"Dans la confusion de notre époque quand une centaine de voix contradictoires prétend parler au nom de l'Orthodoxie, il est essentiel de savoir à qui l'on peut faire confiance. Il ne suffit pas de prétendre parler au nom de l'Orthodoxie patristique, il faut être dans la pure tradition des saints Pères ... "
Père Seraphim (Rose) de bienheureuse mémoire

lundi 31 octobre 2011

Sur le blog du moinillon


brat Iosif

C'est aujourd'hui, dimanche, le quatorzième anniversaire
de la mort en martyr de José, de brat Iosif.

MÉMOIRE ÉTERNELLE.
Que le Seigneur accorde le repos à son âme !

Le Père Méthode d'Odessa lui a dédié un chant
(voir vidéo ci-dessous sur le  blog

Un chemin vers saint Silouane (VII)






Voilà des siècles que les générations battent le sentier du Christ, lequel passe aussi par la Croix et la mort de la Croix. Comment se peut-il donc qu’à toi seul les afflictions rencontrées en chemin semblent étrangères au sentier ? Ne souhaites-tu pas mettre tes pas dans les pas des saints ? Ou aurais-tu quelque idée d’inventer un chemin à toi, pour y faire route sans souffrir ?
Saint Ephrem le Syrien

Ayant pris conscience de l’inéluctabilité annoncée, non de la mort, mais de notre mort , nous nous engagerons sur la Voie du Salut en demandant l’intercession du staretz. Notre parcours spirituel sera semé d’embûches et d’entraves. Il n’en serait pas ainsi si le but n’en valait la peine. Nous devrons être particulièrement attentifs à toujours garder à l’esprit que ce n’est pas l’exaltation intellectuelle que nous recherchons : Platon et Spinoza peuvent nous la donner à moindre prix, mais sans nous gratifier cependant de cette Vie Eternelle vers laquelle nous voulons aller.
L’écueil immense que nous permet d’éviter le saint staretz est celui de l’intellectualisme. Ce danger guette plus particulièrement ceux qui, en Occident, sont venus à l’Orthodoxie. Il n’est pas question de juger de la démarche qui a conduit à embrasser la foi orthodoxe. Dieu, dit le proverbe portugais, écrit droit avec des lignes courbes. L’histoire de toute conversion est une merveilleuse harmonie de faits hétéroclites et de rencontres inattendues, avant d’accéder à la pure grâce de la découverte du Christ dans l’Eglise, et à l’envie vivante de devenir membre de Son Corps. 
Très souvent après la conversion, on se constitue une bibliothèque et, fréquemment, la lecture prend très vite le pas sur la prière et le temps consacrés à Dieu. En situation de diaspora, donc de minorité, le converti se sent obligé de s’éduquer, sans guidance spirituelle aucune, de connaître plus intellectuellement la foi qu’il vient d’embrasser. Cette attitude devient paradoxale, lorsqu’il agit comme s’il voulait étayer la pure grâce accordée par le Verbe incarné, par le troupeau des mots de l’homme, aussi subtils et intéressants soient-ils. Est-il vraiment nécessaire de donner une légitimité à cette certitude heureuse que Dieu atteste en Lui saintement, sans support intellectuel ?
Il est, certes, tout à fait légitime de s’instruire dans la foi et de lire, mais si la connaissance intellectuelle tient lieu d’oraison, et qu’elle la remplace, elle est inutile. Il n’est nul meilleur écrin au pur joyau de l’adhésion à la Vie, que la Vie elle-même, c’est-à-dire la prière au Créateur. Si notre lecture ne nourrit pas notre prière, à quoi peut-elle servir ? Combien de fois avons-nous pris l’exaltation intellectuelle devant une belle pensée, un beau raisonnement, un système théologique, pour la Connaissance de Dieu, et la joie de l’intelligence — pourquoi ne pas parler de l’exaltation et exultation orgueilleuse de notre moi flatté d’accéder à cette compréhension — pour une manifestation de la grâce divine ? Ceux qui agissent ainsi, non seulement "inclinent à se contenter de la joie intellectuelle qu’ils y puisent" (A. Sophrony, op. cit., p. 140), mais ne pensent pas plus loin et croient avoir réellement vécu une rencontre avec l’Etre.
Par un autre effet pervers, induit par la situation de minorité de la diaspora orthodoxe, il est de bon ton d’avoir lu tout ce qui se publie et d’en parler, de comparer, de soupeser les spirituelles marchandises en se donnant l’impression de faire œuvre pie. Ce qui ne nous aide pas à mieux prier, à mieux aimer les autres et à avancer vers le Royaume, est de peu d’intérêt pour nous.
L’exaltation, l’exultation spirituelle, quand bien même elles viendraient de savants ouvrages théologiques, ne sauraient tenir lieu de lien spirituel avec le Christ. La seule prière peut conduire, non à l’exaltation — qui serait de l’ordre de l’illusion spirituelle — mais à la douce componction dont témoigna le staretz Silouane tout au long de sa vie. 
Ni les Pères, ni les plus estimables théologiens, ni le staretz lui-même ne doivent à travers leurs écrits devenir de simples objets de "méditation" sans prise sur la réalité du monde spirituel et sur l’amour du prochain. Dire que l’on aime le saint staretz ne peut être vrai que si l’on tente de suivre son exemple. On ne peut que tenter de le faire — sa stature est très haute et nous ne sommes pas à sa mesure — mais la grâce de Dieu venant en aide à notre peu de foi, notre chemin vers le Christ deviendra plus clair.
Combien écrivent, citant Saint Silouane, qu’il faut "donner son sang pour son frère et recevoir l’Esprit", et démentent aussitôt cette parole en gaspillant de l’encre pour exclure de la fraternité humaine ceux qui n’ont pas dans l’Eglise, ou bien ailleurs, l’heur de leur plaire ou de partager certaines de leurs opinions parfois contestables ? "Bien des gens sont capables de parler avec aisance de l’amour du Christ, mais leurs œuvres sont un scandale pour le monde, et c’est pourquoi leurs paroles sont privées de force vivifiante" (A. Sophrony, op. cit., p. 120).


© Claude Lopez-Ginisty
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Une première version de ce texte 
a été publiée
aux 
Editions du Désert 
en 2003 
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L'Ermitage du cœur (311)


Comme les pèlerins 
Sur la route d'Emmaüs
Tu rencontre le Christ
Mais tu ne le sais pas

上帝的朋友 ( L'ami de Dieu)

La planète de l'Orthodoxie

dimanche 30 octobre 2011

Irina Yamashita (山下りん イリーナ), première iconographe orthodoxe du Japon


山下りん イリーナ
Irina Yamashita, 
première iconographe orthodoxe japonaise

Icône de la résurrection des mains d'Irina Yamashita

Irina (Irène) Rin Yamashita, une des premières converties au christianisme orthodoxe, de l'Archimandrite Nicolas, plus tard saint Nicolas du Japon, a été la première iconographe et peintre d'art religieux de la mission orthodoxe de saint Nicolas au Japon. Des exemples de ses oeuvres sont conservées dans de nombreuses églises orthodoxes parmi les plus anciennes du Japon, ainsi que dans des collections privées dans sa ville natale de Kasama.

Vie

Irina Yamashita est né à Kasama, au Japon, le 22 mai 1857. Comme adolescente, elle déménagea à Edo (Tokyo) pour apprendre l'art japonais traditionnel de la gravure sur bois (ukiyo-e) dans différents ateliers. En 1877, elle entra à l'Académie nationale pour les Beaux-Arts nouvellement établie et étudia la peinture occidentale. Grâce à une amie, Varvara (Barbara) Yamamuro, à l'institut, elle rencontra l'archimandrite Nicolas et s'intéressa au christianisme orthodoxe. En 1878, elle fut baptisée chrétienne orthodoxe. Notant son talent en tant qu'artiste, l'évêque Nicolas, en 1880, permit qu'elle aille étudier l'iconographie en Russie pendant cinq ans. 
A cette époque, son professeur à l'Académie nationale, Antonio Fontanesi démissionna et retourna en Italie, et elle perdit l'intérêt d'étudier à l'académie. Laissant l'Académie nationale, elle fut envoyée en Russie par un arrangement de l'évêque Nicolas et étudia au monastère de moniales de la Résurrection de Novodievitchi à Saint-Pétersbourg, en Russie, de 1881 à 1883. 
À Saint-Pétersbourg, elle eut des occasions de visiter le Musée de l'Hermitage et fut impressionnée par les peintures de style occidental, y compris celles de Raphaël Santio. D'autre part, elle avait des difficultés étant attirée par les icônes de style byzantin, et parfois même elle exprima sa frustration. En 1883, l'évêque Nicolas la rappela au Japon selon ce qui avait été prévu prévu.
Elle retourna au Japon où elle devint l'artiste principale d'art religieux, dont l'iconographie, au siège de la mission de Kanda à Tokyo Suragadai. Elle résidait dans la zone du quartier général, dans le dortoir du Séminaire orthodoxe féminin de Tokyo.
Au cours des années suivantes, Irina produisit beaucoup d'icônes et d'autres œuvres religieuses et des illustrations pour la Mission japonaise orthodoxe. Son talent et sa dévotion à son occupation était respectés parmi les fidèles. 
En 1891, elle peignit une icône de la Théotokos comme cadeau de l'Eglise du Japon au prince héritier Nicolas, le futur Nicolas II de Russie  qui visitait le Japon cette année-là.
On se souvient d'elle comme le leader et précurseur de l'iconographie au Japon. Irina ne s'est jamais mariée et a vécu une vie de célibat, bien dans le style d'un monastère orthodoxe. En 1918, elle prit sa retraite et retourna dans sa ville natale, Kasama. Elle est décédée en 1939.

Version française Claude Lopez-Ginisty
d'après
http://orthodoxwiki.org/Irina_Yamashita



Quelques œuvres d'Irina Yamashita

Elle restaura aussi certaines icônes de la cathédrale
de l'Annonciation de Tokio (video ci-dessous)

Un chemin vers saint Silouane (VI)




Etre prêt à mourir, c’est se rapprocher du Royaume


"Que faut-il faire pour avoir la paix dans l’âme et dans le corps ? Pour cela, il faut aimer tous les hommes comme soi-même et être, à toute heure, prêt à mourir. Quand l’âme se souvient de la mort, elle devient humble, se livre tout entière à la volonté de Dieu et désire être en paix avec tous et aimer tous les hommes" ( Archimandrite Sophrony,op. cit., p. 285 – Ecrits).
La mémoire de la mort est difficile à notre époque où ne sont exaltés que la réussite personnelle mondaine, le succès en affaires, et toutes formes d’exploits dérisoires aux yeux de l’éternité. La voie qui consiste à se souvenir de la mort est essentielle puisque pour nous chrétiens, la mort est l’entrée dans la Vie. C’est l’instant ultime et révélateur aussi de l’existence des croyants. Au Mont Athos, on attend de voir mourir un moine avant de savoir s’il a trouvé véritablement la Voie. 
Dans nos communautés, il est rare qu’un enseignement sur la mort nous soit systématiquement donné. Le plus souvent, ce sont les défunts qui dans leur dignité immobile rappellent à la communauté des fidèles le sort commun des hommes. Au milieu de l’église, à cercueil ouvert, nous les voyons avec les yeux de la douleur plus qu’avec ceux de la foi. 
Les hymnes funèbres, le chant de "mémoire éternelle" ont une grande solennité qui nous fige dans un respect poignant au moment des adieux. Les visites sur les tombes aux périodes pascales donnent une image plus sobre de la mort, mais ce sont des instants minuscules dans l’océan du temps, et nous n’avons — à moins de la chercher — nulle réelle préparation à la mort. Si le staretz nous demande de nous souvenir de la mort, nous devons le faire afin de trouver l’humilité salvifique.
Le métropolite Antoine de Souroge de bienheureuse mémoire fit, lors d’un congrès orthodoxe à Dijon, une conférence sur la mort. Elle fut reprise dans la revue Sobornost (Vol. 1, pp. 8-18, 1979). Ses propos méritent d’être rapportés car ils peuvent nous aider à cerner ce "souvenir ou cette mémoire de la mort" dont parle le staretz et nous donner un véritable enseignement pour y parvenir.
Dans un premier temps, il nous parle de la conscience du présent. "La mort est la pierre de touche de notre attitude envers la vie. Les gens qui ont peur de la mort, ont peur de la vie." C’est la raison pour laquelle il nous faut affronter très tôt le problème de la mort, et nous déterminer fermement par rapport à elle. Nous ne devons pas remettre à plus tard cette question importante car nous ne sommes pas maîtres du temps qui nous reste. Ayant accepté de nous confronter à la mort, nous pourrons alors vivre "sans crainte et dans la plénitude de nos capacités."
"Il est une injonction patristique, répétée pendant des siècles, qui dit que nous devrions nous souvenir de la mort pendant toute notre vie. […] Nous avons besoin de comprendre la mémoire de la mort dans sa pleine signification comme exaltation et non comme diminution de la vie."
"L’injonction de se souvenir de la mort, n’est pas un appel à vivre avec un sentiment de terreur dans la conscience constante que la mort va nous prendre, et que nous allons périr complètement, avec tout ce que nous avons cru. Cela signifie plutôt : Sois conscient du fait que ce que tu dis à présent, ce que tu entends, supportes ou reçois maintenant peut-être le dernier événement ou la dernière expérience de ta vie présente. Auquel cas, cela doit être un couronnement, et non une défaite, un sommet, et non un abîme. Si seulement, lorsque nous sommes en présence d’une personne, nous comprenions ce que pourrait être le dernier instant de sa vie ou de la nôtre, nous serions plus "intenses", plus attentifs aux paroles que nous prononçons et aux choses que nous faisons.
[…] Le moment le plus important de la vie est le présent — c’est le seul que nous ayons car le passé s’est enfui, et le futur n’est pas encore là. L’action la plus importante dans ce présent consiste à faire quelque chose de juste. Et la personne la plus importante dans la vie, est la personne qui est avec vous à l’instant présent, et pour laquelle vous pouvez faire quelque chose de bien, ou quelque chose de mal. Voilà précisément ce que l’on entend pas la mémoire de la mort.
[…] Si seulement nous pouvions percevoir le caractère d’urgence de chaque instant avec la conscience qu’il pourrait être le dernier, notre vie changerait profondément. Les paroles oiseuses que condamne l’Evangile (Matthieu 12, 36), toutes ces déclarations et ces actions qui n’ont aucun sens, qui sont ambiguës et destructrices, n’auraient pas de place. Nos paroles et nos actions seraient pesées avant d’être dites ou faites […] pour exprimer la perfection dans nos relations, jamais moins que cela.
[…] Toute vie est à chaque instant un acte ultime".
Le Métropolite Antoine parle ensuite de la peur de la mort et de la mort souhaitée.
"Nous savons par expérience, la nôtre et celle des autres, que nous avons peur de la mort et que nous sommes incertains à son propos. Pour être plus précis, je pense que nous craignons plus le processus de la mort que le fait de la mort lui-même. La plupart des gens accepteraient la mort s’ils étaient sûrs qu’elle vienne comme le sommeil, sans une période intermédiaire de crainte et d’incertitude.
"Si nous considérons les saints, nous découvrons une tout autre attitude envers la mort. Leur amour de la mort n’était pas fondé sur la crainte de la vie. Quand saint Paul dit : "Pour moi vivre c’est Christ et mourir m’est un gain […] j’aimerais partir et être avec Christ, ce qui est bien préférable" (Phil 1, 21, 23), il exprime une attitude complètement positive par rapport à la mort. La mort lui apparaît comme la porte qui ouvre sur l’éternité, lui permettant de rencontrer face à Face le Seigneur qui est tout son amour et toute sa vie.
[…] Pour être capable de souhaiter la mort de cette manière particulière, et de voir la mort comme le commencement de notre vie, son déroulement dans la mesure sans mesure de l’éternité (pour utiliser la phrase paradoxale de saint Maxime le Confesseur), nous devons avoir, ici et maintenant, l’expérience de la vie éternelle. Nous ne devons pas penser que la vie éternelle est quelque chose qui viendra plus tard, comme un bonheur futur ou une future sécurité. Les apôtres ne devinrent sans crainte que lorsqu’ils eurent — hic et nunc — part à la vie éternelle. Tant qu’ils n’avaient pas reçu le témoignage de la Résurrection du Christ, tant qu’ils n’avaient pas reçu l’Esprit, ils avaient encore peur et s’accrochaient avec crainte à leurs vies temporelles. Mais dès qu’ils eurent accès à la vie éternelle, leur crainte de perdre leurs vies temporelles disparut, car ils surent que la haine, la persécution et le meurtre ne pouvaient rien faire que les délivrer des limitations de cette vie, et leur permettre d’entrer dans les profondeurs sans bornes de la vie éternelle. Et cette vie éternelle était connue comme expérience présente, et non comme un acte de foi. 
La même chose est vraie pour les martyrs. Ils étaient prêts à mourir et à posséder la liberté souveraine du don de soi parce qu’ils connaissaient la vie éternelle et y étaient entrés dans une certaine mesure.
La mort est un événement dans la vie de tous les jours" […] "mourir d’un point de vue pratique signifie sortir de la conscience de soi-même jusqu’à l’oubli de soi. C’est quelque chose que beaucoup craignent de faire. Pourtant, chacun d’entre nous va dormir chaque soir, se perdant complètement dans le sommeil sans aucune crainte. Pourquoi ? Parce que nous sommes certains — et jusqu’à un certain point sans raison aucune — que nous nous réveillerons le lendemain, […] dans ce sens-là, nous affrontons la mort avec confiance chaque nuit. Et quand cette sorte de mort temporaire ne vient pas facilement fermer nos yeux, nous allons jusques à prendre des somnifères ou des boissons qui induisent le sommeil".
Le Métropolite Antoine citant ensuite Romano Guardini, parle alors très à propos de ces "morts-transformations" que nous acceptons naturellement lorsque nous passons de l’état de nourrisson à celui d’enfant, d’adolescent pour finalement parvenir à l’âge adulte. Pour notre développement, beaucoup de choses meurent en nous dans ces transformations successives, et notre vie devient différente. La mort est une de ces transformations. Le processus qui conduit à la mort est en nous tout le temps. 
Contrairement à nos parents qui se désolent de voir évoluer leurs enfants et qui aimeraient les garder toujours dans leur âge enfantin, les privant de leur croissance naturelle, nous devons, nous , devenir plus conscients de la présence de ce potentiel de croissance et de changement en nous et "y participer plus activement. Alors serons-nous moins effrayés de la mort comme d’une perte irrévocable. Nous la regarderons plutôt comme une partie inévitable du processus par lequel nous grandissons en vue d’une vie plus mûre et plus concrète".
Le Métropolite Antoine mentionne ensuite la mort à soi-même.
"Le Christ nous appelle à mourir à nous-mêmes. Que veut dire ceci ? La phrase est ambiguë, comme tout ce qui est dit au sujet de la mort. Cela signifie-t-il l’autodestruction ? Beaucoup imaginent que oui, et essaient de l’appliquer dans ce sens. Heureusement ils échouent mais ils restent à jamais blessés par la terreur qu’ils en ont éprouvée. Bien compris, mourir à soi-même signifie accepter cette mort progressive des choses en nous jusques au moment où nous parvenons au point où nous réalisons qu’il y a en nous un moi réel et profond, qui a sa place dans l’éternité, et un moi superficiel qui doit être dissous. Nous devons nous débarrasser du moi superficiel afin de vivre pleinement. 
[…] Ainsi, mourir signifie ne rien laisser en nous que ce qui est essentiel à la plénitude de la vie. […]
Il est vrai que mourir ce n’est pas être dépouillé de la vie temporelle, mais être revêtu de l’éternité. […] S’il n’y avait nulle mort dans un monde de péché, de mal et de corruption, nous nous dégraderions lentement et nous nous désintégrerions sans être capables d’échapper à l’horreur d’une telle dégradation graduelle.
[…] Nous devrions garder à l’esprit qu’il y a deux aspects de la mort. Il y a la mort physique et il y a aussi la mort comprise comme séparation d’avec Dieu, descente au shéol, lieu où Dieu n’est pas, lieu de son absence radicale et définitive. C’est ce second aspect de la mort qui est certainement le plus cruel et le plus atroce". Le Christ connut ces deux morts mais, ajoute le Métropolite avec l’Eglise, descendant au lieu "où se trouvaient ceux qui avaient perdu Dieu descendaient, Il y apporta avec Lui la plénitude de la Présence Divine. Par conséquent, il n’est plus de lieu où Dieu ne soit".
Le Métropolite Antoine affirme ensuite avec force que "si Dieu n’est pas le Dieu des morts, mais Celui des vivants (Matthieu 22, 23), alors tous ceux qui ont quitté cette vie sont vivants en Lui ; nous pouvons, en ce qui nous concerne, nous tourner vers eux pour obtenir leur intercession ou leur pardon. […] La mort n’est pas la fin. Le bien que nous avons fait, continue après nous, et porte des fruits dans la vie des autres. Malheureusement, le corollaire est également vrai, nous pouvons aussi leur laisser un héritage de mal".

La mort, la nôtre ou celle des autres, nous fait comprendre, non seulement le prix très grand de cette vie, mais elle nous responsabilise grandement et sérieusement dans la perspective du Royaume à venir.
Il est de bon ton de nier l’existence de l’Enfer ou de n’en point parler. S’il y a comme une gêne à mentionner ce mot, que dire de sa réalité intrinsèque ? Alors on le réduit à des dimensions terrestres bien humaines. Il est vrai que l’imagerie occidentale du Moyen Âge a fait de ce lieu une caricature où Dieu, le Dieu d’Amour qui avait donné Son Fils unique pour sauver les hommes, semblait Se complaire au spectacle pervers d’une sorte de barbecue anthropophage, tandis que les séides de Son éternel adversaire s’abandonnaient à leur soif de tortures et de souffrances. 
Mais esquiver cette aberration par la croyance non moins aberrante de l’hypocatastase selon laquelle tout le monde entier sera sauvé, n’est guère plus prégnant de sens puisque par là même, si le salut est automatiquement garanti à tous, il devient contrainte. La liberté de l’homme n’existe plus alors, l’existence de l’homme et celle de Dieu deviennent inutiles par la disparition même de l’Amour et de la liberté qui le fonde. Nous devons prier pour que le salut soit accepté par tous, car il est en vérité offert au monde entier sans exclusion aucune.
"La sainte pensée de l’Eglise est que tous soient sauvés. Et la voie que suit l’Eglise pour atteindre ce saint but, c’est la patience, c’est-à-dire le sacrifice. En prêchant dans le monde l’amour du Christ, l’Eglise appelle tous les hommes à la plénitude de la vie divine, mais les hommes ne comprennent pas et le rejettent. […] Mais dans l’accomplissement de l’œuvre du Christ sur la terre, le salut du monde entier, l’Eglise assume consciemment le poids de la fureur générale, de même que le Christ a pris sur Lui les péchés du monde. (Archimandrite Sophrony, Op. cit. p. 120)
L’Enfer, selon l’enseignement traditionnel, est un lieu qui n’est pas distinct du Paradis. Tous les hommes seront face à l’Amour de Dieu. Mais ceux qui auront refusé cet amour, le ressentiront comme brûlure inextinguible et ceux qui l’auront accepté, le recevront comme ineffable joie, intense exultation.
"Je maintiens aussi que ceux qui sont châtiés dans la Géhenne sont fouettés des verges de l’Amour. Oui, qu’est-il de si amer et de si véhément que le tourment de l’Amour ? Je veux dire que ceux qui ont acquis la conscience d’avoir péché contre l’amour souffrent de ce fait un plus grand tourment qu’ils ne souffriraient de la crainte d’aucun châtiment. Car la douleur qu’inflige à leur cœur le péché contre l’Amour est plus cuisante que ne l’eût été n’importe quel tourment. Et il serait incongru de penser que, fut-ce dans la Géhenne, les pécheurs puissent être privés de l’Amour de Dieu. L’Amour est ce fruit né de la connaissance de la Vérité qui, selon l’aveu commun, est donné à tous. La puissance de l’amour œuvre alors de deux sortes : elle tourmente les pécheurs, comme il arrive ici-bas, lorsqu’un ami souffre à cause d’un ami ; mais elle devient une source de joie pour ceux qui ont observé ses commandements. Aussi dis-je que là est le tourment de la Géhenne : dans l’amer regret. Mais l’amour, par sa jouissance, grise les âmes des enfants du Paradis. (Saint Ephrem le Syrien in Mère Xénia, Nostalgie de la Vie spirituelle, p. 68 - © Fraternité Saint Grégoire Palamas s. d.)

Or donc, si nous voulons être conséquents dans notre volonté — avec la grâce de Dieu — de rejoindre le lieu céleste de Son Amour, ce ne seront pas les paroles, ou la seule affirmation de notre amour pour Lui qui nous sauveront, mais nos actes en conformité avec Ses commandements. "Ceux qui me disent Seigneur, Seigneur, n’entrerons pas tous dans le Royaume des Cieux, mais celui-là seulement entrera, qui fait la volonté de mon Père Qui est dans les Cieux" ( Matthieu 7, 21)


© Claude Lopez-Ginisty
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Une première version de ce texte 
a été publiée
aux 
Editions du Désert 
en 2003 
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L'Ermitage du cœur (310)


Elève-toi par la prière
Comme Zachée dans son arbre
Pour voir le Seigneur

上帝的朋友 ( L'ami de Dieu)

samedi 29 octobre 2011

Feuillets Liturgiques de la Cathédrale Russe de Genève (version bilingue)

geneve.jpg


17/30octobre
20ème dimanche après la Pentecôte

Saint Osée, prophète (VIII av. J. - C.) ; Saint André de Crète, moine, martyr (767) ; transfert des reliques de Saint Lazare, l'ami du Christ, de Chypre à Constantinople (au IX s. ) ; Saints Côme et Damien, anargyres, martyrs en Arabie avec leurs frères Saints Léonce, Anthime et Eutrope (vers 303) ; Saint Antoine de Lekhnovsk, de Novgorod (1611)

Lectures: Gal. I, 11-19; Lc. VIII, 5-15

Un chemin vers saint Silouane (V)



L’homme charnel craint la mort comme une bête la boucherie. L’homme raisonnable, lui, craint le jugement de Dieu.
Saint Ephrem le Syrien




Sa vie avant le conversion, ressemble beaucoup à la nôtre… Le staretz avait vécu l’existence habituelle des jeunes gens de son époque, avait joué avec la vie sans vraiment se préoccuper de son salut et, soudain, tout était changé et il s’acheminait vers le Mont Athos. Il avait réalisé ce que nous savons tous en théorie, c’est-à-dire que la mort vient, puis le Jugement, et que le temps de Dieu nous est d’autant plus compté, que nous ne savons "ni le jour ni l’heure". ( Matthieu 24, 36)
L’Archimandrite Sophrony met en exergue, dès le début de son livre sur le staretz Silouane, cette phrase inspirée de Job : "Le séjour des morts sera ma demeure." (Cf Job 17.11-15) Que n’avons-nous à l’esprit cette sagesse ? Nous avons vis-à-vis de la mort une attitude ambiguë. La curiosité profane du siècle est nôtre, celle-là même qui, nous allons le voir, faisait réagir saint Côme d’Etolie, mais le souci du salut qui devrait motiver notre vie, est souvent très éloigné de nos pensées.
Lorsque saint Côme d’Etolie voyait les gens intéressés par la divination et fascinés par la perspective de connaître l’avenir, il leur demandait s’ils voulaient véritablement connaître leur futur. Devant leur approbation enthousiaste, il leur disait avoir un moyen infaillible de savoir ce qui attendait chacun d’entre nous. Il suffisait de se lever matin, d’aller au cimetière et de regarder les tombes. "Là est notre seul avenir véritable!" disait-il. Est-ce à dire que pour le saint la mort était la borne ultime de la vie ? Certes non ! Mais cette conscience de la proximité de la mort et de son caractère inéluctable, engageaient à ne pas oublier le but de la vie chrétienne, à savoir la préparation pour la vie en Dieu.
La mort, lorsqu’elle ne suscite pas l’engouement malsain orchestré par toute une littérature de pacotille sur la vie après la vie, est le dernier tabou de notre époque. Les cimetières qui étaient autrefois groupés autour des lieux de culte, sont à présent au diable vauvert, cachés aux yeux des vivants et souvent, les rites ancestraux et familiaux de la mort, la veillée, la lecture pieuse devant les voyageurs de l’éternité, ont disparu. 
Il y a quelques années, une amie américaine qui enseignait la psychologie avait pour habitude d’emmener ses étudiants à la morgue dans le cadre de son cours "Psychology of Death and Dying". Très souvent, les étudiants quittaient son cours lorsqu’ils savaient que cette visite à la maison des morts était obligatoire.
La mort effraie. On ne veut pas y penser. Or c’est en répondant à cette question de savoir ce qui adviendra de nous après la vie que nous, chrétiens, pouvons nous déterminer par rapport à notre foi et préparer — avec la grâce de Dieu — notre résurrection. Paradoxalement, c’est notre mort et cette vie qui la suivra, qui déterminent ce que nous devrions faire dans notre existence actuelle, si nous voulons être responsables et inscrits dans cette Vie Eternelle en Dieu, ou bien séjourner dans l’enfer de l’absence de Son amour. 
Par notre conscience de l’importance de l’enfer, nous allons en agissant avec la pure grâce de Dieu, faire que cette mort ne soit qu’un passage et continuer à vivre dans l’Amour, cet Amour que nous aurons connu dès cette terre. Inaccessible à présent à notre pauvre intelligence limitée dans sa dimension exacte et sa pleine mesure, il sera d’autant plus grand lorsque nous contemplerons face à Face Celui Qui est Amour.
Si nous n’avons pas cette expérience de la mort au moins dans notre réflexion, si nous ne croyons pas à la résurrection, alors, "Ne pensons qu’à boire et à manger, puisque nous mourrons demain" (1 Corinthiens 15, 32), ainsi que le dit le saint apôtre Paul. Mais cette expérience est nôtre et nous avons faim et soif, dès cette vie, de cette existence dans le Royaume. Le staretz nous en indique la Voie dans ses écrits…

© Claude Lopez-Ginisty
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Une première version de ce texte 
a été publiée
aux 
Editions du Désert 
en 2003 
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L'Ermitage du cœur (309)


Pèlerin du Nom
Dans la prière du cœur
Tu chemines sûrement
Vers la Céleste Patrie

上帝的朋友 ( L'ami de Dieu)

vendredi 28 octobre 2011

Un chemin vers saint Silouane (IV)



"Peut-être dira-t-on : ‘Cela n’arrive qu’aux saints’. Mais, moi, je dis que le Seigneur aime également le plus grand pécheur et lui accorde Sa grâce, pourvu que son âme se détourne du péché ; le Seigneur le recevra avec une grande joie dans Ses bras et l’apportera au Père, et alors tous les Cieux se réjouiront à son sujet."
Staretz Silouane (Archimandrite Sophrony, op. cit. p.426)

Un des plus grands obstacles à l’épanouissement de notre âme en Dieu est la pusillanimité. Or c’est notre salut qui est en jeu ! Le staretz béni par ses paroles et sa vie, nous aide à vaincre ce défaut commun à tous les hommes. La sainteté vers laquelle nous devrions tendre, par une fausse humilité nous nous disons indignes de cheminer vers elle, alors que l’injonction du Christ est claire : il veut que nous soyons parfaits comme notre Père Céleste est parfait. (cf Matthieu 5,48).
Le début de la perfection dans la vie spirituelle, c’est de commencer par voir tous nos péchés, nos manquements, nos faiblesses et de les confesser à Dieu devant un prêtre. Ensuite, comme le fit saint Silouane, nous devons prendre la ferme résolution de ne plus nous retrourner vers la vie du vieil homme , nous ne devons plus regarder en arrière. Pour nous, cela ne consistera pas à quitter le monde pour aller au Mont Athos, mais plus simplement à véritablement laisser notre vie passée comme une chose morte, et à regarder vers la Vie nouvelle en Christ.
La repentance et la vision du chemin à suivre ne nous sont pas aisées, car l’endurance au péché et l’indifférence dans lesquelles nous avons vécu, nous ont engloutis dans une apathie proche de la mort définitive de l’âme. Nous ne savons que faire. Le Père Joseph l’Hésychaste, contemporain du staretz à la Sainte Montagne de l'Athos, indiqua une voie à un laïc qui lui demandait conseil.
"Alors deviens comme un petit enfant avec toute sa simplicité enfantine et jette-toi aux pieds de notre Toute Sainte [Mère de Dieu] Qui porte le Grand Dieu comme un petit enfant. Pleure et crie vers Elle avec beaucoup d’amour : ‘Ma chère et douce Mère, aide-moi, montre-moi comment je puis être sauvé ! Intercède, ma chère mère auprès de Ton Fils afin qu’Il me montre ce qu’Il veut de moi, et ce que je devrais chercher en Lui. Qu’Il ouvre les yeux de mon âme qui sont fermés, et m’empêchent ainsi de Le voir, alors qu’Il me voit à chaque instant et que constamment je L’attriste." (Monastic Wisdom, The Letters of Elder Joseph the Hesychast, Saint Anthony’s Greek Orthodox Monastery, Florence, Arizona, USA, 1998, p. 306)
Demander à Dieu ce que nous devons faire, c’est déjà avouer que jusques alors, nous n’avons pas agi selon Ses commandements, et que nous voulons essayer de le faire à présent. La conversion est la réalisation éblouie qu’il y a un passé qui est mort (même si par le remords il revient souvent nous accabler) et un éternel présent en Dieu si nous le voulons, et si nous avons le courage de continuer une lutte commencée par cette grande victoire sur les ténèbres de la Rencontre avec Dieu. 
Au début de notre conversion nous sommes dans l’Eternité du Royaume. Nous aimerions y rester. Pour ce faire, saint Silouane est allé au monastère de Saint Pantéléimon au Mont Athos. Nous, nous restons dans le monde, mais nous ne serons plus du monde. Intérieurement, nous vivrons en Christ. Extérieurement, faute de monastère, nous tiendrons le monde en respect avec l’aide de Dieu et de la prière, en étant immergés dans sa sainte respiration.
Pour nous garder en Dieu, nous nous agrègerons au saint troupeau des brebis logiques du Christ dans l’Eglise. Nous vivrons de la mémoire écrite de Dieu dans les Livres Saints, et nous les scruterons pour y trouver la Vie Eternelle.(cf Jean 5, 39)
Par la confession, nous purifierons notre âme; par la Communion aux Très Saints Mystères, nous la nourrirons du Christ, et dans l’abandon à Sa volonté, nous dirons à Dieu comme saint Silouane : "Je suis digne des tourments de l’enfer, et éternellement, je brûlerai dans le feu. Je suis en vérité pire que tous et indigne de compassion" (Archimandrite Sophrony, op. cit. p.373)
Nous savons que le Christ nous dira : "Vous êtes mes amis." ( Jean 15,14)
Et nous ne désespèrerons pas, même en enfer, car nous savons que l’Amour de Dieu y est aussi présent.

© Claude Lopez-Ginisty
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Une première version de ce texte 
a été publiée
aux 
Editions du Désert 
en 2003 
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L'Ermitage du cœur (308)


C'est dans le seul Nom du Christ
Que ton âme renouvelée
Et ton cœur comblé
Trouveront la paix ineffable


上帝的朋友 ( L'ami de Dieu)

Sic transit...


Kiss of Judas - the Betrayal

En date du 25 octobre 2011, les archevêques catholiques romains de Marseille, d'Aix-en-Provence et Arles, d'Avignon, les évêques de Digne, de Fréjus-Toulon, de Gap et d'Embrun, de Nice ainsi que l'administrateur apostolique d'Ajaccio prennent enfin position sur la venue annoncée à Marseille de Mme Vassula Ryden (prétendument orthodoxe, [avec un directeur spirituel catholique (sic!)]  alors que rien ni dans ses "enseignements", ni dans sa foi ne l'est!), mettant en garde leurs fidèles "contre le caractère surnaturel de ses prétendus messages" et désavouent ce qui, il n'y a pas si longtemps, était considéré avec une certaine bienveillance dans certains milieux romains, malgré la notification du 6 octobre 1995. Mieux vaut tard que jamais… Nous avons en mémoire le petit livre de l'abbé René Laurentin sur elle qui dit: "Vassula est une des voyantes les plus équilibrées, les plus limpides que je connaisse. Je serais même tenté de dire la plus normale, la plus équilibrée, quoique la plupart le soient, de manière parfaitement satisfaisante." 
Voir le texte du 25 octobre 2011 sur

jeudi 27 octobre 2011

Un chemin vers saint Silouane (III)




Nous savons que lorsque l’un d’entre nous chute, il chute seul, mais personne n’est sauvé seul.
Alexis S. Khomiakov

Les modèles hagiographiques habituels laissent peu de place à notre intellect pour cette identification qui, dans le domaine de la foi, est souvent salutaire. Pourtant, la vie du saint staretz Silouane avant son arrivée au Mont Athos nous permet de réfléchir à notre propre vie par rapport à ce que nous savons de la sienne. 
L’existence et les pensées d’un simple paysan russe, ses préoccupations, sont relativement semblables à celles de tous les hommes. Le divertissement — au sens pascalien du terme — occupe la vie du jeune homme Syméon Ivanovitch Antonov. Cette double vie dans le monde et ses "divertissements", menée en parallèle à une vie religieuse conventionnelle, fut interrompue par le rêve prémonitoire. Le serpent avalé en songe par le jeune homme, nous l’avons tous nous-mêmes avalé, même si nous n’avons pas eu la grâce de recevoir à cette occasion l’avertissement salutaire de la Mère de Dieu. 
Le staretz devenu moine disait à ce moment ne pas avoir vu la Mère du Sauveur à cause de son indignité. Combien plus grande est notre indignité à nous qui n’entendons pas comme lui la Vierge Pure nous dire à cause de nos péchés : "Tu as avalé un serpent en rêve et cela te répugne. De même, je n’aime pas voir ce que tu fais". (Archimandrite Sophrony, Op. cit. p. 18)
Cette reconnaissance de notre état pécheur, nous pouvons la faire et, comme Syméon Ivanovitch, nous pouvons nous mettre sur la voie de Dieu d’une manière plus authentique. Comme le saint staretz, nous pouvons avoir oublié le Bon Larron et nous étonner que le paysan Etienne qui a tué un homme soit si joyeux (Archimandrite Sophrony, op. cit., p. 19). Mais Etienne dit qu’il a beaucoup prié et que la grâce de Dieu l’a visité pour lui signifier son pardon. 
Le piège pour tout homme est double : pécher d’abord et ne pas croire ensuite qu’il puisse y avoir rémission de ce péché par Dieu. Les exemples très simples donnés par saint Silouane, sont évidents : ils parlent directement à notre cœur et y mettent le baume suave de l’enthousiasme en Dieu. 
Nous sommes des enfants et Dieu est un père aimant, notre Père. L’Ennemi du genre humain veut toujours nous persuader que notre cas est désespéré et que notre péché est irrémissible. 
Après cette vision salvifique de la Mère de Dieu, le jeune homme Syméon partit donc au Mont Athos, car l’appel du Christ était plus fort que tout. Sa soif de Dieu ne pouvait être étanchée qu’au Jardin de la Toute Sainte Génitrice de Dieu. Il y alla en laissant à saint Jean de Cronstadt (qu’il vit célébrer la Divine Liturgie, mais ne put rencontrer), un message demandant ses prières.
"Priez pour que le monde ne me retienne pas", demandait-il au thaumaturge de Cronstadt. Nous pouvons nous-mêmes prier pour que le monde ne nous aveugle pas au point de nous engoncer dans le péché et la médiocrité spirituelle, et  ne plus nous permettre de parcourir le Chemin vers le Royaume.

© Claude Lopez-Ginisty
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Une première version de ce texte 
a été publiée
aux 
Editions du Désert 
en 2003 
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L'Ermitage du cœur (307)


N'oublie pas que l'éternité
Est présente simplement
Dans tous les instants 
Où ta prière est véritable

上帝的朋友 ( L'ami de Dieu)

mercredi 26 octobre 2011

Un chemin vers saint Silouane (II)




Un jour, saint Silouane rencontra un ascète qui avait le don de la componction et qui versait beaucoup de larmes chaque jour en pensant à la Passion et à la Crucifixion du Seigneur.
"Est-il bon de prier pour les morts ?" lui demanda le saint. Il soupira et répondit : "Si seulement je pouvais faire sortir tout le monde de l’enfer ! Alors je serais heureux". Il fit un geste, comme s’il rassemblait une gerbe de blé et commença à pleurer.
Patéricon Athonite*


"Père Silouane, moine du grand habit. Nom civil : Syméon Ivanovitch Antonov, paysan de la province de Tambov, district de Lébédinsk, village de Chovok. Né en 1866. Arrivé au Mont Athos en 1892. A reçu le petit habit en 1896, le grand habit en 1911. A accompli les obédiences suivantes : au Moulin à Kalamaréia (domaine du monastère situé hors du Mont Athos), au Vieux Rossikon, à l’économat. Décédé le 24 septembre 1938". (Archimandrite Sophrony, op. cit p. 13)
Ainsi est résumée la vie du saint staretz Silouane l’Athonite. Il est des milliers de caloyers qui ont vécu l’ascèse monastique sur le Mont Athos et qui ont ainsi laissé cette seule trace de leur vie sur un registre des archives athonites, pourtant ce moine a marqué notre temps et son rayonnement spirituel auquel, ni ses origines, ni la modestie de sa personne ne prédisposaient, a éclairé de nombreuses générations.
Lui qui, plus de quarante années durant, ne quitta pas le Jardin de la Toute-Sainte, est connu à présent dans le monde entier. Ses écrits ont été traduits en plusieurs langues et son enseignement a suscité des vocations, fondé des communautés, dépassé le seul cadre de l’Orthodoxie. Cet homme de Dieu a rapproché les êtres humains qui ont connu son enseignement. Il a été en effet un lien très fort entre ceux qui, sans l’avoir encontré, ont tissé avec d’autres de subtils réseaux spirituels autour de ses écrits et de sa mémoire. Nul autre que lui sans doute, qui ne chercha nullement ces disciples ou cette postérité, ne put mieux répondre à ce besoin de vérité et d’authenticité que recherchait notre monde troublé. Son humilité insigne, la simplicité de ses écrits et leur caractère intrinsèquement vrai, ont fait que les êtres les plus divers ont pu reconnaître dans les questions qu’il se posait et les combats qu’il menait, ceux de tous les hommes en cheminement véritable vers Dieu. Les réponses qu’il donnait étaient simples en apparence. Elles ne faisaient que reprendre l’enseignement traditionnel de l’Eglise, mais elles mettaient l’accent sur certains points essentiels et évidents à tous : l’amour, l’humilité, l’obéissance.
Cependant, passée la simple compréhension intellectuelle de ces enseignements et l’espèce de joie naïve et réconfortante de se trouver en "terra cognita", l’application dans la vie de tous les jours devenait plus problématique, non pas impossible, mais très ardue sans l’appui spirituel de son intercession. Le staretz avait vécu cela aussi, et l’avait dépassé : Nous savons qu’il a par sa vie et par ses écrits étayé pour nous la Voie, en nous prévenant aux passages périlleux. Son expérience existentielle, sa confrontation avec la mise en pratique des vérités évangéliques, qui sont lignes de vie et non théories spirituelles destinées à la seule intelligence de l’homme, le fait qu’il ait combattu "ce bon combat" dont il fut l’athlète victorieux, expliquent certainement qu’il ait été choisi comme modèle par ceux qui, à notre époque troublée, avaient le souci de véritablement prendre leur croix et suivre le Maître.
C’est aussi parce qu’il avait une dimension profondément humaine faite d’amour du prochain et de compassion pour tous les hommes qu’il parut certainement plus accessible au premier abord à nos contemporains, perdus dans le maquis de l’incroyance, les marais de la fausse théologie, les cahots sanglants de l’Histoire et les idéologies humaines trop humaines qui, sous prétexte de liberté avaient asservi la majeure partie de la planète. Devant l’immensité de la détresse humaine de notre temps, cette voie simple en apparence (mais crucifiante — à l’instar de celle du Maître) dépassait toutes les limitations de l’être engoncé dans le temps. 
La simplicité du remède fait d’amour et de compassion universelle ramenée en Christ dans l’oubli total de soi, permettait de retrouver la seule dimension de l’être véritable lorsqu’il se veut chrétien : vivre en chrétien, c’est hâter la venue du Royaume de Dieu, donc vivre dès aujourd’hui dans l’amour absolu du Christ et le manifester dans son comportement à chaque instant. 
Si nous vivons avec les valeurs du Royaume de Dieu, nous anticipons dans une certaine mesure, dès ici-bas, cette vie où Dieu sera tout en tous. Il nous faut donc garder, comme saint Silouane, les yeux sur le seul Christ. L’enfer peut se déchaîner et il le fait effectivement. Peu nous chaut. Ne voyons que le Christ et Sa miséricorde, Sa compassion inextinguible, Son Amour sempiternel et par la grâce, faisons que notre propre amour, notre compassion en émanent, se fondent dans les Siens, et y demeurent nous permettant de vivre de Sa seule Vie.
Ce message d’amour fut toujours celui de l’Eglise mais, le monde aidant, la sécularisation progressive des esprits — depuis les prétendues "Lumières" surtout, firent que, peu à peu, cet idéal de vie en Christ se réduisit pour une grande partie des chrétiens à une vie d’observances extérieures — et nul ne conteste leur utilité essentielle —, de rites saisonniers — et leur caractère indispensable est évident car c’est par le Saint-Esprit agissant sur l’Eglise qu’ils furent instaurés — et de pratiques saintes devenues quelquefois mécaniques — là, l’enveloppe extérieure était comme une coquille vide, mais cela ne signifiait absolument pas qu’il fallait s’en débarrasser ! 
Cette sécularisation et cette réduction du Message de Vie au seul rituel sont récurrents dans l’histoire de l’Eglise. Elles ne signifient pas que l’Eglise doive abandonner ou adapter ses rites pour aller vers le monde, les exemples récents en Occident montrent assez le caractère insane de cette illusion. Lorsque les hommes sont dans de telles impasses, la Providence envoie des hommes saints sur la Terre des Vivants pour redresser les chemins tortueux. Saint Jean-Baptiste dans l’Eglise de l’Ancienne Alliance eut ce rôle, et toutes proportions gardées saint Côme d’Etolie aussi pour les Grecs captifs des Ottomans. Au siècle vingtième de notre ère apparut le staretz Silouane l’Athonite. Homme simple auquel pourront s’identifier d’autres hommes simples, il apportera au monde un message très fort qui, au-delà des frontières de l’Eglise, trouvera un écho favorable, bienveillant, et suscitera des vocations nombreuses. 
Le rayonnement du saint staretz dans tous les milieux croyants, chrétiens ou non, suscite parfois des commentaires aberrants sur "l’unité transcendantale des croyances", vieux mythe de la théosophie. "Je suis le Chemin, la Vérité et la Vie," dit le Christ ( Jean 14, 6). Si une vérité chrétienne est acceptée par une école de foi ou de pensée non-chrétienne, cela ne signifie pas que cette voie soit égale à celle du Christ.)

© Claude Lopez-Ginisty
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Une première version de ce texte 
a été publiée
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Editions du Désert 
en 2003 
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*(Le Patéricon reprend sous une forme plus simple ce que le Staretz disait dans ses écrits p. 422 du livre de l’ Archimandrite Sophrony, Starets Silouane, Editions Présence, 1974)

L'Ermitage du cœur (306)



Le Royaume est ici et maintenant
Quand dans la prière
Tu as atteint l'assurance du salut
Par la seule grâce de Dieu

上帝的朋友 ( L'ami de Dieu)