonite des temps modernes, le moine C., qui suggéra à un jeune homme de commencer par dire 14.500 prières de Jésus à voix haute, rapidement et distinctement, afin que "les démons ne sautent pas à travers les paroles de la prière". Sa langue se mit à marteler la prière comme un moteur. Et quand ce jeune homme qui n'avait jamais rien fait de tel auparavant avait tambouriné pendant quatre heures, il sentit une douceur dans sa bouche partout où il allait. Son staretz C. était extatique. "Seulement quatre heures et tu as déjà acquis la grâce ! D'autres passent des années, des décennies, et maintenant tout va bien pour toi – tu n’as besoin de rien de plus." C'est une fausse voie.
 L’illusion spirituelle est un état qui amène une personne à l'auto-opinion, et  cet état d’illusion conduit sur un chemin faux, erroné - d'abord la prière sans comprendre que le premier signe d'une âme saine est quand elle voit son péché, qui existe naturellement en nous. Et si je ne vois pas ça, c'est que je suis aveugle.
 Voilà ce qu’est l’illusion spirituelle, si vous voulez le savoir brièvement. Encore une fois, je vous conseillerais fortement d'avoir à proximité, au moins sur votre étagère, les œuvres de saint Ignace (Briantchaninov). Ses écrits patristiques, avec des passages des Saints Pères et même de brèves histoires, sont très intéressants. Ses lettres à diverses personnes, à des officiers militaires ainsi qu'à des poètes et compositeurs, dont M. I. Glinka, sont extraordinairement intéressantes. Ces lectures sont indispensables.

Version française Claude Lopez-Ginisty
d'après

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