Le 22 mai 2015, marquait le 100e
anniversaire de la naissance de l'évêque Basile (Rodzianko) de bienheureuse
mémoire.
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La mémoire des défunts dans
l'Église, diffère de la mémoire du monde à la fois par la façon dont elle est
exprimée et par la façon dont elle existe dans le temps. Son expression
extérieure n’est pas aussi violente, désespérée, et sans espoir que de telles
expressions du souvenir dans l'environnement profane; la douleur elle-même est
lumineuse et pleine d'espoir. Tout ce qui est transitoire et accidentel dans
les relations humaines s’en va; cela se dissipe dans les prières du service
funèbre, et ne vient plus interférer dans la voie de l'amour fraternel sans
limite dans le Seigneur. Le souvenir constant dans la prière rend l'image du
défunt plus proche de nous, enrichit notre compréhension du sens élevé de la
trajectoire de sa vie, et nous permet de détecter les contours de la Divine
Providence derrière les événements extérieurs…
Il s’est écoulé assez de temps
depuis que l'évêque Basile s’est endormi dans le Seigneur, pour nous laisser
voir combien droite et conséquente était la voie sur laquelle le Seigneur le
guida pendant plus de quatre-vingt ans. Cette voie conduit d'un pays à un
autre, d'une profession à une autre, mais toujours vers Lui et vers la vie
éternelle.
Yougoslavie 1926.
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L'évêque Basile (Wladimir
Mikhailovich Rodzianko) naquit en Petite Russie (Ukraine), dans le domaine ancestral
de sa famille d’Otrada, où son père, Mikhail Mikhailovich, diplômé de
l'Université de Moscou était occupé à gérer son domaine. En 1920, la famille dut
émigrer de Russie et s’installa en Yougoslavie, qui à l'époque était devenue
l'un des centres culturels et religieux de l'émigration russe.
En 1925, le jeune Wladimir entra
au Premier Lycée Classique russo-serbe (Gymnasium) à Belgrade; à l'école, il
rencontra le métropolite Antoine (Khrapovitsky) et aussi un jeune hiéromoine
Jean (Maximovitch), qui fut ensuite glorifié comme saint après avoir servi
comme évêque de San Francisco. La rencontre de telles personnes ne pouvait
qu’avoir un impact décisif sur sa vie ultérieure. Il est remarquable que, au
moment des troubles graves et des désaccords dans l'Église, qui débuta dans les
années 1920 et se poursuivent, le futur évêque était destiné à jouer le rôle de
pacificateur. Il servit comme intermédiaire au cours de la correspondance entre
le métropolite Antoine et le métropolite Euloge, correspondance qui conduisit à
la reprise de la communion eucharistique entre les deux branches de l'Église
russe en exil. Plus tard, en plus du métropolite Antoine et de saint Jean
[Maximovitch], l'évêque Basile nomma également parmi ses maîtres spirituels le
révérend Justin [Popovic] et le métropolite Antoine [Bloom] de Souroge.
Venise, Italie.
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Après l’obtention de
son diplôme de l'école secondaire en 1933, Wladimir Rodzianko s’inscrivit dans
le département de théologie de l'Université de Belgrade, dont il sortit diplômé
en 1937.
En 1938, il épousa Maria
Koulyoubaeva, fille de prêtre. La même année, il commença à travailler sur une
thèse à Oxford, où il resta également l'année suivante. En 1939, un fils, Wladimir,
naquit chez le couple Rodzianko, et l'année d'après, Père Wladimir fut ordonné
à la prêtrise.
En 1941, il était sur le point de
devenir doyen d'une église dans un lycée où il enseignait la religion, mais la
guerre commença, et il finit de
célébrer sa première Divine Liturgie alors que les bombes tombaient sur la
ville de Novi Sad, le 6 Avril,
veille de l'Annonciation, événement de mauvais augure, mais tout dans la
vie des ascètes chrétiens est de mauvais augure, sans doute parce qu'ils
s’ouvrent au Seigneur et à Sa sainte volonté.
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Pendant la Seconde Guerre
mondiale, Père Wladimir fut doyen
de l'église du village et secrétaire de la Croix-Rouge. Beaucoup de gens lui
doivent leur délivrance des horreurs de la guerre. De nos jours, alors que
observons la guerre sans fin dans les Balkans, nous sommes en mesure
d'apprécier la pleine mesure de la force spirituelle qui était nécessaire pour
aider ces gens. En 1949, Père Wladimir fut arrêté par les autorités de Tito, et
il passa deux ans dans un camp de travail. En 1951, il fut exilé en France, et
de là, déménagea en Angleterre. À partir de 1953, Père Wladimir servit comme
prêtre de l'église serbe à Londres. En 1955, il organisa un programme de radio
orthodoxe russe à la BBC et poursuivit ce programme sans discontinuer jusqu'en
1979.
Ainsi l'amour respectueux de
l'évêque Basile pour la Russie fut réalisé. Plusieurs années plus tard dans une
province russe, l'évêque fut conduit à un office dans une paroisse éloignée (il
n'a jamais refusé une invitation à venir officier, quelque difficile que le
voyage promettait d'être) ; sur une route déserte, il rencontra un homme qui
se lamentait auprès du corps d'un vieil homme. C’était un fils qui conduisait
son père dans le side-car d'une moto, et le père avait été tué dans un accident.
L'évêque offrit de servir le rite
funéraire pour le défunt, s’il se trouvait être orthodoxe. Le fils répondit
qu'il n'y avait pas d'église dans leur localité, mais que son père avait eu un
père spirituel. Il expliqua comment cela était devenu possible: «Mon père écoutait
sans cesse la BBC à la radio, et il écoutait le prêtre Wladimir Rodzianko,
alors il avait l'habitude de dire que c’était son père spirituel." Cet
incident parle sans doute d’une manière non moins éloquente du service de
l'évêque Basile à l'Eglise russe dans les années d'oppression, que des
centaines et des milliers d'autres histoires semblables, même si elles sont toutes
tout aussi précieuses.
Le service de Père Wladimir comme
prêtre comprend un épisode qui est en lui-même marque peut-être dans la vie
d'un prêtre, mais qui avait une certaine importance historique: le père reçut
la confession sur son lit de mort d’A.F. Kerenski. En cela, le Seigneur semble lui
avoir confié la conclusion visible d'une phase spécifique de l'histoire russe.
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En 1979, Père Wladimir
subit une épreuve difficile: sa femme, Maria, et son petit-fils, Igor, décédèrent
tous deux. Ceux qui le connaissaient à cette époque, disent que sa douleur fut
pleine de courage spirituel. Il se tourna sans cesse vers le Seigneur avec
cette combinaison étonnante d'audace et d'humilité qui frappe tous ceux qui
méditent sur les pages du livre de Job. Vladyka pria pour obtenir une consolation
spirituelle, il supplia inflexiblement mais avec révérence, et finalement il reçut
cette consolation. En 1980, après qu'il soit devenu moine, il fut ordonné
évêque de Washington dans l'Eglise orthodoxe d’Amérique [OCA]. La même année,
l'évêque Basile devint évêque de San Francisco et de Californie. Déjà évêque,
il visita la Russie en 1981 et fut chaleureusement accueilli par ceux qui, pendant
de nombreuses années, l'admiraient comme "évangéliste orthodoxe".
À partir de 1984, l'évêque Basile
à la retraite, consacra toute sa force, toute sa science spirituelle et toute
son expérience extraordinaires au service de l'orthodoxie. À la cathédrale
Saint-Nicolas à Washington, D.C., il se souciait des besoins de la paroisse et
de chaque croyant, mais le centre de son attention était alors transféré en
Russie.
Il alla souvent en visite au pays et y resta pendant de
longues périodes de temps. Il devint doyen honoraire de l'église de l'Ascension
de Nikitskaya, et, dans ses dernières années, doyen de la Faculté de théologie
et de philosophie de l'université privée de Natalya Nesterova qui visait à
préparer les jeunes à des carrières professionnelles avancées dans le monde
contemporain, tout en fondant son système éducatif sur les valeurs culturelles
et morales traditionnelles.
Enfin, avec la bénédiction d’Alexis
II, Patriarche de Moscou et de toute la Russie, il passa près de la moitié d'une
année au monastère de la Trinité–Saint-Serge, où il mena des recherches à la
bibliothèque, et donna une série de conférences.
À la suite de ce séjour, il termina
son livre La théorie du Big Bang et la
foi des saints Pères (publié en 1996). Ce livre examine la relation entre
l'Orthodoxie et la connaissance scientifique, sujet qui est extrêmement
pertinent de nos jours. Par-dessus tout, le livre attire le lecteur par une
combinaison rare de qualités affichées par son auteur: érudition et
enthousiasme juvénile pour la connaissance, gravité du style du hiérarque et profonde humilité.
Avec le Patriarche
Alexis. Photo: www.rodzianko.org
Telle fut la vie
remarquable de celui qui se consacra à servir l'Eglise orthodoxe, en pasteur et
confesseur, mentor et érudit. Regardant derrière nous ce 20ème siècle, nous ne
pouvons que remercier le Seigneur avec joie et étonnement qu’au sein de
catastrophes historiques, Il nous ait envoyé tant de sommités de la foi, à la
fois en Russie et dans la diaspora. Ils sont tous un dans leur service
ascétique, bien que chacun d'entre eux n’ait reçu ce service qu’en fonction de
sa résistance, et ils diffèrent tous par leurs propres traits personnels, qui
sont particulièrement touchants.
Les archives qui restèrent après
la mort de l'évêque Basile nécessitent une étude; clairement elles contiennent
beaucoup de matière précieuse, qui attend d'être publiée. Après cette
publication, nous serons en mesure de mieux connaître sa vie. Mais il y avait
un trait de caractère qui enchanta tous ceux qui l'ont rencontré dans ses
dernières années, ce trait que nous pouvons déjà nommer aujourd’hui : la non possessivité de Vladyka.
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L'évêque Basile n’était
pas ce que nous appelons un homme riche, et il n’allait pas en Russie comme un
« riche étranger», il arrivait un peu comme un évêque des premiers siècles
du christianisme, comme un pèlerin qui conquiert la distance et la difficulté du
voyage pour le plaisir de livrer ses paroles de hiérarque aux fidèles, paroles
inspirées par son zèle spirituel et son amour ardent pour le Christ et pour son
prochain.
La faible santé de Vladyka et son
âge avancé servirent à renforcer cette similitude avec les premiers évêques chrétiens.
Avec tout cela, il était loin de mépriser les besoins humains de tous les jours
(même si lui-même se contentait de peu). Avec joie et amour, il remerciait ses
hôtes de l’héberger, de prendre soin de lui, et même pour toute l'attention
qu'on lui montrait.
Voici un détail qui est très
caractéristique de Vladyka. Dans la préface de son livre, il remercie une
longue liste de personnes, en commençant par le nom du Très Saint Patriarche et
il y inclue les noms des évêques, des prêtres, des bibliothécaires, des
étudiants du séminaire, et des lecteurs, c’est-à-dire tous ceux impliqués de
quelque manière dans la création du livre, ceux qui lui prêtèrent un ordinateur,
et ceux qui le logèrent, ainsi que ceux qui cousirent pour lui un klobouk et
une soutane.
La belle image du staretz est
gravée dans le fond de ces expressions touchante détaillées et ingénues de
reconnaissance -un staretz qui saluait chaque exemple de bonté envers lui comme
un précieux don divin. On prend conscience que l'amour qui émane de Dieu, ce
qui, en soi, est déjà le don le plus élevé, rend les gens eux-mêmes capables de
dons. On prend conscience que, par ce simple acte humain de donner des dons,
les gens font un don d’eux-mêmes aux autres et au Seigneur, et la bonté du
Créateur est multipliée dans le monde.
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La mémoire,
dans la prière, de l'évêque Basile ne sera jamais tarie chez ceux à qui le
Seigneur a donné la joie de le voir et de l'entendre.
On espère que son exploit
spirituel [podvig] sera connu, par les livres et les films, de ceux qui ne l'ont
pas rencontré dans sa vie terrestre, et que cette rencontre avec l'évêque
Basile leur donnera consolation, renforcera leur foi, et conduira ultimement à
un accroissement de l’amour.
Version française
Claude Lopez-Ginisty
d’après
citant
Alpha et l'Omega, 1
[23] 2000.