6.
Le père Sébastien
choisissait lui-même parmi les paroissiens, les fidèles qu’il ferait ordonner
prêtres, tel Alexandre Pavlovitch Krivonossov, un ingénieur agronome qui
occupait un poste élevé et qui avait effectué les démarches pour l’ouverture de
l’église. Alexandre fut effrayé par les paroles du père Sébastien : il ne
voulait pas quitter l’emploi qui lui plaisait et que le père Sébastien l’avait
béni d’accepter peu auparavant. Chez lui il réfléchit beaucoup aux paroles du
père, et ne put dormir. Puis il alla trouver le père Sébastien et demanda sa
bénédiction.
Quant à Séraphim
Nikolaiévitch Troufanov, économiste, il avait reçu l’ordination sacerdotale bien
longtemps auparavant selon le désir de son père qui était prêtre, mais il ne
célébrait pas comme prêtre. Les deux secondèrent longtemps le père Sébastien.
Ensuite,
Batiouchka envoya à Alma-Ata pour y recevoir l’ordination, l’ancien marguillier
de l’église. Le père Paul devint troisième prêtre et Batiouchka fut nommé
recteur de la paroisse. Batiouchka avait choisi également le diacre, Nicolas
Samartsev. Et Vassili Pavlovitch devint le marguillier de la paroisse.
Le père Sébastien
fut recteur de cette église durant onze ans (de 1955 à 1966, année de sa mort).
En 1957 il fut nommé archimandrite et reçut un diplôme en reconnaissance pour
son zèle pastoral. En 1965, le jour de sa fête, il reçut la mitre et un bâton
pastoral, et trois jours avant sa mort, le grand habit monastique.
Ainsi le père
Sébastien servit l’Église pendant soixante ans, de 1906 où il entra au
monastère d’Optino, à 1966.Le père Sébastien avait un grand et profond don de
discernement. En toutes choses il pratiquait la modération. Il disait souvent :
« Qui veut voyager loin ménage sa monture » ou bien « la plus
grande vertu est le discernement ». Il avait toujours une confiance sans
faille dans les desseins du Seigneur.
Pour lui les
offices étaient non seulement un devoir, mais également une condition
essentielle de sa vie intérieure. Il ne manquait jamais un office, n’en
omettait jamais une partie, ne le raccourcissait jamais. Même lorsqu’il était
malade, il surmontait ses souffrances et célébrait souvent seul la Liturgie et
les autres offices.
Le père Sébastien
aimait particulièrement célébrer les enterrements selon la tradition
monastique. Et chaque jour, jusqu’à la fin de sa vie, il célébra des offices
pour les morts. Il voyait clairement tous les péchés du défunt qu’il enterrait.
Le père Sébastien
rappelait souvent : « En toute chose, il faut un juste milieu et de
la modération. Servir Dieu ne requiert ni précipitation ni excès. Et de
nouveau, il ajoutait : « Qui veut voyager loin ménage sa
monture ».
Lorsqu’on lui
raconta un jour qu’une femme s’était mise à beaucoup prier, il répondit que ce
n’était pas bien, car elle risquait d’en faire trop, et il rappela :
« le Seigneur ne permet pas qu’on soit éprouvé au-delà de nos forces sous
prétexte qu’il faut tout supporter. Mais il faut se méfier de l’orgueil, car il
est pire que tout. Puis il conclut : « L’orgueil est la
caractéristique du malin ».
Le père Sébastien
veillait avec grand soin à l’éducation de ses fidèles. On disait d’ailleurs
qu’une bonne partie de Mikhaïlovka était comme un monastère secret dans le
monde.
Au simple contact
du père Sébastien, sans aucune parole dite, il était clair que l’âme vivait
éternellement, que la vie ne se terminait pas avec la mort, que l’âme n’était
pas quelque chose de vague, mais qu’elle était véritablement l’homme intérieur.
Cela apparaissait évident, car le père Sébastien en parlait simplement, comme
d’une chose ordinaire et connue de tous depuis longtemps.
Jusqu’aux
derniers jours de sa vie, surmontant la maladie, la faiblesse, la vieillesse,
le père Sébastien remplit son devoir pastoral, repoussant l’idée de se retirer
pour se reposer.
Hilarion, le
frère aîné du père Sébastien, vivait à Mielkombinat et lorsqu’il se rendait à
l’église, il s’inclinait jusqu’à terre devant son frère pour recevoir sa
bénédiction. Il se confessait également chez lui et, agenouillé en pleurant,
demandait pardon au père Sébastien pour toutes ses offenses dans le passé.
Les enfants
spirituels du père Sébastien n’agissaient jamais sans sa bénédiction.
D’ailleurs, le père Sébastien s’affligeait beaucoup si on ne l’écoutait pas ou
si l’on ne suivait pas ses conseils, parce que le résultat était toujours
négatif et souvent désastreux, pour le malheur de la personne.
Lorsque malgré
tout cela se produisait, le père Sébastien pleurait, de même qu’il pleurait
souvent lors des confessions. Pourquoi pleurait-il ? Soit à cause des
péchés entendus, soit encore parce que le repentir n’accompagnait pas la
confession, soit enfin parce que le père Sébastien prévoyait un événement.
Il se fâchait
parfois, mais très rarement, et seulement lorsqu’il voulait être écouté. Dans
ces moments-là, il disait : « Je m’en vais prendre un bâton pour te
frapper ! » Alors la personne tombait à genoux, implorant le pardon.
Non pas parce qu’elle avait peur du bâton, mais parce que le prêtre se fâchait.
J’ai été fille
spirituelle du père Sébastien pendant trente ans. C’est une grande grâce. Quoi
qu’il arrive, le temps d’aller trouver le père Sébastien, le temps de le lui
raconter, et l’on était soulagé. Le malheur était surmonté. Il prolongeait même
la vie de ses fidèles. Il aimait plaisanter de temps à autre et toujours de
façon bienveillante.
Un jour il me
raconta l’arrivée de Léon Tolstoï dans un skite d’Optino après son départ en
catimini de son domaine de Yasnaya Poliana. Il me dit :
Quand Léon
Tolstoï, arriva un soir de la fin octobre 1910 au skite, le futur père
Sébastien était serviteur de cellule du starets Joseph. Léon Tolstoï était
arrivé à Optina Poustyne la veille au soir en provenance de Kozelsk et avait
passé la nuit à l’hostellerie du monastère. L’hôtelier, le père Michel, raconta
ensuite qu’en prenant le thé, Tolstoï l’avait interrogé sur les startsy et
avait demandé qui d’entre eux reçevait, si le starets Joseph recevait ; il
disait qu’il était venu voir les startsy et leur parler. Et ils sont venus à
deux, racontait le père Michel. Ils ont frappé. J’ai ouvert. Lev Nikolaiévitch
a demandé : Puis-je entrer ? J’ai dit : Je vous en prie. Et lui
a dit : Peut-être ne puis-je pas, je suis Tolstoï. Pourquoi donc, lui
dis-je, nous sommes contents de recevoir quiconque veut venir. Alors il
dit : –Bonjour, frère. Je réponds : –Bonjour, votre noblesse. Il
dit : – Tu n’es pas vexé que je t’appelle frère, tous les hommes sont
frères. Je réponds : –Mais pas du tout, c’est bien vrai que nous sommes
tous frères. Et ils se sont arrêtés chez nous. Je leur ai donné la meilleure
chambre. Et le matin très tôt j’ai envoyé le serviteur chez le responsable du
skite, Barsanuphe, pour le prévenir que Tolstoï venait nous voir au skite.
La suite, le père
Sébastien l’a racontée ainsi :
Le starets Joseph
était malade, j’étais auprès de lui. Le starets Barsanuphe passe chez lui et
raconte que le père Michel avait envoyé prévenir que Léon Tolstoï venait nous
voir. Je demande à ce serviteur qui le lui a dit et il me répond que c’est
Tolstoï en personne. Le starets Joseph dit : –S’il vient nous le recevrons
avec douceur, respect et joie, bien qu’il soit excommunié, mais puisqu’il est
venu de sa propre initiative, on ne peut pas faire autrement. Ensuite on m’a
envoyé regarder ce qui se passait de l’autre côté de la clôture. J’ai vu Lev
Nikolaïévitch qui tantôt s’approchait de la maison, tantôt reculait. Le starets
Joseph dit : –C’est difficile pour lui. Il vient nous voir pour chercher
l’eau vive. Va l’inviter à entrer s’il est venu nous voir. J’y suis allé, mais
il était déjà parti. À cheval il était déjà loin, hors de portée. Ensuite les
startsy ont appris par la sœur de Tolstoï, la moniale Marie de Chamorodino,
qu’il était parti de chez elle. Ensuite de la gare d’Astapovo, arriva un
télégramme nous annonçant que l’écrivain était malade et qu’on demandait en son
nom que le père Barsanuphe vienne le communier. Le père Barsanuphe est parti
aussitôt avec les Saints Dons, il voulait le préparer à la mort, mais
l’entourage de Tolstoï ne l’a pas laissé entrer. Le père Barsanuphe a transmis
une lettre pour sa fille Alexandra. Il lui écrivait : « C’était la
volonté de votre père que je vienne. Mais on ne m’a pourtant pas laissé
entrer ». Et on n’a pas laissé entrer non plus Sophia Andréïevna. Elle est
arrivée dans son wagon personnel en gare d’Astapovo et elle y a logé. Cela a
été très pénible pour le père Barsanuphe, il est revenu presque malade et était
toujours très inquiet en se souvenant de cela. Il a dit : « Bien que
ce soit un Lion (Léon), il n’a pas pu s’arracher à ses chaînes, et c’est
terriblement dommage. Et le starets Joseph s’en affligeait. Que quelqu’un avait
envoyé le père Barsanuphe, il l’a démenti : Je ne suis allé à Astapovo que
sur le désir de Lev Nikolaïévitch en personne, affirmait-il.
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