Une "exposition pour les aveugles" n'est pas le bon terme. Ceci est plutôt une exposition d'icônes pour tous pour toucher et approcher le sacré.
L'exposition qui est actuellement dans la "Maison des Icônes" (Moscou, Russie) est pour tous. Indépendamment de la façon dont ils lisent les informations - par la vision ou par le toucher. Les objets de l'exposition peuvent être touchés. Ils devraient être touchés.
L'objectif du salon est de familiariser les visiteurs avec le monde de l'iconographie, depuis le début, la création de la peinture, jusques à l'icône terminée.
Ce processus commence à partir de minéraux - malachite, lazurite, hématite - d'où les pigments sont tirés.
Nos visiteurs peuvent également voir des mortiers, dans lequel les iconographes broient les peintures, les pinceaux qu'ils utilisent, et les planches, sur lequelles les icônes sont créées. Par ailleurs, les planchess représentées illustrent le processus de création d'icône: il y a des planches avec des draps, planches préparées, et des planches avec des empreintes [de dessins].
"L'exposition montre aussi les matériaux utilisés dans l'iconographie: bois, céramique, plâtre, smalt, et métal", explique Ekaterina Vasina, Chef du département de la "Maison des Icônes".
-Alors pouvez-vous s'il vous plaît expliquer, une «icône pour les aveugles» est-ce quelque chose de particulier?
-Pas du tout. C'est simplement une icône en relief qui peut être perçue par le toucher.
-La tradition des icônes en relief est très ancienne a dit pour l'Orthodoxie et le monde Alexis Lidov, expert en Beaux-arts reconnu, directeur du centre de recherche pour la culture du christianisme oriental, et membre associé de l'Académie russe des Beaux-Arts. Il y avait même des statues avec des images du Christ et disciples dans les beaux-arts paléochrétiens. Puis ils ont été rejetés en raison de la crainte d'être accusé d'idolâtrie.
Des œuvres en ronde-bosse emblématiques de l'art ont toujours existé à Byzance. Certaines étaient en bois, mais le plus souvent soit le marbre soit l'os sculpté a été utilisé. Il existait aussi une tradition de créer des icônes en relief à partir de pâte de cire - le mastic, qui ressemblait à l'argile ou pâte à modeler. Une parcelle de relique était toujours ajoutée. Cela a rendu la matière elle-même sacrée. L'ensemble de l'icône est devenu saint. Afin de profiter pleinement de l'icône, nous devons abandonner notre vision, notre vision laïque, mondaine, et terrestre. Les personnes aveugles n'ont pas besoin de faire cela .. Leur seul moyen de contact avec une icône est de l'évoquer dans leur esprit.
Qui réhabilite qui?
Une de mes connaissances, une iconographe, a été dérangé quand elle a entendu parler des icônes pour les aveugles: "Comment pouvez-vous toucher un visage saint! N'est-ce pas blasphématoire? "
"Personne, y compris le Patriarcat, n'avait le moindre doute. Tout le monde a un chemin différent, et va son chemin propre, afin de comprendre le monde et la foi. Interdire à quelqu'un de toucher un visage sacré et donc éventuellement l'empêcher de percevoir l'art, la foi, et Dieu?! Je ne pense pas que ce soit juste!", commente Ekaterina Vasina.
Alors qu'Oleg Nikolaevich Smolin, un député à la Douma, vice-président du Comité pour l'éducation, a déclaré: "Je pense que non seulement les personnes handicapées ont besoin de réhabilitation, mais les gens ont besoin de réhabiliter leur relation personnelle avec les personnes handicapées. Alors nous devons aussi périodiquement les réhabiliter.
Lors de cette exposition, j'ai pu vraiment voir des icônes pour la première fois de ma vie. A l'intérieur de l'église c'est généralement impossible. Même si une icône n'est pas sous la vitre et vous pouvez la toucher, vous ne sentez rien en dehors de ce que votre imagination vous dit. Ainsi l'exposition d'aujourd'hui est très importante,elle enrichit notre conception du monde. Je vais à l'église principalement à des fins culturelles. Mais dans l'Eglise tout le monde ressent quelque chose de spécial", a expliqué Oleg Nikolaevich à l'Orthodoxie et le monde.
Pour beaucoup de personnes aveugles qui sont venues à la cérémonie d'ouverture de l'exposition, c'était la première rencontre de fond avec des icônes. Il en était ainsi même pour Ivan, fils d'un prêtre qui fréquente l'Eglise depuis sa naissance. Ivan est un sonneur de cloche à l'église de la Sainte Mère de Dieu de Dubna. Alors qu'il étudie l'anglais, il étudie également le grec ancien et il est allé deux fois en Grèce pour assister à des cours de langue grecque moderne. Chaque année, à l'office de Pâques, il lit l'évangile en grec ancien.
Enfant, Ivan a étudié la musique -il jouait du piano. "Je suis aussi passionné de sports", dit-il. "J'ai appris à conduire avec un instructeur sur des terrains d'essais près de Moscou. Je rêve qu'un jour on inventera une voiture pour les personnes aveugles et je vais être capable de conduire la mienne. En Crimée j'ai conduit à une altitude de 1000 mètres sur un quad avec l'aide d'un instructeur. J'ai navigué sur un yacht avec mes amis. C'est une expérience très puissante, quand vous sentez que vous êtes capable et que vous pouvez gérer de faire de telles choses difficiles! "
Natalia travaille dans une bibliothèque pour aveugles. Pour elle, les icônes ne sont que des œuvres d'art. "L'exposition est intéressante et instructive, vous pouvez imaginer les icônes, et également lire des choses à leur sujet en braille.
En général, c'est toujours un problème de visiter un musée. Vous ne pouvez pas simplement y aller, parce que personne ne va vous enmener pour une excursion. Vous avez toujours besoin d'une assistance. Je souhaite que d'autres musées soient comme la "Maison des Icônes": vous pouvez toucher à tout avec vos mains, et par ailleurs, on vous dit des choses intéressantes. Travaillant dans une bibliothèque, Natalia aime beaucoup lire. Elle choisit les livres en fonction de son humeur: ce peut être un roman léger et romantique, un livre d'histoire, un essai philosophique, ou un ouvrage sur la psychologie.
Larissa est enseignante: "Je ne peux pas dire que je suis une personne très religieuse. Eh bien ici à cette exposition, ce n'est pas important si vous êtes croyant ou non. Toute personne instruite doit être familiarisée avec l'art des icônes orthodoxes. Un autre problème est qu'il est difficile de se déplacer en ville pour simplement venir ici, mais tout dépend de votre souhait.
Et puis vous vous adaptez, vous apprenez l'itinéraire. Mais là encore, il n'est pas physiquement possible d'aller partout, parce que tout n'est pas accessible ". Larissa a étudié la psychologie pratique et utilise pour elle-même des astuces professionnelles parfois, pour faire face à la mauvaise humeur. J'ai demandé à Larissa de me donner quelques conseils psychologiques pour ceux qui ont subitement perdu la vue.
"C'est une longue conversation qu'il faudrait, deux ou trois phrases ne vont pas aider", dit-elle. "Une personne commence à sentir l'opposition entre elle et les voyants, donc souvent se ferme sur elle-même. Elle a besoin de sortir d'un tel isolement, d'étendre ses frontières. Certaines limites vont rester et vont devenir une tâche de réhabilitation et d'orientation psychologique. Mon histoire est différente. Ma vue était très faible depuis l'enfance et je l'ai perdue progressivement. Je ne l'ai donc pas sentie comme un changement brusque et je n'ai pas eu l'expérience de problèmes que des gens qui perdent leur vue d'une manière inattendue".
Irina est une femme attirante qui est venue à l'exposition avec ses deux filles, de 16 et 13 ans. Les filles ressemblent beaucoup à leur mère. Irina a partagé ses impressions: "Les icônes en relief sont très bien perçues et comprises".
Irina est chrétienne orthodoxe. Toutefois, à la maison commune, elle a des icônes qui ne sont pas en relief. "Je vais à l'église et cela m'a beaucoup soutenue. L'Eglise et la foi sont des guides dans ma vie. Bien sûr, il vaut mieux aller à l'église avec quelqu'un de voyant. Mais même si une personne aveugle vient non accompagnée, les personnes à l'église vont l'aider. Habituellement, les gens comprennent. Si je n'ai personne pour m'accompagner, c'est toujours mieux d'aller seule que de rester à la maison ". Après les derniers mots Irina sourit, en insistant sur l'importance de la fréquentation de l'Eglise.
Irina est kinésithérapeute. Elle travaille en pédiatrie et en a les mêmes problèmes que n'importe quelle maman qui travaille: consacrer suffisamment de temps et d'attention à ses enfants. "Malheureusement, je n'ai pas toujours eu assez de temps pour eux", dit-elle. Les filles sourient d'une manière aussi charmante que leur mère le fait, et, comme involontairement, l'étreignent. "Bien sûr, il est plus difficile d'élever des enfants pour une personne aveugle", explique Irina. "Vous avez besoin d'un soutien solide de votre mari (moralement, financièrement et physiquement, parfois simplement pour aller faire une promenade ou consulter un médecin) ou de parents et d'amis.
Je reçois beaucoup d'aide de mes parents et de ma sœur. Maintenant, les enfants ont grandi et ils commencent à m'aider, surtout quand nous avons besoin d'aller quelque part ". Lorsque Irina va en pèlerinage organisé par l'Association panrusse des aveugles, ses deux filles l'accompagnent.
La chanteuse Diana Gurskaya est également l'un des visiteurs de l'exposition.
Après l'excursion, Diana éclate presque de joie: "Après avoir tout envisagé, et senti avec mes propres mains, j'ai commencé à comprendre les icônes différemment. Cette exposition est importante pour nous tous. Bien sûr, je voyage beaucoup, mais je ne me renseigne sur les icônes dans les églises et les musées que par les mots des autres. C'est si extraordinaire que là j'ai pu sentir toute icône moi-même, percevoir des images de saints représentés. Je vais certainement amener mon enfant ici et lui expliquer qui est représenté sur chaque icône. Cette exposition est un véritable miracle ".
Le savoir-faire de Moscou
"Le projet d'exposition d'icônes sculptées pour les aveugles, la "Maison des Icônes", peut être considéré comme un savoir-faire", déclare Alexis Lidov. "Mais si nous considérons d'autres œuvres d'art et leur exposition aux personnes aveugles, cela a commencé en Europe dans les années 1990.
J'ai vu une exposition magnifique au musée royal de Bruxelles, j'ai vu l'immense impact qu'elle a eu sur les enfants. J'ai vu toute une classe d'enfants aveugles autorisés à toucher et à explorer des œuvres d'art originales, tels que des sculptures égyptiennes antiques, et de petites pièces de sculpture antique grecque (des choses qui étaient difficiles d'endommager ou de casser). Je me souviens de l'expression de la joie et une sorte de lumière sur leurs visages qui ont été transfigurés par cette expérience spirituelle. Ils ont vu des œuvres d'art avec un autre type de vision.
À cet égard, l'idée d'apporter l'art de l'icône aux personnes aveugles est louable et doit être soutenue par tous les moyens. L'icône comme forme d'art se rapporte à la notion de vision. C'est une image-médiatrice qui relie les mondes. Dans la véritable expérience d'une icône, le rôle majeur est joué non seulement par la vue, la contemplation d'une image à plat, mais par une certaine communication avec l'image qui transporte le spectateur dans le monde d'une autre réalité. Le moment de vision qui est ouvert aux aveugles ainsi est très fort dans l'art de l'icône".
L'idée d'une telle exposition s'est manifestée au directeur adjoint du musée de la "Maison de l'icône" Nadejda Gubina. "Je voulais qu'autant de personnes que possible visitent le musée", explique-t-elle. "De temps en temps nous avons eu des personnes handicapées qui sont venues, y compris des personnes aveugles. Elles sont venues pour lui demander quelles icônes il fallait prier dans des circonstances différentes. Et j'ai été perplexe, car les gens venaient au musée, disposées à écouter, à suivre, à comprendre, et nous ne pouvions rien leur montrer.
Malheureusement, aujourd'hui, le slogan de tout musée est: "Ne touchez pas" Il est écrit partout, dans chaque salle de chaque musée se trouve une vieille dame qui dès le début voit un criminel en vous, et si vous osez faire un demi- pas dans la mauvaise direction, elle va commencer à crier. Nous, au contraire, nous avons décidé de ne pas avoir de gardiens, de surveillants de musée, comme je les appelle. Il nous a fallu un an pour développer l'exposition, et calculer la façon de former la composition optimale de sorte qu'il serait facile et commode pour les personnes aveugles d'en profiter.
Qui pourrait être intéressé à visiter l'exposition:
• les adultes aveugles Les raisons sont assez claires.
• les adultes voyants. Parce qu'il est bien de comprendre le processus de l'iconographie, de toucher les minéraux avec lesquels les pigments sont faits, de voir les icônes.
• Les enfants - indépendamment du fait qu'ils sont aveugles ou voyants. Les enfants sont habitués à ce qu'on leur interdise de toucher quoi que ce soit n'importe où. Alors ici, dans le musée, l'endroit le plus prohibitif de tous les endroits, ils sont autorisés à toucher à tout!
Que se passera-t-il après?
À l'heure actuelle, nous préparons un audio-guide pour l'exposition. Toutes les personnes aveugles ne lisent pas le braille. Les personnes voyantes en bénéficieront aussi.
D'autres plans comprennent l'expansion de l'exposition tout en y incorporant plus d'œuvres d'art qui peuvent être touchées. La prochaine étape est d'avoir des enfants malvoyants des écoles spécialisées qui viennent étudier à la "Maison des Icônes". Ils viendront pour des leçons différentes, de celles liées à la religion et à l'histoire de l'art, à celles totalement indépendantes. Cela donnera aux enfants une chance d'apprendre à connaître les icônes, et de poser des questions au personnel du musée, ils répondront avec plaisir.
Version française Claude Lopez-Ginisty
d'après