Une
tentation dans sa vieillesse
Staretz
Philarète de Karoulia.
Photo : Jacques Lacarrière, 1954
Plusieurs
années avant la mort du staretz Philarète, un malfaiteur vola tous les objets
de valeur de sa kalyve, c'est-à-dire tous les livres des Pères Saints qu'il
avait possédés et lus. La police arrêta le voleur avec tous les livres à Thessalonique.
Pour se sortir de cette situation, il prétendit que le staretz Philarète de
Karoulia lui avait vendu les livres. La police accusa donc le staretz de
commerce illégal d'antiquités – id est de la vente de livres qui étaient
considérés comme un héritage inestimable. Il reçut sans cesse des convocations
et finalement dût se présenter devant le tribunal en tant qu’accusé.
Lorsque
la Fraternité des Danielites apprit cette triste nouvelle, elle veilla à ce que
le staretz Philarète soit vêtu de vêtements appropriés et lui ôta les chiffons
déchirés et rapiécés, mais très propres, qu'il portait habituellement. Et un
des frères l'accompagna au tribunal de Thessalonique.
Le
satertz se présenta devant le tribunal sans avocat, tandis que le criminel
s'était assuré les services d'un très bon avocat, qui par son formidable
discours accusateur convainquit les juges de la culpabilité du staretz.
Malheureusement, la justice humaine est souvent trompée et ne fait pas de
distinction entre le bien et le mal pour juger avec justice. C'est pourquoi
nous voyons d'innombrables sentences et erreurs judiciaires injustes.
Un
pieux avocat qui suivit l'affaire et vit à travers le stratagème de la
tricherie et la rhétorique sans fondement de son avocat (qui accusait
consciemment le staretz et déformait la vérité), prit gratuitement la défense
du Père Philarète et se prononça en faveur du saint et vénérable staretz. Ce
dernier était si simple et si gentil que, en entendant l'avocat parler pour sa
défense, il dit avec admiration :
"D'où
lui vient, homme béni, tout ce savoir ? Seul celui qui possède la grâce de
l'Esprit Saint peut parler si bien et présenter l'affaire exactement selon les
faits !"
Quand
le président de la Cour suprême demanda au staretz de jurer, le père Philarète se
levé du box, s'approcha du saint Évangile, se signa trois fois et embrassa le
livre avec respect. Le président de la cour lui dit d'une voix sévère de poser
sa main sur l'Évangile et de jurer. Lorsque le père Philarète demanda quel
livre c'était, le juge répondit que c'était le livre de l'Évangile sur lequel
les fidèles posaient leurs mains et juraient, se portant garants de la vérité
de leurs paroles.
Le
père Philarète répondit au juge en chef :
"Si
ceci est l'Évangile, comme vous le dites, alors veuillez ouvrir le verset 34 du
chapitre 5 de l'Évangile selon Matthieu et vous verrez les mots suivants : Mais
je vous le dis, ne jurez pas du tout, ni par le ciel, car c'est le trône de
Dieu : ni par la terre, car c'est son marchepied, ni par Jérusalem, car c'est
la ville du grand Roi. Tu ne jureras pas non plus par ta tête, parce que tu ne
peux pas rendre un seul cheveu blanc ou noir (Matthieu. 5:34-36)".
Le
juge en chef dit au serviteur d'ouvrir l'Évangile, et quand il l'eut fait, ils trouvèrent
que la page avec l'enseignement du Seigneur sur le serment était manquante.
Alors le staretz Philarète dit au juge en chef avec audace :
"Monsieur
le juge en chef, en tant que chrétiens authentiques par la grâce de Dieu, nous
essayons d'observer ce que l'Évangile du Christ notre Maître nous ordonne de
faire. Si le Christ lui-même nous dit de ne pas jurer, comment pouvons-nous
transgresser le commandement de Dieu pour suivre les commandements des hommes
(cf. Matthieu 15,9) - vos commandements qui instruisent les gens qui se
considèrent comme de vrais chrétiens de jurer, même s'ils désobéissent et ne
tiennent pas compte de son commandement ? Je suis désolé, Monsieur le Juge en
chef, que vous vous disiez chrétiens et que vous n'obéissiez pas aux
commandements du Christ".
Le
juge en chef et les autres juges se sentirent blessés par les paroles de vérité
brûlantes prononcés par le staretz Philarète et le condamnèrent à neuf mois de
prison pour son refus de jurer.
Le
staretz accepta volontiers la sentence et était prêt à être envoyé en prison.
Mais le public présent au procès, indigné par la décision injuste du tribunal,
qui n'avait pas puni le brigand mais avait injustement puni le juste staretz,
s'est immédiatement regroupé et a payé la caution pour le staretz. Et le Père
Philarète, qui avait été condamné par un procès humain mais qui avait gagné,
triomphé et défendu la vérité, retourna à sa kalyve à Karoulia.
Selon
le Père Daniel, quand il revintà Karoulia, ils lui demandèrent :
"Père,
comment s'est passé ton séjour à Thessalonique ? Comment as-tu trouvé le monde
? Comment s'est passé le procès ?"
Mais
le staretz Philarète leur répondit avec son visage rayonnant de joie et avec un
sourire :
"Mes
frères, tous font des efforts et luttent pour leur salut sauf moi, pécheur."
Il
ne dit rien d'autre et se retira en lui-même.
Version française Claude Lopez-Ginisty
d'après