Comment votre famille a-t-elle réagi à tout
cela?
Mon père
était très critique. Il considérait que c'était un pari, il était certain que
je ne serais pas capable de le supporter, et il n’est pas venu à ma tonsure.
Mais ma soeur, qui nous a élevés après le décès de ma mère, est venue, elle m'a
soutenu.
Le prêtre
de notre communauté était catholique, mais il avait étudié à l'université de Thessalonique,
alors nous faisions les offices avec le rite oriental... Et lorsque nous avons
fondé notre monastère, nous avons trouvé notre refuge canonique avec les
catholiques grecs. Ils sont différents des Uniates ukrainiens, ce sont des catholiques
grecs de Jérusalem, l'Eglise Melkite. Nous avons été acceptés en tant que
communauté française et nous avons été partiellement libérés de la juridiction romaine.
Nous ne voulions pas être sous sa férule.
En raison de la nature de l'administration?
Je dirais
également pour des raisons théologiques. Donc, j'étais là, catholique de rite
oriental, vivant à Jérusalem, en Terre Sainte, en lisant des livres orthodoxes,
écrit principalement par des membres de l'intelligentsia russe qui étaient
partis pour l'Ouest : Evdokimov, Lossky, Berdiaev. Et en les lisant, je
suis arrivé à la conclusion que la vraie foi était là, dans l’Orthodoxie.
Les Russes arrivent
Et puis,
dans les années 90, il y a eu un énorme afflux d'émigrés de Russie à Jérusalem,
plus d'un demi-million de personnes en six mois. Les gens ont commencé à parler
russe partout, dans les magasins où les étiquettes de prix étaient en russe,
des journaux russes ont été publiés.
Chaque sabbat, beaucoup de «Russes» ont
commencé à visiter notre monastère, ceux qui ne s'étaient pas adaptés aux
règles orthodoxes juives mais qui voulaient comprendre leur nouveau pays. Notre
monastère (selon la tradition, saint Jean-Baptiste et sa mère s'y cachèrent des
persécutions) se trouve dans une oasis unique, il y a de l'eau, une piscine,
des oiseaux. Les "Russes"
aimaient ce lieu. Et, en dépit de l'avoir quitté eux-mêmes, tous d'un
commun accord répétaient: "Père Basile, vous devez aller en Russie. Vous y
serez bien à votre place. "
Les émigrés
curieux ont été remplacés par des pèlerins venus de Russie. Des kloubouks
blancs d’évêques ont commencé à apparaître. C'est là que j'ai rencontré le
futur Patriarche Alexis II, à l'époque encore métropolite de Leningrad. Et en
1992, j'ai rencontré le père Jérôme [Archimandrite Ieronim (Chourygin)
(1952-2013), higoumène du monastère de la Sainte-Trinité dans la ville
d'Alatyr, hiéromoine, staretz spirituel et expérimenté, qui guidait beaucoup de
fidèles qui venaient vers lui avec leurs afflictions, y compris l'auteur de
cette interview. Note de l'éditeur].
Il est arrivé en pèlerin dans le cadre d'une
délégation monastique du Mont d'Athos. Les catholiques avaient déjà célébré Pâques,
et c'était la Semaine Sainte pour les Orthodoxes. Donc, en tant
qu'administrateur, je lui ai servi de délicieuses spécialités orientales, des
fruits et du thé. Le père Jérôme, jeune, maigre, au nez retroussé, essayait de
me parler français, l'ayant étudié à l'école... Le seul élément dont je me
souvienne est "chtche-chche-shtche". Il y avait quelque chose
d'inhabituel dans son apparence. Et j'ai trouvé quelque chose d'inhabituel le
concernant. Quelque chose d'intéressant.
Et puis je
me suis retrouvé au service pascal orthodoxe à l'église du Saint-Sépulcre à
Jérusalem. Et c'est ainsi que j'ai commencé à mener une double vie: l'une était
physique, car je vivais dans un monastère grec-catholique, tandis que l'autre
était la vie du cœur et de l'esprit dans l'Orthodoxie. J'ai toujours assisté
aux offices orthodoxes. Mes supérieurs me le permettaient à condition d'avoir
assisté à notre propre service à cinq heures du matin. Alors, le samedi soir, après
huit heures, lorsque le sabbat se termine et que les autobus commencent à fonctionner,
j'allais à Jérusalem, j’attendais jusqu'à ce qu'ils aient ouvert l'église du
Saint-Sépulcre à minuit, je restais là jusqu'à ce que le service soit fini à
trois heures, puis je m'en retournais. Parfois, je devais marcher quinze kilomètres
à pied. Les moniales du couvent russe à Ein Kerem, qui me connaissaient déjà
bien et qui m'aimaient, me prenaient en stop quand elles avaient une
place dans leur voiture...
En outre, je
suis devenu une sorte de missionnaire pour les Israélites «russes» qui nous
rendaient visite. Un jour, une très jeune famille est arrivée. Le mari était de
Perm, un juif très intelligent, alors que la femme était du sud, de Kouban. Et
il me dit que sa femme est orthodoxe et qu’elle a été baptisée, mais qu’elle ne
va pas à l'église. Et alors, je me suis dit: "Merci pour cette
information, je vais commencer à travailler avec elle maintenant."
"Natacha," lui ai-je dit, "viens, je vais t’amener avec moi à l’office orthodoxe de
Pâques..."
Alors, je l’ai emmenée avec moi. Puis, pendant le service, je lui ai
dit, va vers un prêtre et fais ta confession. Le prêtre l’a confessée et, bien
qu'elle n'ait pas jeûné, il lui a permis de communier, car cela est permis dans
des circonstances particulières. Elle est revenue après avoir reçu la communion
et il y avait cette aura autour d'elle. Son mari ne dormit pas du tout cette
nuit-là. Il savait que nous étions à l'église, mais il ne s'attendait pas à ce
que le service soit aussi long.
J’ai marché avec elle, car notre monastère
était à proximité... Natacha était si heureuse, si joyeuse! Son mari talentueux
ne se trouvait pas bien en Israël, alors ils déménagèrent en Italie, puis aux
Etats-Unis suite à un de ses rêves. C'était un grand fan du jeune Clinton, chose
que j'ai trouvée très amusante. Ils se sont installés plus ou moins là-bas,
alors Natacha a donné naissance à un fils et elle est morte. Cela s'est produit
récemment.
Y avait-il un conflit qui se préparait dans la
communauté?
Lorsque nos
frères et l'abbé ont commencé à sentir qu'ils me perdaient, ils m'ont empêché
d'aller à Jérusalem et de communiquer avec les orthodoxes. Alors, je suis allé
chez le père Jérôme, et il m'a dit qu'il ne pouvait rien faire pour moi, mais
l'année suivante il retournait en Russie et il m’emmènerait avec lui.
Que puis-je
faire, me suis-je dit, je vais devoir attendre. Mais cette double vie devenait
de plus en plus insupportable. A ce moment, la communauté traversait une crise,
parce que l'abbé avait beaucoup de pression de Rome pour renoncer au rite oriental.
J'ai dit: "Pas question!"
Et un jour, quand ça a été vraiment
mauvais, j'ai réalisé que je ne pouvais plus supporter cela. Je suis allé à Ein
Kerem, où le père Jérôme officiait. Il a dit, eh bien, si tu as pris une
décision, nous allons voir le Patriarche demain. Le patriarche Diodore [de Jérusalem] a
approuvé mon choix. Mais, afin d'éviter les conflits avec d'autres confessions,
car après tout, Jérusalem est une petite ville, il a dit, il vaut mieux aller
directement vers l'Orthodoxie russe.
Le
secrétaire de la mission de l'Église orthodoxe russe à Jérusalem le hiéromoine
Marc (qui est maintenant l'archevêque d'Egorievsk) a personnellement traduit et
transmis ma demande d'être transféré à l’Eglise orthodoxe russe à Moscou.
À
l'époque, le Père Jérôme et moi étions occupés à nettoyer l'égout et à réparer
le toit pour Mère Géorgia à Ein Kerem, en faisant essentiellement tout ce que
les femmes ne pouvaient pas faire. Je n'ai jamais eu de problème avec le
travail dur ou salissant, et le Père Jérôme non plus.
La réponse
de Moscou est venue, mais en apprenant que la demande avait été transmise à son
insu, le chef de la mission, le métropolite Théodose, s'est énervé et l'a mis en
suspens. Tout est resté en suspens.