Je viens de lire un article passionnant dans le "National Review" (17 mai 1999) par une psychologue de Chicago, la Doctoresse Barbara Lerner. Ce texte présente un intérêt pour nous chrétiens orthodoxes en particulier, car il renforce les enseignements des Pères sur l'importance centrale des valeurs morales et spirituelles, par rapport aux orientations matérialistes, dans l'éducation des enfants.
La Doctoresse Lerner souligne que depuis les années 1960, la psychologie a mis un accent considérable sur la compréhension du stress, de la négligence et des abus qui poussent les enfants à s'engager dans une violence semblable à celle qui a fait surface dans les écoles américaines. Les solutions contemporaines préconisées par ce monde de la psychologie non scientifique d'après 1960, sont l'intervention précoce dans le contrôle de la colère et des stratégies pour établir une communication plus intense entre parents et enfants, tous ces choses étant centrée sur "des leçons didactiques calmes, rationnelles, offertes avec le sourire" qui rejetent la discipline comme étant "trop sévère".
Lerner fait remarquer que le genre de psychologie qui a précédé les années 1960, genre qui survivait encore quand j'ai passé mon doctorat, souligne, comme le font les Pères de l'Eglise, le rôle thérapeutique de ces expériences de caractère existentiel "qu'ont les enfants lorsque leurs parents ont établi une ligne de morale précise, et montrent une volonté de tout faire pour la défendre." En effet, elle note que Freud, au moins, "a eu l'humilité de reconnaître" que la prise en charge verbale et la gestion de la colère ne font rien pour combler le "vide moral" qui existe chez ce type d'enfants qui se livrent à des actes de violence contre les autres.
Les enfants qui sont ménagés, reçoivent tout de leurs parents, et ils ne se voient rien refuser, tout en ne recevant en même temps aucune norme morale stricte par laquelle se conduire, alors, ils sont plus susceptibles de commettre des actes horribles de violence comme ceux que l'on voit dans les écoles d'aujourd'hui. Comme la Doctoresse Lerner le souligne, un enfant à qui est enseigné qu'il est le centre virtuel de l'univers, et qui est ensuite renforcé en cela par une attention constante et des récompenses matérielles, développe des tendances narcissiques qui l'amènent à croire que ceux qui l'entourent ont seulement une valeur "instrumentale". Ils ne sont "utiles", dans son esprit, que "s'ils répondent à ses désirs et améliorent son estime de soi" et sont "jetables comme capsules de bouteilles quand ils ne le sont pas [utiles]."
En fait, comme Mme Lerner le souligne, comme Kip Kinkel dans l'Oregon, qui a tué ses parents et un certain nombre de camarades de classe, Eric Harris et Dylan Klybold, qui ont massacré d'innombrables camarades à Littleton, dans le Colorado, étaient aussi des enfants de familles riches, dorlotés et gâtés, et les objets à la fois de l'attention des parents et des "bienfaits" des conseillers de bien-être modernes.
Kinkel était le fils d'enseignants populaires, il lui a été donné tout ce que ses parents pouvaient lui donner, et il a reçu des conseils psychologiques pour sa colère incontrôlée et divers comportements inappropriés. Les deux tueurs du Colorado s'inscrivent dans un schéma similaire.
Ces enfants, en dernière analyse, ne manquaient pas d'attention de la part des parents dans leur éducation, mais ils manquaient de système moral. Ils n'ont pas été négligés, mais trop relâchés. Ils ne sont pas les produits de la privation, mais de l'excès matérialiste. Narcissiques, ils n'ont pas la capacité de comprendre l'importance des autres. Ils n'ont jamais été formés pour retirer du plaisir et de la satisfaction à servir les autres. Et ils n'ont pas réussi à apprendre que la connaissance de soi découle du fait de nous définir par rapport aux autres et, dans le christianisme, à travers notre relation avec eux par le Christ. On n'apprend pas de telles choses sans direction morale stricte: sans voir qu'il y a des conséquences négatives quand on porte atteinte aux droits d'autrui, et jusques à ce que l'on voit que l'on ne peut pas jouir de quelque chose à moins de le partager avec les autres (en fait, avec ceux qui sont moins chanceux), on ne peut jamais devenir pleinement humain.
Les observations de la Doctoresse Lerner sont vraiment perspicaces. Elle n'a pas, et c'est tout à son honneur, la prétention de connaître ou l'arrogance de mettre en avant des lignes directrices morales pour l'éducation des enfants. Elle a simplement reconnu justement, à nouveau, leur rôle central dans la formation des enfants.
Dans l'Église orthodoxe, cependant, nous avons des lignes directrices qui peuvent nous aider à mettre ses suggestions en pratique. Par la confession, à un âge précoce, les enfants apprennent qu'ils sont responsables devant les autres de leurs actions (devant le prêtre, s'il n'y a personne d'autre). Par des mesures correctives d'une vie de repentir, ils apprennent qu'ils peuvent redresser les torts qu'ils ont faits aux autres. Par l'aumône, ils en viennent à comprendre que les choses matérielles ne sont la cause du bonheur que lorsque celles-ci sont partagées. Et par la compréhension de l'Église comme principale source de Vie, comme première priorité dans l'existence humaine, ils surmontent le point de vue égoïste de vie qui est maintenant très répandu chez les jeunes Américains (orthodoxe inclus).
Tandis que nous voyons une nouvelle génération de jeunes gens qui courent après les maisons, les voitures, le plaisir physique, le gain matériel, et les finalités narcissiques, nous devons arriver à une compréhension claire que plus d'attention, plus de choses, et une complaisance exercée par une thérapie pour se "sentir bien" ne sont pas la solution au problème des jeunes d'Amérique. De tels moyens, pour citer Mme Lerner, font en effet "partie du problème." Ils reflètent la maladie même qu'ils tentent de contrôler et de guérir.
La discipline, la privation (le jeûne, l'aumône, le refus des diverses demandes par des parents aimants), et une compréhension de ses responsabilités envers les autres sont l'épine dorsale d'un soutien psychologique et spirituel authentique et efficace. Et ils sont à même de produire des individus sains dans une population complaisante et perverse qui voit maintenant des enfants s'entre-tuer.
En un mot, on ne peut pas apprendre à aimer les autres quand on se considère comme le centre de toutes choses. S'il a tout l'amour, il sera égoïste et limité seulement à sa famille immédiate ou un petit cercle d'amis. Pour connaître l'amour véritable, il faut souffrir avec les autres, comprendre les limites de son propre monde, saisir la nécessité de ne jamais empiéter sur les droits d'autrui, et finalement saisir le fait que l'unité de soi découle de notre unité avec les autres par l'empathie et le sacrifice de soi.
Version française Claude Lopez-ginisty
d'après